La justice américaine vient de débouter un groupe de militants des droits de l’homme et des membres de familles palestiniennes vivant à Ghaza dans leur plainte contre Washington pour complicité de génocide à Ghaza. La Cour d’appel fédérale a justifié sa décision par le fait que, par leurs demandes, les plaignants «soulevaient des questions politiques sur les affaires étrangères qui ne peuvent pas être tranchées par un tribunal». La décision prouve, encore une fois, le caractère sacré du soutien militaire, diplomatique et financier accordé par les Etats-Unis à Israël, et ce, même en pleine guerre génocidaire que ce dernier mène contre Ghaza, tuant plus de 38 000 Palestiniens et blessant plus de 82 000 autres, depuis seulement neuf mois.
Prévisible, la Cour d’appel fédérale pour le 9e circuit des Etats-Unis, dont le siège est à San Francisco, a rejeté, lundi, la plainte déposée par deux ONG palestiniennes de défense des droits de l’homme, «Pour les enfants de Palestine» et «Al Haq», ainsi que les résidants de Ghaza et des Américains d’origine palestinienne, à savoir Ahmad Abu Artema, Mohamed Ahmed Abu Rokbeh, Mohammed Herzallah, Laila El Haddad, Waeil Elbhassi, Bassim El Karra, Omar Al Najjar et le Dr Ayman Nijim, contre le président américain, Joe Biden, le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, et le secrétaire d’Etat à la Défense, Lloyd J. Austin, accusés de complicité de génocide, «en raison du soutien militaire, diplomatique et financier» apporté par les Etats-Unis à Israël, pendant la guerre génocidaire que ce dernier mène à Ghaza.
Les plaignants estimaient que «les accusés avaient violé leurs obligations de prévenir le génocide en vertu de l’article premier de la Convention sur le génocide, en fournissant une assistance militaire et une autre au gouvernement israélien». Le panel de trois magistrats de la Cour d’appel a donné raison au tribunal de district qui a qualifié la plainte de «non justiciable en vertu de la doctrine des questions politiques de l’action des plaignants visant à interdire au Président et à d’autres hauts responsables du pouvoir exécutif de fournir un soutien militaire, diplomatique et financier à Israël dans ses opérations en cours à Ghaza», lit-on dans la décision.
Celle-ci précise que l’ONG «Pour les enfants de Palestine» a «rendu les Etats-Unis complices du génocide en violation de l’article III(e) de la Convention sur le génocide et de sa législation d’application, qui fait du génocide un crime fédéral et a demandé une large gamme de mesures injonctives et déclaratives (…).
Le panel a conclu que la plainte des plaignants soulevait des questions politiques non justiciables. Le procès des plaignants placerait l’approche stratégique de notre pays face à un conflit mondial majeur sous les auspices d’un tribunal fédéral unique. Le procès des plaignants et les demandes extraordinaires de réparation ont soulevé des questions politiques fondées sur des questions relevant des branches du gouvernement qui exercent des prérogatives militaires et diplomatiques ».
Pour le panel, «les tribunaux ne déterminent pas les objectifs de sécurité nationale et géopolitiques des Etats-Unis». De ce fait, il a tout simplement rejeté «l’affirmation des plaignants selon laquelle le fait de centrer l’affaire sur les violations présumées des obligations légales la faisait sortir de la doctrine des questions politiques (…) invoquant des violations du droit international, les plaignants dans cette affaire nous demandent d’interdire au Président et à d’autres hauts responsables du pouvoir exécutif de fournir des services militaires, diplomatiques et financiers en soutien à Israël dans ses opérations en cours dans la bande de Ghaza (…) et une déclaration selon laquelle le soutien actuel des Etats-Unis à Israël est illégal. Nous estimons que le procès des plaignants n’est pas justiciable en vertu de la doctrine des questions politiques. Nous affirmons le rejet de la plainte».
