Alors que la campagne de cueillette des olives tire à sa fin à travers les 67 communes de la wilaya ayant atteint un taux de 87%, selon les chiffres communiqués par la direction locale des services agricoles (DSA), les huileries continuent à triturer les petits fruits pour en extraire le fameux liquide jaune tant apprécié localement et partout ailleurs. Un travail que les oléifacteurs effectuent avec passion, œuvrant toujours à produire une huile d’olive de qualité, ne tarissant pas, pour ce faire, sur les conseils qu’ils prodiguent aux propriétaires d’oliveraies sur les bonnes pratiques de cueillette et de stockage des olives afin d’obtenir une huile vierge, voire extra vierge, a-t-on constaté au niveau de certaines huileries. C’est le cas de Hakim Lamrani, propriétaire de l’huilerie Azifour, du village éponyme, dans la commune de Aïn Zaouia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Tizi Ouzou, qui vivait à l’étranger et avait fait le choix de rentrer au pays pour investir dans la filière oléicole. «Je vivais en Norvège où j’étais employé dans une grande société. Un jour, j’ai rencontré un Algérien qui m’a conseillé de rentrer au pays pour investir dans la filière oléicole, lui ne pouvant le faire étant âgé, et c’est à partir de là que j’ai commencé mon aventure dans la filière», raconte M. Lamrani. Rentré en Algérie, Hakim Lamrani s’est d’abord renseigné sur la réalité et l’état des lieux de la filière. «Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup à faire si nous voulions produire une huile d’olive de qualité, saine et répondant aux normes d’exportabilité», a-t-il dit. Enfant d’une famille d’agriculteurs depuis des générations, Hakim a choisi d’investir dans une huilerie traditionnelle qu’il a installée dans son village au sein de l’exploitation familiale qui s’étend sur 200 ha. «La première huilerie familiale a été ouverte par mes aïeux en 1922 ou 1923 alors que la dernière a été fermée en 1956», a-t-il dit, se basant sur les témoignages des vieux de sa région. Dans sa huilerie, un tas de grignons est posé à proximité d’une chaudière fonctionnant avec ce combustible qui était jadis très apprécié en Kabylie pour la qualité de sa combustion. Dehors, quelques sacs d’olives et trois caisses remplies de ces fruits fraîchement cueillis, attendent d’être triturés. Le broyeur-malaxeur tourne écrasant les olives et malaxant la pâte le temps nécessaire pour en libérer l’essence, «une bonne quarantaine de minutes», relève M. Lamrani. La pâte est ensuite pressée pour en extraire l’huile. «Qu’il s’agisse d’une huilerie traditionnelle ou moderne, c’est la durée du malaxage qui détermine la quantité d’huile extraite, tout comme la qualité du fruit, trituré idéalement dans les 72 heures après la cueillette, détermine la qualité de l’huile et son taux d’acidité», a-t-il expliqué. Mohamed Mohammedi, de la commune de Tizi Gheniff, est un autre oléiculteur passionné par son métier qu’il effectue consciencieusement, ne perdant pas de vue son objectif principal, mettre sur le marché un produit de qualité, biologique et respectueux de l’environnement. Il a fait appel au dispositif du Fonds national de régulation et de développement agricole (FNRDA), pour créer, en 1991, une exploitation agricole individuelle (EAI) de 11 ha, où il a planté des oliviers, installé une unité de trituration d’olives, dotée de deux chaînes, entrée en activité en 1998, et pratique d’autres activités agricoles dont l’élevage. C’est dans un cadre bucolique, au sein de son exploitation riche de 3500 oliviers superbement alignés et bien entretenus, cultivés biologiquement sans aucun produit chimique, que M. Mohammedi a reçu l’APS, pour parler de sa passion pour l’oléiculture. Sa quête est de produire une huile extra vierge et biologique répondant aux normes internationales. Défi relevé pour ce producteur, puisque «Kabylia», nom commercial de son huile, s’exporte depuis 2006 vers l’Amérique du nord et l’Europe, en France, Belgique et Suisse, selon ses propos.
