Le président russe a annoncé se mettre à distance du traité russo-américain, signé en 2010, puis péniblement prolongé pour cinq ans, à deux jours de son expiration, en 2021. L’accord limite les arsenaux stratégiques offensifs à un maximum de 1550 ogives déployées par pays, soit une réduction de près de 30% par rapport au précédent plafond. Il limite aussi le nombre de lanceurs et bombardiers lourds à 800. Ce qui suffirait pour détruire la Terre plusieurs fois. «New Start n’est pas mort mais en coma artificiel», explique à l’AFP Emmanuelle Maitre, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris. Ce genre de traités fonctionne sur la volonté politique et il n’y en a clairement aucune pour le faire vivre.
Le maître du Kremlin n’est pourtant pas le seul fossoyeur des accords de non-prolifération. En 2002, les Etats-Unis de George Bush étaient sortis du traité ABM sur la limitation des systèmes anti-missiles balistiques. Et plus récemment, sous Donald Trump, Washington s’était retiré avec fracas de l’accord sur le nucléaire iranien, du traité «Ciel ouvert» de surveillance aérienne et du traité de désarmement des forces nucléaires à portée intermédiaire. «Est-ce le dernier clou sur le cercueil» de l’architecture de sécurité nucléaire ? «Il ne faut pas dramatiser à l’excès», tempère Marc Finaud, ex-diplomate et vice-président des Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN). «C’est un moyen de pression sur les Etats-Unis et l’OTAN et cela participe de la même approche de brandir la menace de façon plus agressive qu’auparavant», dit-il, sans y voir «un bouleversement stratégique», la doctrine russe n’ayant «pas évolué». L’annonce de Poutine s’inscrit évidemment dans le contexte de la guerre en Ukraine, que l’OTAN soutient à grands renforts de livraisons d’armes. Et plusieurs fois depuis l’invasion de son voisin le 24 février 2022, le chef de l’Etat russe a brandi la menace suprême.
Le traité New Start prévoit notamment des vérifications de part et d’autre des arsenaux, qui avaient été suspendues par l’épidémie de Covid-19. L’administration du président américain Joe Biden avait tenté de les relancer, en vain. «C’est la preuve de l’ampleur de la dégradation des relations entre Moscou et Washington», assure à l’AFP Colin Clarke, directeur de recherche du Soufan Group, un institut privé américain de sécurité. Le traité «semble sous respiration artificielle, tout comme le reste de la relation» bilatérale. Emmanuelle Maitre craint à cet égard un durcissement américain. A Washington, relève-t-elle, «on entend de plus en plus de voix, et pas forcément chez les plus faucons, qui disent qu’il serait peut-être intéressant de restructurer les arsenaux, y compris à la hausse, d’ici quelques années».
Plus globalement, l’annonce de Poutine est une triste journée pour la non-prolifération. «Compte tenu de la marche avancée de l’Iran vers l’acquisition d’une arme nucléaire, l’état de la prolifération nucléaire et de l’instabilité mondiale croissante devrait être une source d’inquiétude pour les responsables du monde entier», prévient Colin Clarke. Marc Finaud préfère, lui, conserver des raisons d’espérer. «Cela peut aussi apporter de l’eau au moulin des abolitionnistes», veut-il croire. «Ce n’est pas le problème des possesseurs qui est en question, c’est le problème des armes. Cela devrait amener une très forte pression en faveur de négociations multilatérales.»
Pékin, qui n’était pas incluse dans le traité et dispose d’un arsenal moins volumineux que ses deux concurrents, observe en tout cas ces mouvements avec intérêt. Car même avant que le traité New Start ne soit ainsi torpillé, «une course aux armements à trois entre Chine, Russie et Etats-Unis était en cours», note James Acton, du groupe de réflexion américain Carnegie Endowment for International Peace. «La fin de New Start pourrait accélérer cette compétition, même si cela dépend, en partie, de si la Russie décide de rester ou non au sein des limites» fixées par le traité, souligne-t-il