«Les plaignants soulèvent des questions non justiciables»
Pour le panel de magistrats, les plaignants «prétendent qu’Israël commet un génocide à Ghaza contre le peuple palestinien et soutiennent que le soutien des Etats-Unis à Israël et son incapacité à empêcher le génocide présumé viole le droit international coutumier et la Convention sur le génocide, qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 et ratifiée par les Etats-Unis en 1988».
La plainte, est-il rappelé, fait valoir deux allégations : la violation par les accusés «de leurs obligations» de prévenir le génocide en vertu de l'article I(1) de la Convention sur le génocide, par exemple en omettant d’utiliser «l’influence considérable des Etats-Unis pour appeler à la fin des bombardements, interrompre les livraisons d’armes ou prendre mesures pour mettre fin au siège», mais aussi par «la fourniture par les Etats-Unis d’une assistance militaire, d’équipements, d’armes et d’autres formes de soutien au gouvernement israélien qui rend les Etats-Unis complices du génocide, en violation de l’article III(e) de la Convention sur le génocide et sa législation de mise en œuvre, qui fait du génocide un crime fédéral».
Pour la Cour d’appel, la plainte «exige une large gamme de mesures injonctives et déclaratoires» comme : «Ordonner aux accusés de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour exercer une influence sur Israël afin de mettre fin à ses bombardements sur le peuple palestinien de Ghaza», enjoindre «aux accusés d’aider, d’encourager, de permettre ou de faciliter la commission par Israël d’actes de génocide contre le peuple palestinien de Ghaza», notamment en interdisant aux «accusés de fournir, faciliter ou coordonner l’assistance militaire ou le financement d’Israël ; de lancer, d’agir, de poursuivre, d’accélérer ou de finaliser des ventes, des transferts ou des livraisons d’armes et d’armes à Israël ; et de fournir du matériel et du personnel militaires, faisant progresser la commission d’actes de génocide par Israël», enjoindre aux accusés aussi «de faire obstacle aux tentatives de la communauté internationale, y compris aux Nations unies, pour mettre en œuvre un cessez-le-feu à Ghaza et lever le siège de Ghaza».
Le tribunal de district a rejeté la plainte, explique la Cour d’appel, parce que les plaignants soulevaient «des questions politiques fondamentalement non justiciables». Pour elle, «bien que les tribunaux fédéraux tranchent des affaires à connotation politique, nous ne résolvons pas les questions politique (…) qui sont, par la Constitution et les lois, soumises à l’Exécutif» et «ne peuvent jamais être posées devant ce tribunal (…).
Cette exception étroite à notre exercice présumé de compétence est connue sous le nom de doctrine de la ''question politique'' (…) La doctrine est avant tout fonction de la séparation des pouvoirs.
Cela reflète le précepte fondamental, au cœur de notre forme de gouvernement, selon lequel les tribunaux fédéraux ne tranchent que sur les questions de droit, les pouvoirs élus définissant les politiques de notre nation. Parce que cette doctrine incarne une limite aux pouvoirs du pouvoir judiciaire (…), nous manquons de compétence pour résoudre les réclamations qui présentent un caractère politique (…).
L’octroi ou non d’une aide militaire ou autre à une nation étrangère est une décision politique intrinsèquement liée à la conduite des relations étrangères». Les magistrats ont par ailleurs ajouté que «les plaignants ont soutenu que les actions de l’armée israélienne violaient le droit international et que Caterpillar avait aidé et encouragé ces violations en fournissant les bulldozers (…) Nous avons estimé que parce que les Etats-Unis avaient financé les ventes de bulldozers à Israël, les allégations des plaignants présentaient des questions politiques non justiciables.
La raison était simple : « permettre que cette action se poursuive nécessiterait nécessairement que le pouvoir judiciaire de notre gouvernement remette en question la décision du pouvoir politique d’accorder une aide militaire importante à Israël.
