«Les gens n'ont plus de biens, ils n'ont nulle part où aller. Il n'y a pas de place pour monter des tentes. Le surpeuplement, le manque crucial d'eau et la rareté des services de santé alimentent la propagation des maladies. Nous sommes incapables de répondre à l'énorme quantité de besoins», déplore MSF.
La multiplication des ordres d’évacuation à l’intention de la population de Ghaza, provoquant des vagues successives de déplacements forcés dans tous les secteurs et les gouvernorats de l’enclave assiégée, ne fait qu’aggraver la détresse d’une population civile aux abois.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), près de 90% de la population de la bande de Ghaza a perdu son domicile. «Il n’existe actuellement aucun endroit sûr dans la bande de Ghaza, où près de 90% de la population a été déplacée depuis octobre 2023», affirme le HCDH dans un message posté jeudi sur la plateforme X. «Les habitants de Ghaza ont été repoussés dans une zone étroite équivalant à seulement un dixième de la superficie de l’enclave», ajoute l’organisme onusien.
Pour le bureau gouvernemental des médias à Ghaza, «l’armée d’occupation étouffe délibérément 1,7 million de civils palestiniens en les entassant dans une zone étroite». Selon l’ONU, durant les trois premières semaines d'août, l'armée israélienne a émis 11 ordres d’évacuation, obligeant 250 000 Ghazaouis à quitter leurs abris, soit 12% de la population.
Ces ordres d’évacuation «poussent les gens dans des endroits bondés et insécurisés le long de la côte, rendant encore plus difficile pour les organisations humanitaires de travailler à Ghaza», déplore le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).
Le passage principal des convois humanitaires entravé
L’une des conséquences de ce nomadisme forcé est qu’il a «rendu difficiles la surveillance et le suivi des cas de malnutrition», notamment les enfants souffrant de famine aiguë. «Depuis la mi-janvier, près de 240 000 enfants de moins de cinq ans ont fait l’objet d’un dépistage de la malnutrition.
Sur l’ensemble des enfants dépistés, près de 15 000 ont été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition aiguë», relève l’OCHA. Les derniers ordres d’évacuation, émis mercredi, concernent des quartiers de Deir Al Balah et Khan Younès. Ces évacuations «touchent 115 sites abritant plus de 150 000 déplacés, dont 80 sites de fortune, 4 de l’UNRWA et 29 abris informels», détaille Onu-Info.
Les ordres d’évacuation émis courant août «ont coupé des pans entiers de la route de Salaheddine, passage principal des convois humanitaires», constate l’ONU, avant de préciser : «Cette situation a forcé l’aide à passer par la route côtière, difficilement praticable compte tenu des nombreux sites informels et des gens qui circulent, compliquant, voire rendant impossible le mouvement des camions.» «L’insécurité, les routes endommagées, l’effondrement de l’ordre public et les restrictions d’accès se sont aggravés le long de la principale route humanitaire entre le point de passage de Kerem Shalom et Khan Younès et Deir Al Balah», indique l’OCHA.
Les agences onusiennes font savoir en outre qu’à la mi-août «plus de 30 cuisines ont été contraintes de suspendre leur travail ou de se déplacer en raison des multiples ordres d’évacuation émis à Khan Younès et Deir Al Balah».
Autre conséquence à prendre en compte : la chute de la production agricole du fait des dégâts subis par les agriculteurs ghazaouis. «L’absence d’entrée de semences, d’engrais et d’autres intrants pour la production animale et végétale est un obstacle majeur au rétablissement de la production alimentaire locale à Ghaza», souligne l’OCHA.
Et de noter : «Les activités agricoles, y compris le jardinage à petite échelle, qui est essentiel pour améliorer la diversité alimentaire, restent largement suspendues.» Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU prévient : «Les conséquences de l’absence de la prochaine saison agricole seront probablement dévastatrices pour les moyens de subsistance de la population.»
L’OCHA met en garde par ailleurs sur le fait que les évacuations forcées «ont rendu inaccessibles trois puits d’eau dont se servent des dizaines de milliers de gens». «A Deir Al Balah, les réserves d’eau ont baissé de 70%, sans compter les pénuries d’équipements d’assainissement et d’hygiène», signale l’agence onusienne.
Des conditions de vie concentrationnaires
A Khan Younès, où les troupes israéliennes sont revenues en force, l’UNRWA redoute un impact des opérations militaires sur ce qui reste des installations essentielles. C’est le cas de «la station de pompage d’eau de Khan Younès qui vient d’être remise en état, et qui dessert quelque 100 000 personnes».
C’est également le cas «du centre de santé japonais de l’UNRWA à Khan Younès, qui a rouvert le mois dernier, et qui est destiné à jouer un rôle clé dans la prochaine campagne de vaccination contre la polio», explique l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens.
Il y a aussi «le centre de formation de Khan Younès, une grande installation désormais utilisée comme entrepôt pour stocker des fournitures humanitaires». «Sans cet entrepôt, nous ne pouvons pas acheminer l’aide et la placer n’importe où. Il n’y a plus d’entrepôt», déclare Louise Wateridge, porte-parole de l’UNRWA, citée par Onu-Info. «Il y a l’eau, les médicaments et les vaccins, et la distribution. Si l’une de ces installations est endommagée et détruite, cela va être désastreux», prévient-elle.
L’ONG Médecins sans frontières (MSF) s’est alarmée elle aussi des effets calamiteux de ces ordres d’évacuation à répétition, citant notamment les derniers mouvements de population à Deir Al Balah et Khan Younès. «Des milliers de personnes à Ghaza, y compris des membres du personnel de Médecins sans frontières, fuient vers différentes zones d’Al Mawasi après que les forces israéliennes aient émis des ordres d’évacuation pour Deir Al Balah et Khan Younès le 21 août», a déclaré MSF dans un communiqué diffusé jeudi.
Les déplacés qui s’entassent dans les camps d’Al Mawasi, et qui vivent dans des conditions concentrationnaires, «s’abritent dans des tentes surpeuplées, sans accès à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé», affirme l’ONG. Pour Jacob Granger, coordinateur de projet à MSF, «ce déplacement forcé continu des personnes est inhumain. Les gens n’ont plus de biens, ils n’ont nulle part où aller.
Il n’y a pas de place pour monter des tentes. Le surpeuplement, le manque crucial d’eau et la rareté des services de santé alimentent la propagation des maladies. Nous sommes incapables de répondre à l’énorme quantité de besoins.»
Julie Faucon, coordinatrice médicale au sein de Médecins sans frontières, établit de son côté cet autre constat glaçant : «Nous observons une augmentation des affections cutanées, comme la gale, très liées au manque d’eau et de produits d’hygiène, tels que le savon.
Les bombardements constants obligent les gens à chercher refuge dans un espace de plus en plus restreint, ce qui aggrave ces conditions et favorise la propagation des maladies, impactant surtout les plus vulnérables, comme les enfants.»