La réponse logique et juste est bien sûr le déni historique de la communauté internationale du droit des Palestiniens à disposer de leur Etat. C’est la base fondamentale sur laquelle reposent tous les conflits au Moyen-Orient et dont l’intensité est directement proportionnelle à la montée en Israël des politiques de droite qui rejettent sans équivoque toute solution à deux Etats.
C’est une vérité historique. La création de cette métastase occidentale en Orient que constitue Israël est la plus grande injustice accouchée par l’humanité au cours de ces deux derniers siècles.
Mais pourquoi aucune solution ne voit le jour pour réparer cette injure à la conscience humaine ? Pourquoi Israël dispose dans la communauté internationale, y compris de la part de certains pays arabes, d’un soutien sans faille quels que soient les crimes commis par cette entité criminelle ?
L’explication la plus simple et la plus partagée est relative à la puissance du lobby mondiale juif dont l’influence sur les politiques domestiques et étrangères occidentales est décisive et pèse lourdement sur le fonctionnement des instances internationales.
C’est évidemment vrai, mais on ne peut alors s’interroger sur le prix à payer de ce soutien aveugle et inconditionnel de ce fameux «lobby» aussi bien en terme politique et financier mais aussi moral.
Oui, moral, car toute la communauté juive dans le monde ne soutient pas la politique raciste et génocidaire d’Israël, même si, par ailleurs, ils demeurent un soutien fort à l’existence de cet «Etat».
La guerre génocidaire à Ghaza a constitué l’occasion pour ces juifs progressistes de s’exprimer contre cette guerre et en faveur des droits légitimes des Palestiniens. Nous avons eu tous à le constater, particulièrement lors des manifestations au sein des universités américaines et européennes, mais aussi dans les déclarations d’intellectuels d’origine juive, comme la récente déclaration du philosophe E. Ballibar, ou des prises de position d’intellectuels israéliens, comme Gideon Levy ou Shlomo Sand.
Ce «lobby juif international», s’il développe avec constance un discours sans faille en faveur d’Israël, n’en demeure pas moins d’abord et avant tout un conglomérat de milieux d’affaires puissant duquel il tire toute sa puissance et son influence politique.
De ce fait, la question qui vient logiquement à l’esprit est : quel intérêt économique et financier trouvent ce lobby et les groupes d’intérêt qui lui sont associés, dans son soutien aveugle à Israël ? Sa motivation dans le soutien à Israël est-elle uniquement coloniale, ethnique et religieuse ou cache-t-elle des intérêts plus triviaux pour lesquels, de manière parfaitement froide et cynique, les guerres, les massacres de populations et les génocides sont soldés en pertes et profits ?
Revenons pour comprendre à l’Histoire : le Moyen-Orient fut une pièce maîtresse de l’Empire ottoman pendant 5 siècles avant de basculer dans le giron colonial anglo-français d’abord, américain ensuite.
Le démantèlement de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale a produit l’ignominie des accords de Sykes-Picot : pendant que les armées arabes dirigées par les princes chérifiens husseinites secondaient les troupes anglo-françaises pour chasser les Ottomans, se négociait dans le plus grand secret le partage des territoires conquis entre les deux puissances coloniales.
A la fin de la guerre, au lieu de respecter la promesse faite aux Arabes de créer sur les territoires libérés un «Royaume Arabe», la région est dépecée en colonies françaises et anglaises avec la complicité de l’ancêtre de l’ONU : la Société des Nations (SDN). On en profitera pour créer «le foyer national juif» en Palestine, ancêtre de «l’Etat d’Israël»
Deux points méritent d’être soulignés : le mépris affiché vis-à-vis des peuples arabes que l’on va armer pour lutter contre leurs coreligionnaires avant de les trahir doublement : en revenant sur la promesse de création d’un Etat arabe dirigé par les Hachémites et en autorisant l’implantation du «foyer national juif» en Palestine.
Les USA viendront plus tard, attirés par l’exploitation des hydrocarbures et par la nécessité stratégique de contenir l’expansion dans la région de l’ennemi de l’époque : l’URSS ! Au lendemain de le Deuxième Guerre mondiale, Roosevelt, lui-même, va se précipiter au Moyen-Orient où il scellera sur le pont du porte-avions Quincy les accords qui survivent à ce jour entre les USA et l’Arabie Saoudite. Les autres pays de la région suivront rapidement et les bases militaires US vont se multiplier en même temps que le pétrole est pompé au bénéfice des grandes entreprises US et anglo-françaises.
On voit là aussi que la conquête coloniale du Moyen-Orient n’a jamais obéi qu’à un seul objectif occidental : la protection de leurs intérêts stratégiques et énergétiques, bien plus que le souci de protéger les juifs après les massacres de la Shoah.