La doctrine de la question politique s’est appliquée parce que «qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’inculper indirectement Israël pour avoir violé le droit international avec du matériel militaire que le gouvernement des États-Unis a fourni et continue de fournir (…) des « décisions et stratégies militaires » que les États-Unis ont suivies à l’égard d’Israël, l’étendue de l’influence des Etats-Unis sur Israël».
Le désarroi du juge du district
Le panel a en outre rappelé que si le tribunal de district a conclu que les réclamations des plaignants «soulevaient des questions politiques fondamentalement non justiciables», il a également commenté le bien-fondé des arguments des plaignants. Entre autres choses, le tribunal de district a déclaré que «le traitement actuel des Palestiniens dans la bande de Ghaza par l’armée israélienne peut vraisemblablement constituer un génocide en violation du droit international».
Dans la mesure où les plaignants interprètent les commentaires du tribunal de district comme des conclusions factuelles, ils ont tort. «Etant donné que le tribunal de district n’avait pas compétence en la matière, les conclusions factuelles alléguées et les commentaires connexes n’ont aucune force juridique.
Une fois qu’il est déterminé que les revendications soulèvent des questions politiques, l’enquête judiciaire prend fin.» Cette affaire, faut-il le rappeler, a été engagée au mois de novembre 2023, avant d’être jugée par le juge de district qui a rendu son ordonnance le 31 janvier dernier. Dans son exposé, il explique qu’il «existe de rares cas dans lesquels le résultat souhaité est inaccessible à la Cour. C’est un de ces cas».
La Cour est liée par «le précédent et la division de nos branches coordonnées du gouvernement de s’abstenir d’exercer sa compétence dans cette affaire». Une décision dont le contenu laisse transparaître le désarroi du magistrat. Il reconnaît : «Pourtant, comme l’a constaté la CIJ, il est plausible que la conduite d’Israël équivaut à un génocide.
Cette Cour implore les défendeurs d’examiner les résultats de leur soutien indéfectible au siège militaire contre les Palestiniens à Ghaza», avant de déclarer que la cour «accueille la requête des défendeurs en rejet sans autorisation de modification et refuse (leur) requête pour une injonction préliminaire».
Dans cette décision, le juge a cité de nombreuses preuves qui, selon lui, démontrent que «le siège militaire en cours à Ghaza par Israël vise à éradiquer tout un peuple et relève donc vraisemblablement de l’interdiction internationale du génocide». Selon l’agence de presse britannique Reuters, «le juge de district américain Jeffrey White, nommé par l’ancien président républicain George W. Bush à Oakland», a rejeté la plainte à contrecœur, affirmant que «le résultat souhaité est inaccessible à la Cour».
White a cité des preuves qui, selon lui, montrent que «le siège militaire en cours à Ghaza par Israël vise à éradiquer tout un peuple et relève donc vraisemblablement de l’interdiction internationale du génocide».
Mais il a déclaré qu’il était tenu, en vertu de la doctrine dite de la question politique, de conclure que leurs revendications ne pouvaient pas être entendues devant un tribunal, car elles soulevaient un différend sur la politique étrangère qu’il appartient aux pouvoirs législatif et exécutif de régler.
«Le 9e Circuit a donné raison à un panel non signé qui comprenait les juges du circuit américain Consuelo Callahan et Daniel Bress, tous deux nommés par des présidents républicains, et Jacqueline Nguyen, nommée par l’ancien président démocrate Barack Obama».
Pour Reuters, «les déclarations de White sur la plausibilité du traitement des Palestiniens par Israël comme constituant un génocide», le panel a répondu que «les conclusions factuelles et les commentaires associés n’ont aucune force juridique» et a précisé en outre que «le juge Callahan a rejoint l’affaire après que le juge de circuit américain Ryan Nelson, nommé par l’ancien président républicain Donald Trump, se soit récusé à la demande des plaignants après avoir rejoint un voyage avec d’autres juges en Israël, après le 7 octobre au cours duquel la délégation a rencontré des responsables israéliens». C’est dire combien l’influence israélienne est pesante sur toutes les institutions américaines, y compris la justice.