Poursuivis pour blanchiment d’argent et financement occulte : Quand Saïd Bouteflika se lâche…

31/05/2022 mis à jour: 09:33
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Photo : D. R.

Une peine de 10 ans de prison ferme a été, hier, requise contre Saïd Bouteflika et Ali Haddad, qui comparaissaient devant le pôle financier d’Alger pour l’affaire de financement de la chaîne de télévision privée Istimraria.

Poursuivis dans l’affaire du financement de la chaîne de télévision privée Istimraria, Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt Président déchu, et Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, ont comparu hier devant le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger.

Les auditions ont duré toute la journée, avant que le parquet ne requiert une peine de 10 ans de prison ferme, assortie d’une interdiction de se porter candidats aux élections durant une période de 5 ans, et la confiscation de tous leurs biens et avoirs, saisis par le juge d’instruction, y compris ceux ayant fait l’objet de commissions rogatoires. Mais avant, le collectif a fait état de nombreux vices de forme, sur lesquels le juge statuera une fois qu’il examinera le fond du dossier.

Jugé pour «abus de fonction», «trafic d’influence», «blanchiment d’argent», «non-déclaration et dissipation de biens et enrichissement illicite», Saïd Bouteflika nie catégoriquement les faits. Le juge : «Avez-vous demandé à Ali Haddad d’ouvrir une chaîne de télévision dédiée à la campagne électorale de votre défunt frère pour un 5e mandat ?» Saïd Bouteflika déclare : «J’étais à la prison militaire de Blida, avec une peine de 15 ans de réclusion prononcée à deux reprises.

C’est une condamnation politique. Je connais le sort réservé aux hommes politiques dans des pays sous-développés comme l’Algérie. C’est soit la mort, soit la prison. Certains sont aveuglés par la vengeance, d’autres se sont mus dans le silence. L’affaire est très grave.» Une réponse qui pousse le juge à le ramener aux faits, mais il continue : «J’ai la conscience tranquille. Je suis là pour défendre mon honneur et ma probité.

Confrontez-moi avec des preuves. Si vous estimez que je suis coupable, condamnez-moi !» A propos du matériel lié à la chaîne de télévision, Bouteflika explique qu’il était déjà en Algérie lorsqu’il a discuté avec Ali Haddad de la chaîne. «Je ne lui ai pas demandé de l’acheter, comme consigné par le juge d’instruction.» Le juge : «C’est Ali Haddad qui l’a déclaré.» Bouteflika : «L’acquisition de ce matériel a été faite avant même que le défunt président ne décide de se porter candidat à l’élection de 2019. Ali Haddad avait même déclaré qu’il avait acheté ces équipements en 2018 pour monter une chaîne de télévision sportive.»

Le juge  : «A quand remonte l’idée de création de la chaîne ?» Bouteflika affirme : «L’idée n’était pas de créer une chaîne de télévision mais une web-TV…» Le juge : «La loi électorale l’interdit.» Bouteflika conteste : «Rien ne l’interdit. Nous sommes à l’ère du numérique (…). A ce jour, des responsables qui sont à des postes très sensibles l’ont fait et continuent à le faire. Pourquoi ne sont-ils pas ici ? Voulez-vous que je cite leurs noms ? Voulez-vous que je leur évite de dormir ?»

«Saïd Bouteflika, d’où avez-vous eu ces biens  ?»

Le juge : «Nous sommes là pour autre chose.» Bouteflika : «Rien ne m’empêche d’évoquer les antécédents. Je ne comprends pas pourquoi on me juge pour la campagne de 2019 et pas pour celles qui l’ont précédée, qui ont été financées de la même manière. Je ne comprends pas pourquoi ceux qui étaient en 2019 au devant de la campagne ou à la tête des élections précédentes et qui sont toujours en poste ne sont pas ici.» Le juge persiste à rester dans le sujet et évoque un montant de 75 millions de dinars dépensé pour l’importation des équipements. «Ce matériel a été acheté pour le lancement d’une chaîne de télévision sportive en 2018. Le Président n’était même pas candidat (…) Au procureur qui l’interrogeait sur le transfert des équipements de Dar El Beïda au siège de la campagne, après l’annonce de candidature du défunt Président, Saïd Bouteflika répond : «L’instruction a été bâclée.

Il y avait des arrière-pensées dans ce dossier construit sur des supputations et des préjugés. Pourquoi disent-ils que l’équipement a été transféré au siège des Kouninef ? L’immeuble de la campagne vers où l’équipement a été transféré se situe en début de rue, et celui des Kouninef se trouve vers la fin de la rue, à Hydra. Après les événements du 22 février 2019, ils ont pensé qu’il fallait protéger le matériel et les personnes qui étaient au siège de la campagne et où il y avait un grand poster du Président accroché au mur d’entrée.

