Bachtarzi aux Etats-Unis : le voyage tardif, est le titre du nouvel ouvrage (66 pages) de H’mida Layachi, paru chez Dar El Watan. Préfacé par le romancier Saïd Khatibi, ce récit écrit en arabe met en lumière une portion méconnue de la vie d’un intellectuel éclairé, quelque peu controversé, défenseur de la musique andalou et l’un des noms les plus marquants du théâtre algérien.
Bachtarzi aux Etats-Unis, le voyage tardif, est un travail réalisé dans le cadre d’un séminaire sur «Le théâtre et les formes des spectacles populaires en Algérie à travers les écrits des voyageurs arabes et européens», qui s’est déroulé du 22 au 26 mai dernier à Djelfa. L’ouvrage a vu le jour grâce aux concours du Théâtre régional Ahmed Benbouzid (TRD), l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l’audiovisuel de Bordj El Kiffan à Alger (ISMAS) et l’Arab Theatre Institute qui est basé aux Emirats arabes unis, avec le parrainage du ministère de la Culture et des Arts.
H’mida Ayachi propose, à travers ce récit, de remettre au goût du jour la littérature du voyage, non sans tenter de contextualiser la trajectoire d’un intellectuel prolifique. Bachtarzi n’avait pas programmé cette escapade dans le pays de la démesure, «porte-flambeau de l’impérialisme mondial l’époque, à contresens de l’euphorie suscitée par les mouvements de libération auxquels contribua considérablement l’Algérie», explique l’auteur. L’idée de fouler le sol américain revient au conseiller culturel américain l’époque, un certain Burns, écrit H’mida qui s’est basé sur les mémoires de Bachtarzi (ENAG, le livre a été réédité en1982) et de divers autres fonds documentaires. Burns, tromboniste, fréquentait à l’époque l’Institut de musique d’Alger, dirigé alors par Bachtarzi. «Burns avait chargé son adjoint, Brown, d’organiser le voyage de Bachtarzi.
Eux mêmes s’apprêtaient à quitter l’Algérie, après la fin de leur mission, lorsqu’ils lui ont proposé de visiter l’Amérique», nous apprend l’auteur. Les Etats-Unis avaient fermé leur représentation diplomatique en Algérie dans les années 1960 en raison essentiellement du conflit palestinien. L’ambassade suisse a représenté les intérêts américains en Algérie en de 1967 à 1974. Bachtarzi a, révèle l’auteur, séjourné «quelques jours ou quelques semaines aux Etats-Unis». Un séjour à New York évoqué dans les dernières pages de ses mémoires (Tome 3).
New York, la ville de la démesure
Le 4 septembre 1973 (page 367), l’avion atterrit à l’aéroport de New York après 6 heures de vol. Burns et Brown l’accueillent à sa descente de l’avion avant de le confier à un jeune guide américain, Hudson, étudiant de 22 ans.
C’était pour Houdson l’occasion de perfectionner son français au contact de Bachtarzi. Les mémoires sur lesquelles s’est basé l’auteur contiennent des indications précises, foisonnantes. Bachtarzi y décrit avec minutie le mode de vie new-yorkais, la culture-spectacle, le gigantisme américain, Broadway et le brassage ethnique d’une société qui se révèle très en avance sur les pays de la «vieille» Europe.
L’auteur fait remarquer que le voyage de Bachtarzi aux Etats-Unis a coïncidé avec trois évènements majeurs : le sommet des non-alignés à Alger, la guerre d’Octobre 1973 et la création du FrontPolisario. «Pour un intellectuel arabe, faire le voyage aux USA dans ce contexte-considérés comme l’Axe du mal «n’était pas sans conséquence», note-t-il.
«D’ailleurs dans ses mémoires, Bachtarzi parle l’accueil des officiels américains avec beaucoup de méfiance. Craignait-il qu’on l’accuse d’être à la solde d el’impérialisme ?», se pose la question l’auteur.
Pour Ayachi, Bachtarzi a subi un certain ostracisme dans un contexte politique et idéologique caractérisé par un autoritarisme post indépendance.
Dans Bachtarzi aux Etats-Unis : le voyage tardif, l’auteur met en évidence les parcours distincts de deux écrivains, créateurs et hommes de théâtre : Mahieddeine Bachtarzi et Kateb Yacine.
«L’un a découvert l’Amérique à la fin de sa vie, l’autre a parcouru les pays de l’ex-URSS, les Républiques islamiques d’Asie et visité La Mecque (Edition Khayal). S’ils donnent l’impression d’être diamétralement opposé sur le plan politique, idéologique et esthétique, les deux hommes ont toutefois en commun le fait d’avoir œuvrer à mettre en place les fondements d’un théâtre populaire en Algérie», estime H’mida.
Né à La Casbah d’Alger en 1897, Mahieddine Bachtarzi a suivi des études coraniques à la Médersa.
A quinze ans, il officiera du fait de l’exceptionnelle qualité de sa voix, comme récitateur du Coran à la mosquée de Djamaa Jdid d’Alger.
Après une longue carrière de ténor, de comédien, d’auteur dramatique et de directeur de troupe, il a publié la première partie de ses mémoires (tome 1), qui s’étend de 1919à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Pour lui, la musique puis le théâtre sont des moyens de communication et d’éveil des consciences. Il se fait l’écho de tous les événements politiques que connaît l’Algérie dans les années 1930, dans un contexte colonial des plus difficiles.
Il consigne consciencieusement chaque événement artistique et culturel dans ses moindres détails.