Qu’il s’agisse de disposer d’hôpitaux répondant aux meilleurs standards internationaux, d’améliorer les conditions de travail des professionnels de la santé ou de baliser le parcours de la prise en charge du patient, beaucoup de réponses se trouvent dans les dispositions de la loi sanitaire promulguée en 2018. A commencer par l’organisation sanitaire proposée, porteuse de nombreuses clés à beaucoup de problèmes.
En effet, la réorganisation opérée en 2007, portant suppression des secteurs sanitaires et leur remplacement par les Etablissements publics hospitaliers (EPH) et les Etablissements publics de santé de proximité (EPSP) bien que guidée, apparemment, par le souci de préserver les soins de santé de base des dérives de l’hospitalo-centrisme, a provoqué une cassure nette de l’organisation pyramidale qui avait fait du système national de santé un modèle reconnu y compris par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’organisation pyramidale basée sur la notion d’aire géo-sanitaire était déjà malmenée par la qualité de la gouvernance mais avait le mérite d’offrir un modèle d’intégration des ressources sur un territoire donné et la possibilité de mettre en place des circuits de prise en charge du patient à partir de la structure de base (salle de soins, centre de santé, polyclinique) jusqu’à l’hôpital siège du secteur sanitaire.
Par ailleurs, et en matière d’épidémiologie, le secteur sanitaire offrait la possibilité d’avoir une gestion intégrée des programmes de prévention et d’une capacité de réponse immédiate à toute flambée épidémique. De plus, l’intégration des ressources humaines à l’échelle du secteur sanitaire permettait d’assurer des consultations spécialisées sur l’ensemble du territoire couvert par le secteur sanitaire en utilisant à bon escient les ressources médicales spécialisées disponibles sur le territoire du secteur sanitaire.
La suppression du secteur sanitaire en 2007 a provoqué une cassure de la pyramide des soins avec pour conséquence directe une rupture de la relation organique entre la structure de soins de base (type polyclinique puisque le niveau intermédiaire centre de santé a disparu des textes parus en 2007) et l’hôpital. Cette rupture aura eu de nombreuses répercussions sur un ensemble de domaines.
En matière de circuit de prise en charge du patient, la polyclinique n’a plus depuis 2007 une relation privilégiée et intégrée avec l’hôpital. Le patient est livré à lui-même avec une lettre d’orientation et doit faire du porte-à-porte pour décrocher un rendez-vous dans une structure hospitalière, alors qu’auparavant, il était directement orienté de la polyclinique vers l’hôpital, siège du secteur sanitaire qui assurait la prise en charge du patient au sein de l’établissement ou au niveau d’un autre établissement spécialisé de référence.
En matière de ressources médicales et paramédicales spécialisées, la suppression de la notion de secteur sanitaire en 2007 aura eu des conséquences désastreuses et provoqué une inflation de la demande pour une ressource rare. Quand l’hôpital siège du secteur sanitaire pouvait organiser des programmes de consultations spécialisées sur la base des ressources disponibles en assurant non seulement l’optimisation des ressources mais aussi une certaine forme de médecine sociale et de formation continue par la confrontation aux réalités des différents espaces géographiques et socio-économiques constituant le secteur sanitaire, l’EPSP, crée en 2007, s’est retrouvé dans l’obligation d’avoir un personnel permanent pour assurer un maximum de consultations spécialisées avec pour résultat d’avoir, par exemple, deux EPSP mitoyens dont l’un assure des consultations spécialisées du niveau d’un hôpital alors que l’autre n’arrive même pas à assurer les consultations de base. Bien plus, il est arrivé de trouver dans une polyclinique de Tlemcen ayant une juste une radio conventionnelle 17 manipulateurs radio n’assurant chacun que 3 ou 4 gardes par mois alors que l’hôpital distant de 15 kilomètres n’avait pas suffisamment de manipulateurs radio pour assurer une garde H24 de son service d’imagerie médicale disposant d’un scanner.
Dans le domaine de la prévention, la suppression du secteur sanitaire a cassé le remarquable travail qui était effectué par le SEMEP (Service d’épidémiologie et de médecine préventive). Les circuits de transmission de l’information ont disparu et les compétences se sont clairsemées mais pas que. La capacité intégrée de riposte et d’intervention immédiate en situation de flambée épidémique en relation avec l’hôpital siège du secteur sanitaire a disparu, et à sa place, on s’est retrouvé avec une lourde mécanique bancale qui fait perdre du temps et de l’efficacité. Là où avant 2007 c’était le responsable du secteur sanitaire (administratif ou médical) qui assurait la supervision et la coordination en cas de flambée épidémique sur le territoire du secteur sanitaire, c’est le DSP (Directeur de la santé et de la population de la wilaya) qui est amené depuis 2007 à intervenir pour assurer la coordination entre l’EPSP et l’EPH !
En matière de garde. Avant 2007, la garde des médecins, des pharmaciens et des chirurgiens-dentistes du secteur libéral était organisée à l’échelle du secteur sanitaire de manière à assurer une garde de proximité effective. Conjuguée au délitement de l’administration publique, la suppression du secteur sanitaire a participé (à l’exception notable des officines pharmaceutiques) au recul de l’obligation de garde pour le secteur médical libéral alors même qu’aux yeux de la loi l’autorisation d’exercice accordée à un praticien libéral a valeur de concession de service public avec toutes les suggestions que cette notion implique.
