Une petite chambre aux allures de studette étudiante, nichée entre des bureaux et des salles de réunion, à quelques pas de la célèbre avenue des Champs-Elysées à Paris. C’est là que Tame passe désormais ses nuits, lui qui dormait à la rue il y a encore quelques mois.
Le soir, ce jeune Ethiopien a désormais un toit : celui du siège social de la Fondation de France, un réseau d’associations philanthropes. Au deuxième étage, dans un local habituellement inutilisé d’une quinzaine de mètres carrés, les salariés lui ont aménagé un lit une place et un bureau où il peut travailler ses cours de français. «La première nuit, j’avais peur, maintenant, je suis content d’être ici», sourit timidement le jeune homme qui a le statut de réfugié politique. Comme Tame, 260 personnes en situation de mal-logement ont trouvé depuis deux ans un point de chute temporaire grâce à l’association les Bureaux du cœur, créée en 2021.
Partout en France, plus d’une centaine d’entreprises leur prêtent une de leurs pièces, généralement, une salle de réunion. Après les horaires de travail, elles peuvent y dormir, prendre une douche et pourquoi pas se préparer à manger. «Lorsque j’ai évoqué cette idée à mes collaborateurs, ça a tout de suite été un grand oui», se réjouit Anna Jardin-Lévêque, présidente de l’entreprise Handicall, un centre d’appel qui salarie des personnes en situation de handicap. Elle participe depuis juillet au dispositif des Bureaux du cœur. Deux jeunes ont pu successivement être logés dans un de ses bureaux à Etampes en région parisienne. Le premier y est resté cinq mois, le temps de finir une formation professionnelle. Après avoir décroché un emploi, il a quitté son lit pliant de la salle de réunion pour emménager dans un foyer de jeunes travailleurs.
Six mois maximum
Toutes les personnes logées doivent en effet s’impliquer dans la recherche d’un emploi et d’un logement. C’est une condition sine qua non que pose l’association qui restreint par ailleurs à six mois la durée maximale de l’accueil. Toujours pour rassurer les entreprises, les participants ne doivent souffrir ni d’addiction ni de troubles psychiatriques. Ils n’ont par ailleurs pas le droit d’inviter des personnes dans les locaux qu’on leur prête.
«90% du temps, cela se passe bien», assure Juliette Baud, bénévole parisienne des Bureaux du cœur. «La plus grosse appréhension des entreprises, c’est de savoir ce qu’ils peuvent faire s’il y a un problème. C’est rare mais c’est déjà arrivé, et on a tout simplement interrompu l’accueil.» Anna Jardin-Lévêque abonde : «Quelqu’un dans le besoin ne va pas se tirer une balle dans le pied en ne respectant pas les lieux.» Sur les 20 personnes actuellement hébergées à Paris, trois sont des femmes, explique Juliette Baud : «Elles sont minoritaires certainement car dans cette tranche d’âge, elles ont souvent des enfants à charge» ce qui les rend inéligibles à cet accueil particulier. Si la plupart des entreprises participantes sont des PME, elles ne relèvent pas toutes de l’économie sociale et solidaire comme Handicall : «Nous avons récemment signé avec un grand groupe de l’agroalimentaire, par exemple», atteste la bénévole. Les conditions pour devenir entreprise hôte sont assez simples : disposer d’une pièce où peut être installé un canapé-lit, de toilettes à côté et d’un espace avec frigo et four micro-ondes. Il faut également convaincre les assureurs, car le contrat habituel ne prévoit pas d’accueillir des personnes en dehors des heures de travail.
«Lorsque j’ai appelé le mien, il a trouvé le projet super et j’ai eu un accord en douze heures», s’amuse Anna Jardin-Lévêque. Tous sont conscients que ce dispositif n’est pas le remède miracle contre le sans-abrisme. Mais «les Bureaux du cœur peuvent être une pièce de l’engrenage qui permet d’aller un peu plus loin», espère Thierry Ployart, responsable de l’environnement de travail de la Fondation de France.