Moi, j’étais occupé à recevoir de grandes personnalités du pays pour trouver des solutions à la crise qui laminait le pays.» Revenant sur le nom de la chaîne de télévision Istimraria, Bouteflika s’offusque : «Je n’ai jamais entendu ce nom et je n’ai jamais discuté de cela avec le directeur de la communication, qui est Amara Benyounès. Vous voulez que je dise que Ali Haddad a financé une chaîne de télévision pour la campagne et qu’après on dise que Saïd Bouteflika a jeté un pavé dans la mare ? Que voulez-vous de Saïd Bouteflika ? La réponse de la Belgique à la commission rogatoire, délivrée par le pôle, est une honte pour la justice algérienne…» 

Le président : «Il fallait saisir en temps opportun la chambre d’accusation pour contester le travail du juge. Nous sommes là pour autre chose.» Bouteflika : «La première fois que j’ai reçu le juge à la prison de Blida, il avait quatre charges contre moi et j’étais convaincu que toutes allaient tomber en l’absence de preuves.

Mais après, il a ajouté trois autres griefs.»  Il rappelle avoir rendu visite une seule fois et durant 30 minutes, au siège de la campagne, où il a rencontré Lotfi Chriet, qui l’a salué sans pour autant passer par les bureaux. Le magistrat l’interroge sur ses biens et Bouteflika lance : «Je suis à l’aise pour en parler.

Les Algériens doivent savoir que j’ai été à El Harrach pour attenter à mon honneur et ma probité, qui constituent mon seul capital. Il s’est passé ce qui s’est passé le 22 février 2019. Le chameau avait en face de lui un cheval de race et il l’a pris pour un dromadaire et commencé à critiquer ses bosses. Je parle de Gaïd Salah qui a porté atteinte à mon honneur. Je veux parler parce que les faits doivent être connus.»

«C’est l’héritage de ma défunte mère»

Bouteflika revient sur ses biens : «Un F5 en duplex promotionnel de 249 m2 à Ben Aknoun, acquis en 2015, avec mon argent et celui de mon épouse. Des droits dans un bien dans l’indivision à Alger-Centre et d’autres dans un bien foncier, qui font partie de l’héritage de ma défunte mère. Des droits dans un autre bien de mon défunt frère Mustapha. Ce sont tous des biens hérités. Ils ne peuvent ni être vendus ni cédés.» Le juge évoque des box pour voitures et Bouteflika crie : «C’est une grave accusation.

Le juge ne cite même pas les perquisitions qu’il a ordonnées à El Biar et à Ben Aknoun, avec une dizaine de personnes, en mon absence, durant laquelle mon épouse était seule. J’habite un immeuble de 12 appartements, avec 12 box de stationnement, et on parle de 12 garages. Ils comptent deux fois le duplex et les box également deux fois. Je suis un homme de gauche, je n’aime pas le matériel. J’ai deux box.»

Le juge cite un terrain à Djenan El Malik, à Hydra, et un autre à Bachir El Ibrahimi à El Biar, et Bouteflika répond : «C’est un héritage dans l’indivision de ma mère.» Sur les avoirs de 30 000 euros et de 10 millions de dinars, retrouvés sur ses comptes, Bouteflika explique qu’il s’agit du fruit de ses économies durant 20 ans de conseiller à la Présidence avec un salaire de 300 000 DA et 12 ans d’enseignement supérieur.

Le juge appelle Abdelmalek Sellal pour être auditionné en tant que témoin. Il affirme que son travail consiste à superviser les activités de la campagne, mais pas la communication qui relève de Amara Benyounès.

Poursuivi pour «blanchiment d’argent», «financement occulte d’un parti politique» et «dissipation de biens», le patron de l’ETRHB, Ali Haddad, nie les faits avant que le juge ne lui demande : «Vous aviez déclaré que Saïd Bouteflika vous a sollicité pour l’ouverture d’une chaîne de télévision dédiée à la campagne électorale. Est-ce le cas ?» Ali Haddad : «C’est la quatrième fois que je suis poursuivi pour ‘‘financement occulte’’, avec Ahmed Mazouz, avec l’ETRHB, avec Hocine Metidji et maintenant avec Saïd Bouteflika.»

Le juge tente de le ramener à la première inculpation, mais Ali Haddad entre dans une colère hystérique. «Tout au long de ma détention, j’ai été interrogé par 32 magistrats de l’instruction, du parquet et du siège. Vous-même, c’est la troisième fois que vous me jugez. J’en ai marre ! Toutes mes réponses sont chez vous. Je suis fatigué. C’est trop. Je n’étais pas candidat aux élections. Je n’ai rien à ajouter…» lance-t-il en gesticulant. 

 

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