Organiser la filière et protéger l’environnement
Organiser la filière oléicole dans la wilaya de Tizi Ouzou, qui comprend un verger oléicole s’étendant sur 38 000 ha, et protéger l’environnement de la pollution par les sous produits des huileries, sont les deux projets ambitieux de MM Lamrani et Mohammedi. L’organisation passe par la structuration des oléiculteurs autour d’un seul objectif et c’est ce que M. Lamrani a réussi à faire en créant en 2021 une coopérative regroupant 30 huileries réparties sur quatre daïras de la partie sud-ouest de la wilaya qui sont Draa El Mizan, Boghni, Les Ouadhias et Maâtkas, dont le siège est à Ain Zaouia. L’objectif principal de cette coopérative est de développer et promouvoir la filière, à commencer par l’amélioration du processus de production d’huile, l’entretien du verger, la cueillette et la trituration, le stockage de l’huile, pour obtenir un produit bénéfique pour la santé et exportable.
Il s’agit aussi de changer les habitudes culinaires des consommateurs afin qu’ils optent pour l’huile vierge et extra vierge, a-t-il dit. Cette structure, présidée par M. Lamrani, se penchera également sur les problèmes de commercialisation et le phénomène de la «triche» opéré par certains, qui «nuisent à la filière en mettant sur le marché une huile frelatée, impropre à la consommation voire nocive pour la santé», a-t-il dénoncé. «Il s’agit aussi de préserver ce patrimoine qui véhicule toute une histoire. L’huile d’olive ayant été un produit qui a joué un rôle non négligeable durant la guerre de libération nationale en étant l’un des aliments principaux des Moudjahidine, notamment durant les rudes hivers de l’époque. Leur repas était souvent constitué de galettes, quelques figues sèches et de l’huile d’olive», a rappelé l’oléifacteur. Les huileries de la wilaya qui faisaient partie de l’économie locale de l’époque étaient la cible de l’armée coloniale qui les avait bombardées et détruites. De son côté, M. Mohammedi s’est lancé dans deux projets, obtenir le label bio pour son huile, et créer une unité de traitement des sous produits oléicoles, la pulpe et le grignon d’olive, dont l’objectif et de récupérer ces produits et éviter qu’ils ne soient déverser dans la nature. Etant trop acides et trop riches en polyphénols, les sous produits oléicoles présentent «une toxicité pour les plantes», affirment une étude de Hadjer Boudabia et Keira Dahou de l’université de Ghardaïa, sur «La valorisation de la fraction organique des résidus agricoles et sous produits oléicoles par la co-methanisation».
L’étude affirme que «les grignons d’olives ne doivent pas être rejetés dans la nature, mais peuvent être transformés en engrais biologique pour enrichir le sol, après leur compostage». Pour son premier projet, Mohammedi a entamé la démarche pour obtenir le label bio en 2016, mais sans résultat, regrette-t-il, affirmant qu’il a relancé son dossier dans le cadre du Programme d’appui et de soutien à l’agriculture (PASA), mis en œuvre en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Son autre projet de traitement des sous-produits des olives remonte à 2009, lorsque M. Mohammedi a entamé des démarches pour installer une unité de traitement de grignons afin de séparer les noyaux de la pulpe. Cette dernière sera transformée en composte à utiliser comme engrais bio. Concernant les noyaux, il explique qu’ils seront destinés à l’exportation, relevant avoir signé un partenariat avec un opérateur italien, dans ce sens. «J’ai fait les essais manuellement et j’ai même envoyé un conteneur de noyaux de grignons à la Sardaigne (Italie) et ça a donné de très bons résultats», a-t-il indiqué. Autant de projets qui reflètent la volonté des oléiculteurs passionnés par leur métier, qui ont choisi d’investir dans leur pays, et qui veulent promouvoir la filière et préserver tout le patrimoine qui l’entoure, dont les pratiques agricoles, l’art culinaire, l’huile d’olive étant un des produits de base de la cuisine locale, et aussi la fabrication de savon artisanale et par là même toute la culture de la région, estiment les deux oléifacteurs.