De l’eau pure (H2O) et du sel ? L’eau de mer, c’est bien plus que cela en réalité. D’ailleurs, nombre de biologistes marins décrivent celle-ci comme une véritable «soupe» de molécules dissoutes, émises par les êtres vivants, visibles ou microscopiques, qui peuplent les océans.
Qu’il s’agisse de simples déchets rejetés par les organismes ou de messagers chimiques destinés à leurs congénères, certaines substances ont un potentiel majeur pour le développement de nouveaux médicaments ou de procédés industriels révolutionnaires. Encore faut-il pouvoir les détecter ! C’est là qu’entre en jeu un dispositif présenté par une équipe d’Aix-Marseille Université dans la revue ACS Central Science (8 novembre 2023). Son nom : In Situ Marine moleculE Logger (enregistreur de molécules marines in situ), abrégé en I-SMEL – un jeu de mots avec la phrase «I smell», «je sens» en français.
Si l’on connaissait déjà les «nez artificiels» – des machines imitant les cellules olfactives animales pour analyser les odeurs – fonctionnant, à l’instar de notre nez, dans l’air, il s’agit cette fois-ci d’un équivalent qui fonctionne sous l’eau. Etanche, l’appareil est tenu en mains par un plongeur et pompe l’eau de mer à travers des disques semblables à des cotons démaquillants qui «adsorbent» (piègent en surface) les molécules, analysées ensuite en laboratoire.
Les auteurs ne l’ont pas testé en pleine mer mais dans un milieu délimité, à savoir des grottes sous-marines de la mer Méditerranée, profondes d’une vingtaine de mètres et peuplées, notamment par des éponges. D’après leurs résultats, I-SMEL est capable de concentrer les molécules présentes dans l’eau de ces grottes. En outre, parmi les substances captées par l’appareil figuraient des «structures moléculaires inconnues» – peut-être, sait-on jamais, de futurs médicaments ? On pourrait cependant s’interroger : pourquoi, au sein d’un milieu délimité comme des grottes sous-marines, examiner l’eau et non pas prélever directement des échantillons d’éponges et d’autres animaux marins qui s’y trouvent ?
D’abord, parce que les chercheurs ont souhaité développer un outil «non-invasif», c’est-à-dire qui n’abîme pas l’écosystème fragile. Autre raison, qui peut nous sembler plus surprenante : les substances sont parfois plus concentrées dans l’eau que dans l’organisme qui les a produites ! Ainsi, l’aéroplysinine-1 – connue pour ses puissants effets antibiotiques – était environ 20 fois plus abondante dans l’eau de mer que dans un extrait de l’éponge cavernicole jaune (Aplysina cavernicola) qui la synthétise, écrivent les auteurs.
Les chercheurs soulignent le fait que I-SMEL représente selon eux non seulement un moyen non invasif de détecter de nouvelles molécules «en vue de futurs efforts de découverte de médicaments», mais aussi «d’obtenir des informations sur la santé d’un écosystème». Prochaine étape : adapter le dispositif pour qu’il puisse fonctionner de façon autonome, contrôlable à distance et sur de longs trajets.
GEO Environnement