Des images qui font plaisir à voir : celles de ces processions de visiteurs descendant du tram à la station Pins Maritimes avant de se ruer par milliers sur les pavillons de la Safex qui abritent le SILA.
Cela sans compter les dizaines de milliers de lecteurs qui se déversent par flots ininterrompus en empruntant d’autres moyens de transport.
Et ça afflue quasiment des 48, non, des 58 wilayas. Des images qui viennent une nouvelle fois confirmer la popularité du SILA et prouver, si besoin est, que le livre a encore de beaux jours devant lui malgré la crise. Au milieu de ces foules compactes, il est difficile parfois de se frayer un chemin dans les travées de la Safex.
Par grosse affluence, surtout le week-end, on en a presque le vertige. «Mais on ne va pas se plaindre qu’il y ait du monde», nous glisse un éditeur pour qui, comme pour la majorité de ses confrères, le SILA est une bouffée d’oxygène. Les professionnels et les amoureux du livre ne peuvent raisonnablement pas bouder leur plaisir, en effet, de renouer avec ce grand rendez-vous littéraire et culturel après deux ans d’interruption.
Il faut dire que la grosse période de la pandémie et ses confinements a eu des conséquences terribles sur la filière du livre. Le marché était au point mort, les librairies étaient contraintes de fermer, et plusieurs d’entre elles ont dû mettre la clé sous la porte. C’est donc toute la chaîne du livre qui était impactée.
Et alors que la pandémie nous laisse enfin souffler un peu, force est de constater que cette 25e édition du SILA survient dans un contexte autrement plus difficile.
Après la Covid, la filière du livre est à présent confrontée à la pénurie de papier. Cette précieuse matière première est moins disponible sur le marché international et son prix a flambé. Ce qui aura nécessairement des répercussions sur l’industrie du livre.
La crise du papier a d’emblée obligé nombre de maisons d’édition à revoir à la baisse leurs nouvelles publications, et les bouquins disponibles seront forcément plus chers. Quand on sait que les ménages sont déjà confrontés à un recul effarant de leur pouvoir d’achat, l’accès aux livres sera encore plus inégalitaire. «Il va falloir choisir entre les livres et le Ramadhan», s’amusait un lecteur assidu rencontré au SILA. Ce n’est pas qu’une boutade.
On en est vraiment là aujourd’hui. Voilà qui pose la question du soutien qui doit être apporté au livre en Algérie. Comment faire en sorte que chacun y trouve son compte, de l’auteur au lecteur, en passant par l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur, le libraire… A défaut d’une formule-panacée, toutes les formes d’aide sont bonnes à prendre : soutien au papier et aux autres intrants, politique fiscale adaptée, acquisitions via les bibliothèques publiques, fonds d’aide à l’édition... Ces subventions ne sont pas un luxe. Et qu’on ne vienne surtout pas nous dire «enass ma taqrache», «les gens ne lisent pas».
Les cohortes de visiteurs se bousculant devant les portiques de la Safex depuis vendredi denier prouvent que l’engouement pour le SILA est intact. Et montrent surtout que les gens continuent à acheter des livres, à «consommer» des livres, dans toutes les disciplines. Tout cela pour dire que le soutien au livre est primordial. On parle ici d’un secteur qui rencontre une véritable demande sociale, qui crée de la richesse et des emplois, et surtout, un secteur qui dépasse de loin le strict cadre du business.
Ce dont il est question ici dépasse la notion de «marché du livre». Ce n’est pas une affaire de «capital», mais de capital symbolique. C’est un enjeu aussi important que la sécurité alimentaire. Il y va de notre «souveraineté culturelle». En cette année du 60e anniversaire de l’indépendance de notre pays, c’est un mot, un combat, qui prennent tout leur sens…