Najib Akesbi, économiste marocain : «Le capitalisme de rente propage la corruption»

15/02/2023 mis à jour: 05:38
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Najib Akesbi, économiste marocain

Le «capitalisme de connivence» ou «de rente» s'est installé depuis les années 60 du siècle dernier au Maroc, où les élites locales ont toujours prospéré dans le giron du makhzen, qui s’appuie sur elles pour asseoir son autorité, ce qui a propagé la corruption et accablé l'économie du pays, selon un économiste marocain. «Au Maroc, ce n’est pas nouveau, les élites locales ont toujours prospéré dans une grande proximité avec l’Etat, celui-ci s’appuyant sur elles pour asseoir son autorité. Sur cette constance, un système s’est installé depuis les années 1960 qu’on appelle le capitalisme de connivence ou de rente», a relevé l'économiste Najib Akesbi, dans un entretien diffusé récemment par le Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM). Il a précisé que, contrairement à d’autres pays africains, «cette rente au Maroc n’est pas minière ou énergétique, elle est politique», expliquant que «la première source d’enrichissement n’est autre que la proximité avec le pouvoir politique et l’allégeance qu’on lui témoigne».

De son côté, le makhzen «favorise l’enrichissement de l’élite économique (rentière) pour maintenir son hégémonie et limiter l’autonomie de cette minorité», a-t-il ajouté, faisant remarquer que «à l’ombre de la rente prospère la corruption, l’autre béquille du capitalisme de connivence». Ce système «a joué contre l’émergence» économique du Maroc, a souligné ce spécialiste des stratégies de développement, des politiques agricoles et fiscales et des relations euro-méditerranéennes. La collusion entre l'élite économique et le makhzen s'est renforcée dans les années 2000, quand des hommes d’affaires se sont mis à s’impliquer de plus en plus dans la vie politique pour être présents, en plus du Parlement, dans les régions, les grandes agglomérations, a-t-il indiqué, regrettant que «les conflits d’intérêt sont désormais partout, notamment avec les dernières élections», qui ont porté l’homme d’affaires, Aziz Akhannouch, première fortune du pays, à la tête du gouvernement. «Les grands patrons pratiquent activement le lobbying dans ces instances formelles pour servir leurs intérêts et maximiser leur rente, leur but étant de faire le maximum de profits en prenant le minimum de risques», a-t-il affirmé, ajoutant que «cela explique pourquoi un climat de défiance règne dans le milieu des affaires au Maroc et pourquoi l’investissement privé est si atone, il ne représente qu’un tiers de l’investissement global».

Toutes les politiques déployées jusqu’à nos jours ont été au service des choix fondateurs élaborés dans les années 1960, qui sont de deux ordres : l’économie de marché et l’intégration pleine et entière dans l’économie mondiale, avec l’idée que «les exportations allaient être la locomotive de la croissance», a rappelé l'expert marocain. Cependant, M. Akesbi a fait remarquer qu'à l’opposé des résultats escomptés, «les importations ont poursuivi leur ascension, tandis que les exportations n’ont évolué que très insuffisamment, au point que le Maroc importe aujourd’hui le double de ce qu’il exporte», notant que le commerce extérieur «a engagé le pays dans le cercle vicieux des déficits commerciaux, de la dépendance et de l’endettement». Et d'expliciter : la pandémie du nouveau coronavirus a levé le voile sur «le degré insoutenable» de dépendance – alimentaire notamment – du Maroc au marché mondial et mis à nu le degré de «vulnérabilité de la population et la précarité du marché du travail, alors que près de 80% de la population active travaillent dans le secteur informel et vivotent de petits boulots».

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