Alors quid d’Israël ? La création de cette entité s’est d’abord négociée entre le Royaume-Uni (RU) et le président le plus évangéliste de l’histoire des Etats-Unis, W. Wilson : la promesse par le RU de créer un foyer national juif en Palestine, fut un argument très fort pour convaincre le président Wilson d’entrer en guerre contre l’Allemagne et la Sublime porte. Promesse qui sera actée par M. Balfour, secrétaire d’Etat britannique après l’entrée en guerre des USA en 1917.
Israël est donc d’abord et avant tout une création du lobby évangéliste US manipulé par le lobby sioniste britannique. Et ce lobby évangéliste demeure à ce jour le plus puissant et le plus inconditionnel soutien à Israël. Il représente 30% de l’électorat aux Etats-Unis d’Amérique.
L’arrivée forte des USA dans la région s’explique par la nécessité de protéger les intérêts considérables de ce pays au Moyen-Orient. Intérêts énergétiques (sources d’approvisionnement en hydrocarbures de tout l’Occident), commerciaux ( protection de la route des Indes et du canal de Suez, voies essentielles de communication pour le commerce mondial) et bien sûr géostratégiques : la région devient rapidement un centre opérationnel important dans la politique militaire occidentale en général et US en particulier.
Il fallait donc, pour sécuriser la région, un chien de garde, un gendarme infaillible, puissant et fidèle : la confiance en les Arabes étant nulle, on va transformer cette métastase évangéliste occidentale en fer de lance des intérêts occidentaux dans la région en créant l’Etat d’Israël en 1948 et en le dotant d’une armée la plus puissante de la planète.
La boucle est bouclée, le Moyen-Orient et ses richesses sont définitivement entre les mains de l’Occident, la menace communiste est écartée par la mise au pouvoir de régimes théocratiques moyenâgeux et violemment anticommunistes à la tête de la majeure partie des pays arabes.
De plus, toute velléité de remise en question de cet état de fait par des régimes progressistes, comme l’Égypte de Nasser, La Syrie des Assad ou l’Irak de Saddam, trouvera face à elle l’armée US et Tsahal dotée de l’arme nucléaire !!
Mais les choses ont changé :
L’un des soutiens les plus inconditionnels de l’Occident : le Chah d’Iran tombe en 1979 et la République islamique est déclarée sous l’égide de l’ennemi juré des USA, l’imam Khomeïni. On n’a pas encore à mon avis mesuré la puissance de ce séisme politique, dont l’intensité et la soudaineté ont pris de court le monde entier. La révolution iranienne va ébranler tous les régimes politiques de la région et réveiller les mouvements islamistes les plus radicaux qui contestent les pouvoirs établis, considérés comme inféodés à l’Occident. C’est la première menace sérieuse sur l’ordre établi par les puissances occidentales sur le Moyen-Orient.
La chute du mur de Berlin en 1989 signe la chute du pouvoir soviétique et le démantèlement de l’URSS. On parle de la «fin de l’histoire» et la victoire définitive du capitalisme sur l’idéologie socialo-communiste. La menace communiste sur le pétrole du Moyen-Orient est levée, il faut trouver un autre rôle à Israël pour le conforter dans sa mission de défense des intérêts occidentaux.
Le 3e élément du puzzle est la transformation ultralibérale des politiques occidentales avec l’arrivée au pouvoir de Reagan aux USA en 1981 et de Thatcher au RU en 1979 : ces politiques considèrent les institutions de l’Etat comme «le problème et non la solution au problème» : pour promouvoir l’économie, il faut réduire au maximum le rôle de l’État dans la gestion économique et sociale et promouvoir l’entreprise comme acteur principal pour le remplacer.
Cette politique est bien sûr boostée de manière importante par la disparition de l’URSS, au point d’emporter l’adhésion sans nuance des institutions internationales, comme la Banque mondiale, le FMI ou l’OMC : le marché seul doit réguler les économies mondiales, aucune règle ou frontière ne doit s’y opposer : la mondialisation est en marche et la finance internationale avec ses banques-casinos et ses entreprises spéculatives de service s’imposent partout dans le monde, y compris dans les anciens pays socialistes.
Le Moyen-Orient se retrouve pris dans la nasse de cette «globalisation» dont la frénésie consommatrice d’énergie ne connaît aucune limite : la région bascule entre les mains de la grande finance internationale qui va faire d’Israël, du Qatar et des Émirats arabes unis les places privilégiées des mouvements spéculatifs financiers et du contrôle des routes commerciales et du pétrole.
La région devient un centre nodal de l’économie mondiale ultralibérale et les USA vont vouloir consolider leur mainmise en développant une politique très agressive au service de leurs entreprises appelée «Grand Moyen-Orient» chère à ce voyou de Bush, transformée ensuite par Trump en «accords d’Abraham».
