Multiplication de crises au Sahel : La hantise de l’effet domino

28/08/2023 mis à jour: 16:03
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Photo : D. R.

L’onde de choc de la crise au Niger touche la frontière tchado-libyennes. Expulsion de 2000 opposants tchadiens du village d’Oum Laraneb au sud de Sebha et bombardements de leurs attroupements par l’aviation de Khalifa Haftar. Poursuite des Tchadiens fuyant en Libye par l’aviation de Déby.

A première vue, les frappes aériennes synchronisées des forces de l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, et du président du Conseil de transition tchadien, Mahamat Idriss Déby, rentrent dans une opération de routine contre les forces de l’opposition tchadienne, fortement présente au Sud libyen depuis la chute de Mouammar El Gueddafi.

Pareilles confrontations ont eu lieu pas plus tard qu’en septembre 2021, traduisant l’incapacité des gouvernements successifs en Libye à protéger les frontières de leur pays.

Par ailleurs, et lors de sa visite la semaine dernière à la province de Tibesti, limitrophe de la Libye, le président tchadien Mahamat Idriss Déby a confirmé la présence d’insurgés «ennemis du peuple tchadien», venant de Libye dans la province, notamment près des villes de Bardaï et Woor, où il y a eu, le 10 août, des confrontations avec l’armée régulière tchadienne.

De leur côté, les forces de Khalifa Haftar ont reconnu avoir chassé près de 2000 sympathisants de l’opposition tchadienne qui occupaient les bâtisses chinoises dans la localité d’Um Al Aranib, située à 140 kilomètres au sud de Sebha, la principale ville de la province Fezzan au Sud libyen. Les unités spéciales libyennes ont même été parachutées derrière les lignes des forces de l’opposition tchadienne et les ont cernées. Maintenant que c’est clair que les forces chassées de Libye sont les mêmes qui sont concernées par les propos du président tchadien, il serait intéressant de comprendre les liens de ces agissements avec ce qui se passe au Niger et est-ce que cela signifie la fin de la lune de miel entre le maréchal Khalifa Haftar et le Conseil de transition tchadien ?

Jusque-là, les milices tchadiennes ont servi, de part et d’autre, avec les factions libyennes. Toutefois, le pouvoir des Déby a plutôt sympathisé avec Haftar et l’Est libyen, plus présent sur les frontières communes, en plus des liens historiques nés de l’emprisonnement de Haftar au Tchad entre 1987 et 1990. C’est d’ailleurs à N’Djamena que Khalifa Haftar a été retourné par la CIA. Mais, ces derniers temps, les événements successifs au Mali, au Burkina Faso et, récemment, au Niger, il n’est pas à exclure un changement d’alliances. C’est monnaie courante.

Tous les observateurs s’interrogent sur les accords convenus suite à la visite, la semaine dernière, à Benghazi du vice-ministre russe de la Défense Iounus-BekIevkourov, surtout que plusieurs centaines des forces spéciales Wagner sont encore en Libye et servent le camp Haftar. Wagner se trouve également au Mali, Burkina et le pouvoir en place à Niamey a déjà pris contact avec eux lors d’un déplacement mercredi 23 août d’une délégation du Niger au Mali et au Burkina, selon le Quai d’Orsay.

Nouvel équilibre régional

Tout laisse donc à croire que les derniers événements sur les frontières entre la Libye et le Tchad ont un lien direct avec ce qui se passe au Niger voisin et l’enjeu n’est pas étranger à la «chasse» aux Occidentaux ouverte par les pays du Sahel. La France et le pouvoir en place à N’Djamena redoutent-il a effet domino ? Fort possible. Beaucoup d’éléments confirment l’hypothèse. Les Français pourraient même être derrière ces événements, selon le juge libyen Jamel Bennour.

«La France est inquiète et ne veut pas perdre son influence au Tchad après avoir perdu la Centrafrique, le Mali, le Burkina et, éventuellement, le Niger, si la junte nigérienne garde le pouvoir», a-t-il expliqué à El Watan, ajoutant : «Il ne reste que le Tchad où la France dispose d’une base à N’Djamena avec déjà un millier d’hommes ; les Français s’y attachent et vont faire tout ce qui est en leur possible pour le garder.» Les gros moyens militaires français à Niamey, au Niger, ne pourraient pas être facilement déplacés au Tchad, puisqu’il y a près de 1500 hommes, 3 avions de combat Mirage 2000, 5 drones Reaper et des dizaines de blindés. C’est dire que la Russie et la Chine avancent à pas sûrs dans les territoires historiquement sous la domination de la France.

Côté américain, c’est pratiquement le même souci, surtout pour le Niger. L’inquiétude américaine est peut-être même plus vaste. En plus du millier de soldats américains stationnant près de l’aéroport de Niamey, Washington dispose d’une vaste base de drones à Agadez d’une superficie de 25 km2 et classée deuxième en Afrique après celle de Djibouti.

La base d’Agadez sert de principal centre de surveillance et de renseignement pour les Américains au Sahel. Les Américains ont dépensé 110 millions de dollars pour sa construction et la maintiennent pour 30 millions de dollars pour la préserver.

C’est ce qui explique, par ailleurs, l’énergie utilisée côté américain pour trouver une issue diplomatique au dossier du Niger. Il est toutefois important de souligner que si les manifestants, venus par milliers devant la base militaire de Niamey le vendredi 11 août, ont brandi des drapeaux russes et nigériens, ils ont scandé des slogans anti-français. Ils ont clairement évité d’élever la voix contre les Etats-Unis. C’est dire que l’Occident joue gros au Sahel dans la redéfinition, en cours, des équilibres au Sahel. 

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