Entretien réalisé par M. Ait Mouhoub
Les pays africains renouent avec les coups d’Etat comme moyen de changement politique, à partir de votre longue expérience diplomatique en Afrique, comment expliquez-vous cet état de fait ?
Ces changements étaient inévitables du fait que l’Afrique avait été colonisée pendant longtemps. Les indépendances ont été accompagnées par le maintien de l’influence des anciennes puissances colonialistes. Il y a eu progressivement, une prise de conscience de cette situation chez tous les peuples africains. Cette prise de conscience était en gestation, déjà, il y a un nombre d’années. Les Africains se sont rendu compte qu’ils perdaient plus économiquement après l’indépendance. Il y a l’exemple algérien qui a démontré que les pays accédant à l’indépendance pouvaient œuvrer à demeurer maîtres chez eux. Avec l’arrivée d’une nouvelle génération, il y a une espèce de rejet qui s’est cristallisée au fil du temps de la présence de l’ancien colonisateur, car les méthodes n’ont pas changé et on constate que cette présence se matérialise sous forme de bases militaires qui n’ont, par ailleurs, jamais réussi à faire quoi que ce soit de bénéfique pour les pays où elles sont implantées. Dans les pays du Sahel, la présence des militaires français n’a pas résolu le problème de l’insécurité et du terrorisme. La présence de l’ancienne puissance coloniale se manifeste, également, sous forme d’exploitation économique qui se poursuit. C’est ce qu’on constate, par exemple, dans l’exploitation de l’uranium au Niger. Ces changements constituent, probablement, une surprise pour l’ancien colonisateur, en raison de son mépris pour l’Afrique, mais de nombreux observateurs avertis les avaient prédits, car au niveau de la frange jeune des populations africaines, on constate que les lignes bougent. Les moyens d’opérer ces changements posent certainement problème. Il faut faire en sorte que ce soit un bref passage pour aller à une situation constitutionnelle.
On constate aujourd’hui une absence de l’Union africaine (UA) sur le terrain. Ce sont donc d’autres acteurs, souvent extra-africains, qui investissent le terrain. Comment expliquer cette situation ?
La création de l’UA avait, dès le départ, charrié des problèmes, tout comme d’ailleurs l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Pour avoir été responsable au sein de l’OUA, je me rappelle que souvent, il y avait des problèmes de personnes. Lorsque Diallo Telli, qui était un grand homme et qui a marqué la place de l’Afrique au niveau international, avait terminé ses deux mandats à la tête de l’organisation continentale, celui qui l’avait remplacé a été élu lors d’une session qui s’est tenue à Rabat. Ce qui est déjà significatif. Parce que la première des choses qu’il a faite, en prenant ses fonctions, c’était d’enlever le domaine politique à l’Algérie, pour lui octroyer des secteurs considérés à l’époque comme insignifiants. C’était effectivement une erreur. Cette décision avait touché aux peuples africains. Au niveau de l’OUA, nous avions eu des moments forts, comme c’était le cas avec Edem Kodjo. Il a eu le courage de faire admettre la RASD au sein de l’organisation, conformément aux statuts de l’OUA. Il a réussi à obtenir la majorité des voix des pays africains pour valider l’adhésion de la RASD en tant que membre de plein droit. C’était à ce moment-là que le Maroc avait tout tenté pour casser l’OUA, y compris en décidant de se retirer de l’organisation. Par la suite, comme il y a eu cette mutation de l’OUA vers l’UA, nous avions eu comme président de la commission, le Tchadien, Moussa Faki Mahamat. Ce dernier entretient des relations étroites avec Israël et les suppôts de cette entité dans le continent. C’est comme ça qu’il a pris des décisions qui ne relèvent pas de son mandat, mais des compétences du Sommet des chefs d’Etat africains, en accréditant le représentant de l’entité sioniste comme observateur au niveau de l’organisation, alors que nous avons de fait des textes juridiques qui stipulent clairement la reconnaissance par l’UA de l’Etat de Palestine, qui détient déjà la qualité d’observateur. Il y a eu donc ce méfait, et heureusement, encore une fois, c’est l’Algérie qui a œuvré à rétablir la situation avec le soutien de l’Afrique du Sud et du Nigeria, en bloquant le processus d’intégration de cette entité au sein de l’organisation continentale, en qualité d’observateur.Je crois qu’il est temps de régler ce problème, car que ce soit la charte de l’UA et les textes adoptés au fil du temps, l’Afrique détient tous les moyens susceptibles de lui permettre de se développer.