Enfin, un nouvel acteur va surgir et menacer de tout remettre en question : la Chine, qui depuis 40 ans connaît un effort de développement pharaonique, fait son entrée intelligente dans la course en acceptant les règles du jeu imposées par l’Occident par son entrée à l’OMC en 2001.
La Chine a besoin aussi d’assurer ses approvisionnements en énergie et de pénétrer le marché mondial. Elle va de ce fait promouvoir ses «Nouvelles routes de la soie» et s’impliquer dans les politiques du Moyen-Orient, par le commerce et l’industrie certes, mais aussi, de plus en plus dans la politique étrangère pour réduire l’influence occidentale et gagner plus de place dans cette région. L’illustration de cette politique est bien sûr le rapprochement des deux traditionnels ennemis que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran sous la férule de la diplomatie chinoise.
C’est ce que l’Occident et son système militaro-industriel avec ses banques, ses GAFA et autres entreprises de prédation ne peuvent admettre ! L’avancée de la Chine dans la région est considérée par les USA comme une menace existentielle qu’il faut freiner par tous les moyens : on réchauffe donc la vieille doctrine «Grand Moyen-Orient» en lui prêtant un libellé biblique «d’accord d’Abraham» et on met tous les moyens financiers, militaires et diplomatiques pour y parvenir : en détruisant par exemple la Syrie proche de l’Iran et en s’attirant les bonnes grâces des émirs. La dernière touche à cette stratégie est l’entrée de l’Arabie Saoudite dans la danse pour finaliser la mise sous tutelle de tous les pays arabes par les USA et leur gendarme local, Israël !
Et c’est là que surgit ce vieux problème que tout le monde avait décidé d’enterrer : Les Palestiniens ! La stratégie US, probablement inspirée par le Mossad et les services émiratis, a purement et simplement mis aux oubliettes le problème palestinien, le considérant comme définitivement maîtrisé par Israël ! Tout était prêt pour la touche finale : l’établissement des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et Israël.
L’attaque du 7 octobre, au-delà de l’exceptionnelle performance militaire, est d’abord et avant tout une extraordinaire remise en question de toute cette stratégie : elle rompt le pacte du diable avec l’Arabie Saoudite, réveille les consciences endormies des peuples arabes et remet sur la table le problème palestinien. De ce fait, elle remet en question l’équilibre stratégique qui se dessinait en faveur des USA et d’Israël en ouvrant la porte à d’autres forces, comme l’Iran, la Turquie et, bien sûr et surtout, la Chine.
C’est un cas de casus belli : le complexe militaro-industriel et les deep-states ne peuvent pas admettre cette brutale et réelle remise en question de ce nouvel Sykes-Picot que constituent les «accords d’Abraham». Les Palestiniens et le Hamas en particulier vont le payer très cher : ils ne payent pas seulement l’humiliation qu’ils ont fait subir à Tsahal le 7 octobre, bien plus, ils payent l’échec qu’ils viennent de faire subir à la stratégie de la finance internationale et les politiques ultralibérales d’appropriation exclusive de toute la région MENA (qui menace évidemment notre pays après avoir avalé le Maroc voisin).
Ceci explique aussi bien la sauvagerie de la réaction israélienne que la complicité évidente des premiers perdants dans cette affaire que sont les USA et leurs groupes financiers et industriels qui alimentent le complexe militaro-industriel, vrai pouvoir mondial.
C’est pourquoi l’Occident, en guerre existentielle avec la Chine, ne lâchera jamais Israël et continuera à le soutenir massivement par tous les moyens pour lui permettre durablement de phagocyter à son profit exclusif le Moyen-Orient.
Ce qui signifie également, hélas, que les dizaines de milliers de morts palestiniens, dont les 2/3 sont des femmes et des enfants, les destructions massives de toutes les infrastructures de vie, y compris les hôpitaux, les écoles, des mosquées et les universités, ne sont pas seulement une réponse haineuse et diabolique d’Israël, comme prétendu, à l’attaque du 7 octobre, mais aussi et surtout une punition collective et un avertissement aux forces progressistes de toute la région, voire du monde entier, à tous ceux qui s’opposeraient au rouleau compresseur des politiques ultralibérales occidentales.
Les enfants de Ghaza et maintenant du Liban payent la mise en échec des «accords» d’Abraham. Ils meurent pour la Palestine certes, mais aussi pour nous, pour toutes les forces progressistes du monde entier, tant dans ce qui s’appelle aujourd’hui cyniquement le «Sud Global» qu’au sein même de ce nouvel empire constitué par un Occident conquérant prêt au partage des richesses du monde en sa faveur exclusive, y compris en plongeant le monde dans une 3e guerre mondiale.
Le Moyen-Orient est devenu depuis le 7 octobre, ce que les Balkans étaient dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Et avec le risque d’un nouveau Sarajevo.
Par le Pr Farid Chaoui , Professeur en médecine