Point de vue / «La lettre du Président Macron fait abstraction du peuple sahraoui»

06/08/2024 mis à jour: 15:04
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La lettre du président Macron concédant des territoires  qui ne lui appartiennent pas à une tierce puissance est un événement qui, pour être compris,  a besoin de convoquer l’anthropologie coloniale plus que la géopolitique. 
 

En réalité,  il ne s’agit pas d'une inflexion de la position française qui n’a pas changé depuis 1975, année de l’abandon du Sahara occidental par l’Espagne, de son invasion par le Maroc et de  l’intervention de l’aviation française  contre les colonnes militaires du Polisario. Le roi Hassan II n’avait pas obtenu du général  de Gaulle  d’amputer l’Algérie de ses terres numidiennes unifiées par le roi Massinissa  il y a plus de 2000 ans avec des frontières établies et plus anciennes que  celles de la France et du  Maroc réunis. Valérie Giscard d’Estaing , chantre déclaré de l'Algérie française, avait fait une sorte de compensation territoriale différée  qui participe l’esprit  de la Conférence de Berlin de 1885 – qui avait divisé les grands royaumes et empires d’Afrique –  en encourageant l’annexion  par Rabat du Sahara occidental.  

Pour faire céder l’Algérie  qui n’avait pas accepté le fait accompli, Giscard d’Estaing avait recouru dès 1977  à toutes les formes de chantage dont le plus notable a été le départ volontaire ou forcé  de France  de 35 000  travailleurs émigrés algériens par an – 500 000 en 5 ans si l’on compte les femmes et les enfants – pour inverser le  flux migratoire organisé dans le cadre du fameux Accord  de 1968.  Il est utile de   rappeler  que cet Accord est intervenu suite à un fort besoin français en main-d’œuvre et s’inscrivait dans l’esprit des Accords d’Evian qui comportent des concessions  algériennes exorbitantes dans ses clauses militaires,  notamment   la présence de bases et les essais nucléaires. Les mesures prises par l’ex-président étaient destinées  également à faire payer à l’Algérie sa politique africaine et à fragiliser son régime non-aligné et proche du bloc socialiste,  elles  ont connu un début d’application contraignant pour nous mais heureusement  interrompu par l’arrivée  de  François Mitterrand en 1981. 

L’Accord de 1968 qui a été élevé au rang de priorité stratégique dans le débat interne français – notamment durant les périodes électorales – n’est plus d’aucune utilité pour l’Algérie, car il offre  très peu d’avantages  comparatifs avec les autres régimes et favoriserait même la fuite des compétences . Nous devrions nous en délier, nous n’y perdrons rien, au contraire nous gagnerons à ne plus être au centre du débat interne en France et  à donner moins de motifs à «l'Algérophobie» ambiante. A défaut d’avoir un soft power performant autant ne pas favoriser la multiplication de nos fragilités. 

C’est dans ce même esprit et avec les mêmes arrière-pensées que  le plan marocain d’autonomie de 2007 a été réfléchi, conçu et mis en forme à partir de 2006 au Quai d’Orsay sous  Jacques Chirac et repris une année après par Nicolas Sarkozy. 

Ce plan avait dès cette date provoqué des réticences au sein même  du makhzen et particulièrement du ministre l’Intérieur de l’époque, Driss El Basri qui estimait que  l’autonomie pouvait créer un précédent  susceptible d’être  instrumentalisé par les mouvements indépendantistes du Rif voisin. Le modèle des Lands allemands  peut peut-être répondre à une demande interne marocaine, mais ne peut engager ce pays qu’à l’ intérieur de  ses frontières internationales. Quant à vouloir imposer ce modèle aux Sahraouis dont la Cour internationale de justice a conclu en 1975 à l’absence de liens d’allégeance historique avec le Sultan du Maroc, cela relève  d’un déni du droit à l’autodétermination .

Nicolas Sarkozy,  faut-il le rappeler, est  également à l’origine de l’opération de mystification  qui a présenté  une prétendue demande algérienne de repentance comme préalable à toute normalisation des relations avec la France. En réalité, des présidents Ben Bella à Tebboune,  l’Algérie n’a jamais fait cette demande ni employé ce terme  qui relève chez nous de la sphère religieuse, alors qu’il est utilisé, par des  politiques en guise de  repoussoir, par certaines  élites comme narratif et comme  matière grasse par les médias français.

Le tropisme algérien prêté au président Macron pour l’Algérie est répété à l’envi ces derniers temps  par les chancelleries  et les médias français et relayé  parfois à Alger pour justifier ce qui est présenté comme une déception qui aurait conduit  à une inflexion. C’est pourtant  ce même Président qui avait en 2002 exprimé sans le faire démentir son déni de l’ histoire de l’Algérie présentée comme  un sous- produit de  la colonisation  et ses valeureux libérateurs, les Moudjahidine comme des rentiers de l'histoire.  

Comment peut -on  faire accroire que  le destin du Sahara occidental est consubstantiel à la qualité des relations algéro-françaises sans prendre le risque  de  présenter l’Algérie comme un pays sans doctrine anticolonialiste,  nous mettre en porte-à-faux avec notre propre identité et avec les principes les plus élémentaires des droits humains et des peuples à la libre détermination. La lettre du président Macron fait abstraction du peuple sahraoui et même si elle n’a aucun effet juridique tout comme celle de Trump, et s’arroge le droit napoléonien  de concéder des souverainetés comme du temps béni  des Empires . 

En réalité, la position française est essentiellement justifiée par le fait que  le Maroc est un  fidèle  allié historique de l’Occident, qu’il est soutenu inconditionnellement par les pays du Golfe et qu’il est le seul ami d’Israël dans notre région. Par ailleurs, l’affirmation de ce que l’on appelle le Sud Global comme acteur diplomatique majeur range l’Algérie parmi les pays  présentés comme hostiles à l’Occident. Enfin, la position sans concessions de l’Algérie sur la question palestinienne  dérange et provoque des crispations  au sein de la Ligue des Etats arabes et des pressions  notamment à New York.

Cette situation, même si elle n’est pas nouvelle,   réclame la révision de certains paradigmes dans la géopolitique de l’Algérie. En effet, pour l’Europe, notre pays constitue un marché sans barrières tarifaires  sans contrepartie en matières de divertissement et son fournisseur privilégié et fiable de produits énergétiques et potentiel  pourvoyeur d’hydrogène vert. 

Il est le garant de la stabilité des frontières avec le Sahel, ce qui réduit sensiblement le risque de flux massifs de migrants vers le sud de l'Europe au moment où d’autres pays,  comme le Maroc ou la Turquie, l’utilisent, peut-être à raison,  comme levier diplomatique. De même que nous coopérons avec nos partenaires sur les questions du terrorisme et d’autres formes de menaces sans en tirer des dividendes conséquentes sur le plan diplomatique. 

Ce tête-à-tête avec l’Europe nous coûte sur tous les plans alors, que notre pays satisfait aux conditions  qui le qualifient à une vocation universelle pour peu que nous ayons l’ambition d’accomplir quelque chose de grand.  Nous devons envisager sérieusement, pour le bien des générations futures – qu’il faut mieux se préparer à vivre avec le temps universel – de sortir de la logique de la  géographie comme socle exclusif  de la géostratégie et prendre nos décisions conformément à nos intérêts. 
 

Abdelaziz Rahabi , ancien ministre, diplomate 

 

 

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