Océanographie : A l’écoute des profondeurs de l’Antarctique

05/03/2024 mis à jour: 18:22
AFP
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Des plongeurs de la marine colombienne prélèvent des échantillons sur l’île Livingston, dans les îles Shetland du Sud, en Antarctique

Dans les profondeurs de l’Antarctique, des microphones immergés recueillent des sons de «vaisseaux spatiaux» et une variété de bourdonnements «impressionnants», explique la scientifique colombienne, Andrea Bonilla, à l’écoute de la vie sous-marine lors d’une expédition aux confins du continent blanc. 

La biologiste de l’université Cornell de New York immerge à 500 mètres de profondeur des hydrophones enveloppés de titane qui enregistreront une année entière ces ondes sonores des profondeurs. Une fois déchiffrées, elles permettront de comprendre le comportement des mammifères marins et leurs déplacements pendant l’hiver austral, lorsque l’Antarctique devient presque inhabitable. «Il y a ici des espèces dont le son est impressionnant, littéralement comme dans Star Wars, on dirait des vaisseaux spatiaux. 

Très peu d’oreilles ont le privilège de les entendre», déclare à l’AFP la scientifique de 32 ans à bord de l’ARC Simon Bolivar, un navire de la marine colombienne. Titulaire d’un doctorat en acoustique marine, Mme Bonilla et les autres scientifiques à bord de la 10e expédition colombienne dans l’Antarctique récupèrent également les micros déposés l’an passé lors d’une mission opérée par la marine turque.

Guidé par des coordonnées GPS, le bateau entre dans la zone de rencontre. Pour remonter l’hydrophone à la surface, Mme Bonilla déclenche la libération de l’ancre qui le retenait immergé. Toute l’équipe scrute alors longuement pendant huit minutes de tension palpable les eaux calmes jusqu’à l’apparition, dans la joie, d›un petit drapeau déployé en surface. Ses collègues la félicitent chaleureusement et elle se dit soulagée. «Je suis super excitée parce que c’était la première fois que nous faisions cette manœuvre dans ces eaux (...) Tout s’est super bien passé», se réjouit la scientifique colombienne. Une fois sur la terre ferme, elle analysera un an d’enregistrements. «Dans un environnement marin, le son est fondamental», affirme-t-elle. 

Car le bruit ou les perturbations auditives peuvent affecter la communication des espèces ou entraver le déroulement normal d’activités naturelles telles que la chasse. Ces recherches entendent également mesurer l’impact de l’activité humaine et de la pollution auxquelles sont exposés les mammifères dans un des endroits les mieux préservés de la planète.
 

Zone marine protégée

Un autre objectif est de soutenir la proposition, promue par le Chili et l’Argentine depuis 2012, de faire de la péninsule Antarctique «une zone marine protégée». Mme Bonilla travaille avec des spectrographes qui représentent visuellement les fréquences sonores. Les moyennes et hautes fréquences enregistrent des animaux de différentes tailles.  Ses découvertes ne serviront pas seulement à surveiller les mammifères marins, mais aussi à la recherche géophysique : les micros captent les basses fréquences émises par les mouvements telluriques et la fonte des glaces. Non loin du navire, une colonie de manchots marche sur un bloc de glace géant en forme de toboggan tandis qu’au-dessus des eaux profondes, les chercheurs observent une baleine à bosse qui prend une de ses dernières respirations avant que l’hiver ne la fasse fuir vers les eaux plus chaudes de l’océan Pacifique. «Ma première rencontre avec une baleine a été avec une baleine qui chantait, et je pense que cela a changé ma vie», se souvient Mme Bonilla.

 Après s’être nourris pendant des mois dans la péninsule Antarctique et dans le détroit de Magellan au Chili, des milliers de ces grands mammifères se retrouvent pour se reproduire entre juin et octobre dans un corridor marin qui s’étend du sud du Costa Rica au nord du Pérou. Mais «il y a aussi des espèces qui ne vivent qu’ici», souligne-t-elle, comme les phoques de Weddell et les léopards de mer, qui émettent des chants aigus de différentes tonalités, des compositions harmonieuses qui fournissent des informations sur leur comportement. 

La scientifique se prépare à un nouveau largage d’hydrophone et attache le drapeau rouge au sommet de la bonbonne de titane qui servira à la repérer au milieu des eaux à son retour l’année prochaine. Au cours de l’expédition, trois microphones ont été immergés, deux dans le détroit de Bransfield et un dans le passage de Drake.
 

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