En évoquant le cas du Mali et des pays du Sahel, nous constatons la subsistance de difficultés à reprendre langue avec les nouveaux régimes installés par des coups d’Etat, à cause d’actions de parasitage entreprises par des puissances extra-africaines. Que doit faire l’Algérie pour mettre un terme à cette situation ?
L’Algérie œuvre, toujours, dans le sens du développement de ses voisins immédiats, notamment au Sahel. Et nous avons été toujours très proches de nos amis du Sahel. C’est ce qui gênait les autres. C’est à cause, donc, de l’action de l’entité sioniste, par Maroc interposé, qu’on a commencé à jeter le doute chez certains officiers qui ont pris le pouvoir dans ces pays sur l’attitude de l’Algérie. Notre pays n’a pas, pour autant, abandonner le terrain. Bien au contraire, en refusant de répondre aux provocations et en observant une attitude empreinte de sagesse, l’Algérie a fait en sorte qu’il n’y avait pas eu rupture avec nos voisins du Sahel. Il y a eu certes un moment de refroidissement, mais les choses sont entrain de reprendre doucement et graduellement. Laissant donc le soin à nos amis du Mali, du Niger et du Burkina Faso de voir par eux-mêmes et graduellement le danger auquel ils s’exposent et prendre petit à petit conscience de la réalité. Il y a actuellement une démarche hostile de la part de notre voisin de l’Ouest qui n’est finalement qu’une marionnette entre les mains de puissances étrangères, en particulier l’entité sioniste et certains pays occidentaux. L’Algérie est un passage obligé vers l’Afrique. C’est ce qui fait qu’elle dérange et que des collisions se font contre elle, à l’image de celle du Maroc et des Emirats arabes unis. Je crois que l’attitude affichée par les autorités algériennes est sage, cars elle compte sur le réveil graduel des pays voisins, notamment ceux du Sahel. Actuellement, les pays hostiles à l’Algérie ne proposent que des chimères et de l’illusion aux peuples du Sahel. C’est ce qui contraste nettement avec ce que propose l’Algérie. Le meilleur exemple, c’est ce qu’elle fait avec la Mauritanie. Cette dernière a refusé le passage de cette chimérique route pour permettre un accès à l’Atlantique aux pays du Sahel. La Mauritanie a compris, dès le départ, qu’il s’agissait d’une chimère.
L’UA peine à mettre en œuvre ses orientations et décisions dans le dossier du Sahara occidental. Comment voyez-vous le rôle que devrait jouer l’organisation continentale pour amener l’occupant marocain à respecter ses résolutions ?
L’UA doit agir maintenant en profondeur pour régler ce conflit, car cette organisation n’est plus ce qu’a été l’OUA auparavant. A l’époque, l’Algérie avait inscrit un point fondamental, à savoir accorder la priorité absolue à l’aide aux mouvements de libération en Afrique. L’Algérie maintient toujours les mêmes principes. Maintenant, il y a des gens infiltrés au sein de l’UA qui essayent par tous les moyens de freiner l’action de l’organisation dans le dossier sahraoui. Je demeure persuadé que l’Algérie a eu une attitude sage quand elle ne s’était pas embarquée dans des réactions à chaud. Actuellement, la diplomatie algérienne s’active auprès de pays frères africains pour œuvrer à renverser cette tendance. Nous constatons que ces deux dernières années ont connu un défilé de responsables africains à Alger. Ce que nous n’avons pas vu pendant des années.