Mustapha Kamal Gueye. Directeur du programme d’action prioritaire sur la transition juste au Bureau international du travail (BIT) : «Nous envisageons d’accompagner 100 000 jeunes dans des entreprises vertes»

31/12/2023 mis à jour: 03:06
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Le changement climatique et la dégradation de l’environnement représentent aujourd’hui, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), des défis significatifs en termes de croissance et d’emploi. Les risques seront, selon Mustapha Kamal Gueye, directeur du programme d’action prioritaire sur la transition juste au Bureau international du travail (BIT) à Genève, de plus en plus importants à moyen et à long termes. 

 

Entretien réalisé par  Nassima Oulebsir

 

 

-Le changement climatique – et les réponses des secteurs public et privé – a un impact profond sur le travail. Comment l’Organisation internationale du travail compte-t-elle y faire face ? 

Les différentes actions nécessaires pour faire face aux changements climatiques impliquent des transformations profondes pour les économies et les sociétés. On parle de sortie graduelle des énergies fossiles avec un changement du mode de production, de consommation, de changement des systèmes de transport, d’alimentation… tout cela signifie qu’il aura des impacts assez significatifs sur le monde du travail. Au Bureau international du travail, nous avons essayé de comprendre d’une manière analytique la nature, l’ampleur et l’impact des changements climatiques, mais aussi les politiques prises par les Etats pour y faire face. Le tout a un impact direct sur les revenus et les économies. Jusqu’à 100 millions de nouveaux emplois pourraient être créés d’ici 2030 dans le monde, selon nos études, grâce aux opportunités économiques dans le cadre d’une transition vers une économie sobre en carbone et circulaire. 

Cette politique implique en effet la création de nouveaux emplois avec des processus de production et des résultats respectueux de l’environnement. Mais en contrepartie, des perturbations vont être enregistrées. Aux fermetures des centrales à charbon, la réduction de la production des énergies fossiles par exemple, la réduction de temps du travail à cause des chaleurs et le stress hydrique… tout sera traduit avec une perte allant jusqu’au 80 millions d’emplois dans le monde. Notre rôle est de trouver des mécanismes pour mieux gérer cette transition de manière à optimiser et maximaliser les opportunités économiques et sociales d’une part, et de minimiser les pertes d’emploi et de revenus d’autre part. Si le réchauffement climatique continue, on estime une perte de temps de travail de 2% dans le monde, allant même jusqu’à 4% en Afrique de l’Ouest et l’Asie du Sud-Est. Ce qui représente 9 millions d’emplois perdus. 
 

-Certaines régions en Afrique dépendent seulement des énergies fossiles. Concrètement, comment sortir de cette dépendance tout en garantissant la pérennité des postes d’emploi ? 

Certains pays africains sont déjà dans une transition énergétique, mais d’autres viennent juste de découvrir des ressources pétrolières et gazières. Le dilemme est qu’au moment où le monde souhaite sortir de ces énergies, ces pays viennent d’y entrer. L’enjeu est comment permettre un droit au développement et éviter d’ancrer ces économies dans les énergies fossiles. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des discussions lors de la Cop28 de Dubaï. Est-ce qu’on réduit ou on sort définitivement des énergies fossiles ? Je pense que ces pays africains souhaitent exploiter les ressources pétrolières, mais au même temps saisir les opportunités qui leur permettent de diversifier les économies et d’investir plus dans les énergies renouvelables, de sorte que le futur de leurs économies ne sera pas seulement basé sur les énergies fossiles. Notre rôle est d’abord d’informer et accompagner les pays dans les politiques publiques et le développement des compétences, permettre une transition économique et surtout renforcer la protection sociale. Nous travaillons également sur la disponibilité des financements et le renforcement de l’esprit de dialogue social. 

 

-Plusieurs pays sont conscients de l’enjeu et ont adopté ces mesures de transition et d’adaptation en économie verte. Où sommes-nous dans le contexte africain ? 

Beaucoup de pays africains ont déjà développé leurs économies renouvelables et ont mis en place des stratégies de la promotion d’emploi vert, comme la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Nigeria, le Ghana, la Guinée et également avec beaucoup d’initiative au Bénin. L’Afrique est en avant-garde du changement climatique. Tous ces pays sont une référence en mode de production durable. L’économie verte est déjà en marche en Afrique avec de plus en plus de politiques publiques qui s’orientent vers ce domaine. L’Afrique aujourd’hui est face à trois défis. Premièrement, la prise de conscience. Car la durabilité environnementale n’est pas forcément un choix à faire face à la création économique et de l’emploi. Les deux doivent y aller de paire, à mon avis. Deuxièmement, toutes ces opportunités économiques qui peuvent être générées par une économie verte doivent être accompagnées avec des compétences et les capacités humaines, à bâtir dès maintenant. Et enfin, ces pays ont un défi de financement public, qu’il soit privé ou international.

 

-Le financement des mesures d’adaptation est justement l’un des obstacles de ces pays africains, fortement impactés par les conséquences du réchauffement climatique. Quelles solutions préconisez-vous ? 

L’OIT travaille sur ce volet. Nous avons lancé l’année dernière des entreprenariats et programmes des jeunes avec le Programme des Nations unies pour l’environnement et l’Unicef. Il s’agit d’un pacte d’emploi vert pour les jeunes. L’objectif est de créer un million d’emplois verts d’ici 2030. Nous envisageons aussi d’accompagner 100 000 jeunes à mettre en place des entreprises vertes partout en Afrique. En Côte d’Ivoire, des projets sont en cours, au Sénégal, au Niger ou au Nigeria, tout est mis en place dans le cadre de ce programme. Nous commençons d’ailleurs cette année à renforcer ce programme avec plusieurs autres partenaires financiers. L’idée est de faire en sorte que les politiques locales soient coordonnées avec la politique globale de lutte contre le changement climatique. 

C’est important et nécessaire de maintenir la dimension sociale en plein changement climatique. Une action ambitieuse générera beaucoup plus d’emplois et de revenus que de pertes. Pour minimiser les dégâts, les Etats doivent impliquer dans leurs processus les partenaires sociaux pour être dans la même dynamique et avoir la même vision. Il faut adopter des consensus sociaux forts. Nous sommes tous conscients qu’aujourd’hui il existe deux enjeux, d’une part le phénomène physique en lui-même (c’est-à-dire les inondations, la sécheresse…) qui pose des risques pour les travailleurs et les entreprises, d’où d’ailleurs l’acquis de la Cop28 sur le Fonds des pertes et dommages pour les pays vulnérables. Et d’autre part, l’impact inattendu des politiques de lutte contre le changement climatique. 

Des impacts forcément négatifs. Des milliers d’emplois sont en jeu. Comment donc faire en sorte que ces travailleurs soient requalifiés pour aller vers d’autres métiers, comment trouver des mécanismes de compensation au profit des chômeurs et l’impact élargi des communautés. C’est tout là l’effort de l’Organisation internationale du travail. 


 

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