Qu’elle ait été guidée par un souci, maladroitement traduit, de donner un second souffle aux soins de santé de base phagocytés par des flux financiers orientés principalement sur l’activité hospitalière ou par des orientations stratégiques visant à réduire la place et la performance du secteur public de santé, comme cela a été le cas pour le secteur public économique victime d’un véritable libéralisme compradore, la réponse à la déstructuration de l’organisation du système national de santé, induite par la suppression du secteur sanitaire, a été prise en charge par la loi sanitaire promulguée en 2018. Cette loi a réhabilité la notion de territoire de planification sanitaire en créant une nouvelle entité dénommée «circonscription sanitaire».
Basée sur le modèle du secteur sanitaire en étant un établissement doté d’un hôpital autour duquel s’articulent des structures de soins de santé de base, la circonscription sanitaire s’inscrit dans une approche pyramidale de l’organisation des soins puisque le système pyramidal sera en vigueur non seulement à l’intérieur de la circonscription sanitaire mais aussi à l’échelle de la wilaya avec la circonscription sanitaire de référence (chef-lieu de wilaya).
En effet, l’ambition est de permettre à chaque wilaya de disposer d’un hôpital de référence disposant d’un maximum de spécialités et travaillant en étroite symbiose avec l’ensemble des autres circonscriptions sanitaires pour baliser le parcours du malade et assurer sa prise en charge dans sa wilaya. Bien plus, le système pyramidal va au-delà de la wilaya puisque la circonscription sanitaire de référence sera en liaison avec des pôles de référence régionaux ou nationaux pour certaines spécialités lourdes ou rares.
La circonscription sanitaire intègre le secteur libéral. Contrairement au secteur sanitaire qui n’avait pas pu épuiser toutes les possibilités offertes, la circonscription sanitaire offre la possibilité d’intégrer légalement l’offre de soin du secteur libéral au profit des usagers du secteur public. On a tendance à l’oublier mais le secteur libéral fait partie intégrante du système national de santé. Il n’y a pas un système public de santé et un système privé de santé mais bel et bien un système national de santé.
Tout le défi consiste à veiller à ce que la coexistence des deux secteurs se fasse dans un cadre organisé, moral et dans le strict respect de la déontologie médicale à l’inverse de la situation actuelle où les dérives enregistrées et connues de tous se font au vu et au su de tous, y compris des organes de contrôle et des instances déontologiques.
Dans un Etat ayant une vocation sociale très forte, il ne peut pas y avoir un secteur libéral fort et performant sans une locomotive publique forte et performante. Et c’est exactement le cas en matière de santé. C’est pourquoi, la loi de 2018, sous réserve que la contractualisation soit mise en œuvre, permet à l’établissement public de santé de signer des conventions avec un établissement du secteur libéral, disposant de ressources n’existant pas dans le secteur public pour assurer des soins aux usagers du secteur public sans que ces derniers n’aient à débourser, car pris en charge au titre du tiers payant. En plus du balisage pyramidal du parcours du patient à l’intérieur du secteur public, le conventionnement avec le secteur libéral améliore la qualité du parcours du patient et permet au système national de santé de donner la pleine mesure de ses capacités et de ses compétences.
La circonscription sanitaire et le médecin référant. La loi de 2018 a introduit la notion de médecin référant dans le double souci d’améliorer le parcours du malade et d’utiliser rationnellement les ressources du système national de santé y compris les ressources financières du trésor public et des autres bailleurs de fonds comme la sécurité sociale.
Pouvant être du secteur libéral comme du secteur public, le médecin généraliste référant est en quelque sorte le chef d’orchestre de la prise en charge du patient. Il contrôle toute la partition et gère tout le parcours du patient du départ à l’arrivée. Si les textes exécutifs suivent et si des mécanismes de coordination entre le système national de santé (secteurs public et libéral) et la sécurité sociale sont mis en place, le patient ne pourra pas être pris en charge par un médecin spécialiste si, au départ de son parcours, il n’y a pas le feu vert de son médecin référant.
Cette innovation qui existe ailleurs permettra non seulement d’améliorer le parcours du malade et de maîtriser sa «vie médicale», mais aussi d’optimiser l’utilisation des ressources dont dispose le système national de santé tout en introduisant une rigueur dans le suivi et dans la dispensation des actes.
Bien que couplée à d’autres dispositions comme la contractualisation ou la mise en place d’un dossier électronique du patient adossé à un système national d’information, la seule mise en œuvre de la circonscription sanitaire est de nature à permettre rapidement de tirer profit de toutes les ressources dont dispose le système national de santé pour améliorer considérablement la qualité de la prise en charge du patient et arriver à avoir des soins conformes aux meilleurs standards comme l’a, à plusieurs reprises, demandé le Président Tebboune. Pour cela, il faudrait que le paradigme change et que la vision s’inscrive dans une démarche de cohérence globale. C’est faisable et les acteurs du terrain ne demandent qu’à être impliqués.
Cadre supérieur de l’Etat à la retraite