La 55e édition promet d’être un bon cru. Bien que de prometteurs indices laissent penser que la 55e édition du Festival national de théâtre amateur de Mostaganem sera d’un niveau élevé, d’autres n’encouragent guère à l’optimisme quant à la bonne santé de la pratique théâtrale en amateur, notamment à l’est du pays.
Au vu des spectacles présentés à Témouchent pour la sélection à l’ouest du pays des plus méritoires d’entre eux afin de figurer en compétition au programme du Festival de Mosta, comme au regard des échos sur ce qui s’est esquissé lors de la sélection à Tizi Ouzou pour le Centre, il ressort que l’affiche de la 55ᵉ édition du festival promet d’être d’un niveau relevé, selon la pétillante Moufida Addes, membre de la commission de sélection.
C’est ce que laissent également penser quelques spectacles, du moins ceux du premier jour, présentés en la salle de la maison de la culture Aïssa Messaoudi. Citons à titre d’exemple, l’âpre et scotchant spectacle présenté par la troupe El Moudja de Mostaganem. Elle s’est coltiné à une tragédie moderne aussi vieille que l’est l’humanité en ce qu’elle revisite le mythe d’Œdipe et l’inceste commis par lui avec sa génitrice, ce qui s’est conclu par la naissance d’une fille et d’un garçon qui sont tout autant ses enfants que ses frères et sœurs dont la destinée est frappée, elle aussi, par une sanglante tragédie.
Cependant, dans le cas de Incendies, la pièce de Wajdi Mouawad montée par El Moudja, la malédiction des divinités n’y est pour rien. C’est plutôt la folie des hommes lorsqu’ils s’abaissent au rang de monstres. Ainsi, si Œdipe autant que sa mère, chez Sophocle, est une victime pour n’avoir rien prémédité, cela n’est pas le cas du geôlier de Nawal Marwan qui commet sur elle un crime de viol dans d’atroces circonstances.
L’intrigue se dévoile crescendo dans une horreur croissante. Elle commence avec le décès de la suppliciée qui, par testament, charge ses enfants, Jeanne et Simon, conçus en prison, de rechercher leur père et leur frère dont ils ignoraient l’existence. C’est sur un chemin de croix qu’elle les engage, leur donnant à découvrir le visage hideux de la barbarie, d’où le titre de la pièce.
Wajdi Mouawad, un Canado-Libanais et l’un des dramaturges actuellement les plus en vue sur la scène mondiale, s’est inspiré de la bouleversante histoire de Souha Bechara, une militante communiste, opposée à l’occupation israélienne du sud Liban et à une milice supplétive de l’occupant. Elle a été arrêtée après l’attentat mené par elle sur la personne du général Antoine Lahad, le chef de cette milice dite «Armée du Liban Sud». Elle est captive plusieurs années durant dans un camp de détention ouvert par Israël, dans des conditions rappelant celle de la tristement célèbre prison de Guantánamo. Néanmoins, la dramaturgie de Incendies s’est également nourrie de la vie de l’auteur dans sa jeunesse, notamment de ses cauchemardesques souvenirs de réfugié de guerre au pays de ses origines.
Ce qui frappe dans la représentation du spectacle, c’est l’extrême jeunesse des interprètes, à peine issus de l’adolescence pour la plupart, de sorte que leurs émotions dans le jeu sont davantage vécues que simulées, ce qui ne les rend que plus poignantes. Le fil narratif entremêle tout autant qu’il dissocie différents lieux et époques, ce que visualise une efficace scénographie, usant d’un dispositif scénique simple sur lequel des espaces et des temporalités sont dessinés par divers jeux de lumières.
