Mort d’Alban Liechti, le «soldat du refus» de la guerre d’Algérie

03/09/2024 mis à jour: 05:58
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Photo : D. R.

Par Alain Ruscio (*)

Le militant communiste Alban Liechti, premier appelé français à avoir refusé de tirer sur le peuple algérien, est décédé à l’âge de 89 ans. Ses obsèques auront lieu demain, 4 septembre, à Trappes, dans les Yvelines.

Il est des hommes qui programment méthodiquement leur entrée dans l’histoire par la grande porte. Alban Liechti, la modestie faite homme, n’était pas de cette engeance. Il laissera pourtant dans la guerre d’indépendance de l’Algérie une trace d’envergure.

En 1956, Alban Liechti, malgré ses 21 ans, est déjà un militant aguerri, membre de l’Union des jeunesses républicaines de France (UJRF), l’ancêtre des Jeunesses communistes, et du PCF. A 17 ans, il avait manifesté à Paris contre la présence du général Ridgway et y avait été blessé. La guerre d’Algérie vint le happer sans qu’il n’ait rien demandé, comme tous ceux de sa génération.

Alban était un homme entier. Ce fut un NON catégorique. Il fut le premier soldat français à refuser de porter les armes contre le peuple algérien. Choix d’homme, choix de communiste, choix d’internationaliste. S’ensuivront quatre années de sa jeune vie passées en prison, sans que sa flamme intérieure, ses convictions ne vacillent.
Courant juin 1956, le régiment d’Alban est avisé du départ prochain en Algérie.

Le 2 juillet, il prend la plume pour s’adresser au président de la République, René Coty : «Dans cette guerre, ce sont les Algériens qui défendent leurs femmes, leurs enfants, leur patrie, ce sont les Algériens qui combattent pour la paix et la justice.» C’est pourquoi, ajoute-t-il, «je ne peux prendre les armes contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance». Le 5, il est tout de même envoyé à Alger. Désigné par la hiérarchie comme un «lâche», un «mauvais Français», il doit s’expliquer devant les autres appelés, parfois agressifs. Il persiste. Direction immédiate vers une première prison.

Hostile à la nouvelle «sale guerre»

C’est tout sauf un geste spontané qu’il a accompli. Hostile à la nouvelle «sale guerre» (après celle d’Indochine), il l’était, comme la quasi-totalité des jeunes appelés là-bas. Communiste, il aurait pu accepter la forme de lutte que préconisaient l’UJRF et le PCF : partir en Algérie, y acquérir de l’autorité auprès des autres soldats, puis les amener doucement à s’opposer au conflit, enfin les entraîner à l’action ponctuelle, en un mot «faire du travail de masse».

Personne n’a le droit d’affirmer que ceux des militants qui ont choisi cette voie se sont fourvoyés, sont moins respectables que les «soldats du refus». Alban, d’ailleurs, n’a jamais, ni alors ni depuis plus de soixante ans, porté de jugements de ce type, n’a jamais donné de leçons. Mais cette attitude n’était pas faite pour lui. Tout simplement. Il s’est comporté comme il pensait qu’il devait se comporter, lui, individu communiste – et le mot «individu», ici, importe –, voilà tout.

D’où le retard certain de son parti pour, finalement, le soutenir. La première fois que j’ai employé cette formule devant lui, il m’a rétorqué : «Tu ne verrais pas plutôt ''un certain retard'' ?» Tout Alban Liechti était là. Il reconnaissait, comment faire autrement, qu’il n’avait pas été immédiatement compris par ses camarades. Mais, justement, c’étaient – et ce furent jusqu’à son ultime souffle – ses camarades.

Pourtant, si l’organisation communiste en tant que telle hésita, elle incita le Secours populaire français à entamer immédiatement une campagne de solidarité. Tout au long de l’emprisonnement d’Alban, puis de celle des 45 autres soldats du refus (René Boyer, Jean Clavel, Claude Despretz, Pierre Guyot, Léandre Letoquart, Serge Magnien, Jean Vandart, Raphaël Grégoire…), ce fut le SPF – et, au sein de cette organisation, surtout des militants communistes – qui déploya une activité intense.

On se doit de citer ici des personnalités d’exception, ses parents, celle qui devint son épouse attentive et active, Yolande, et Julien Lauprêtre, déjà dirigeant du SPF, qui firent un véritable tour de France, multipliant les rencontres, les initiatives, portant le débat sur le front de l’opinion publique. L’Humanité, l’Avant-Garde (UJRF-Jeunes communistes) et la Vie ouvrière (CGT) se joignirent ensuite à la campagne.

Il n’a jamais cessé de militer 

Alban Liechti fut envoyé en prison militaire – on imagine ce que cela pouvait signifier dans ces années – d’abord en Algérie (Tizi Ouzou, Fort National, Hussein Dey, Maison-Carrée…), puis en France (Baumettes, Carcassonne…). Il fut finalement libéré de ses obligations militaires le 8 mars 1962 (dix jours avant les Accords d’Evian), après six années passées sous les drapeaux, dont quatre dans les prisons de la République (la IVe et la Ve).

Il avait alors 27 ans. Dans cette institution où les officiers pour l’Algérie française (les OAS et les autres) ne cessaient de parler politique, dans cette armée qui avait mené sans état d’âme et avec la plus extrême violence deux guerres coloniales, Alban Liechti et ses camarades avaient eu le tort de faire entendre des voix discordantes, celles de l’amitié entre les peuples. Le tort ? Non, l’honneur.

Alban Liechti, jusqu’à ses derniers moments, n’a cessé de militer. Il était, comme l’a si bien chanté Ferrat, «de ceux qui manifestent». Il animait l’association Agir aujourd’hui contre le colonialisme (Acca), fondée naguère par Henri Alleg et les «anciens» du Parti communiste algérien.

Il fut l’un des signataires de l’Appel des Douze contre la torture, lancé par L’Humanité en 2000. Il remarquait, ces derniers temps, qu’il en était l’ultime survivant. Une page, avec lui, s’est donc tournée. Nous ne verrons plus son éternelle écharpe rouge, son symbole, sa passion. A. R.

(*) Historien et journaliste français. L’hommage est paru dans le quotidien français L’Humanité du 29 août 2024.

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