Par ailleurs, les évolutions scéniques des personnages étant limitées, cela empreint la représentation d’une atmosphère concentrationnaire. On se déplace peu contrairement à l’habitude chez El Moudja, une troupe connue pour un jeu nourri de biomécanique. C’est que, pour être verbeuse, la pièce ne l’autorise pas, occupant l’essentiel du jeu des comédiens. Ainsi, leur jeu bridé par l’économie de mouvement est compensé par d’autres ressorts accentuant la densité dramatique du propos scénique : les costumes, leur découpe et leurs couleurs, les multiples jeux de lumière, les registres de la voix, l’expression corporelle, la gestuelle…
C’est du bon théâtre amateur lorsqu’il s’appuie sur des textes d’auteurs confirmés. Pour mémoire, le spectacle a été monté par un enfant d’El Moudja, qui y a été formé et qui exerce présentement son métier d’artiste à l’étranger, de l’autre côté de la Méditerranée. Il s’agit de Smaïn Benmhaïn qui l’a traduit en darja et a de la sorte payé en partie sa dette envers El Moudja. Hasard de la programmation, juste avant la représentation de Incendies, Assabi’ mabtoura l’a été par une troupe de Sidi Bel Abbès. Mais, hasard ou pas, il y a entre les deux une frappante similitude dans la thématique.
Théâtre dit «moumtaz»
En effet, Doigts arrachés, par la torture s’entend, porte sur notre tragédie nationale vécue durant la décennie 1990. Elle a été écrite par l’universitaire et homme de théâtre Driss Gargoua qui, soit dit en passant, a contribué à redonner un nouveau souffle au théâtre amateur dans les années 1990, en instituant à Sidi Bel Abbès un très couru festival de théâtre dit « moumtaz ». La mise en scène du spectacle a été assurée par Zitouni Boumédienne, membre de la coopérative théâtrale El Halqa fondée par Gargoua.
Nous n’avons pu assister qu’à la fin de cette tragédie qui réunit dans un infernal huis clos un soldat de l’ANP capturé dans un accrochage par un chef terroriste qui lui fait subir les pires sévices. Il meurt sous la torture sans avoir avoué quelque secret militaire.
Le tortionnaire, en fouillant le contenu du smarthphone de sa victime, découvre après coup, au vu des photos qui y étaient emmagasinées, qu’il s’agit de son fils conçu avec une «Ghanima» qui avait réussi à s’échapper. D’évidence, il est plus que certain que ces deux spectacles seront suivis par de passionnés débats. Ce sera tant mieux. Sollicitée, la pétillante Moufida Addès, comédienne, membre de la commission de sélection, se réjouit de la qualité des spectacles dont elle a pris la mesure à l’ouest du pays, ce qui la réconforte de ce qu’elle a observé à l’est.
A ce propos, elle déclare sa consternation par le déclin de l’activité théâtrale dans cette région qu’elle connait bien ; une activité qui y a été florissante avec pas moins de trois à cinq troupes par wilaya. Ainsi, sur les 54 demandes de participation reçues, il n’y figure qu’à peine 1/10 pour la région est. Pourtant, souligne-t-elle, il y existe des théâtres et des maisons de la culture en mesure d’impulser une dynamique dans la pratique. En comparaison à ce qui est par rapport au centre du pays, note-t-elle en outre, «il y a eu 18 à 19 troupes qui ont participé à la sélection, chacune comprenant un effectif de pas moins de quinze membre, et ce qui ne gâte rien, le niveau général s’y situe bien au-delà de la moyenne».
Ce qui, par ailleurs, a ébaubi notre interlocutrice, c’est l’énergie que dégagent les amateurs. Elle a constaté qu’ils possèdent une plus large palette de compétences qui était limitée chez leurs prédécesseurs qu’à l’écriture et au jeu : «Ils font preuve d’une ingéniosité remarquable dans l’usage de la technologie, insufflant une spectacularité notable à leur prestation scénique. Nombre d’entre eux sont des ingénieurs, des musiciens…
A cet égard, elle cite l’exemple d’une troupe oranaise dont le spectacle a ouvert la sélection à Témouchent. Il a été monté par des étudiants du département des arts dramatiques à l’université. Le savoir et la technicité qu’ils ont acquis dans leur cursus universitaire étaient traduits un dynamique traitement scénique comme par le choix du thème de la pièce, celui de la délicate relation au sein du couple et plus précisément de la communication en son sein : «En somme, ce qui fait défaut aux amateurs, c’est un encadrement en matière de formation, ce qui permettra de capitaliser l’énergie qui les anime». Y a-t-il un bon entendeur ?