Après une tempête de neige, un étrange ballet d’énormes camions, souffleuses et déneigeuses envahit les rues de Montréal. En quelques heures, les tonnes de neige vont disparaître pour permettre la circulation des voitures, des vélos et des piétons.
Une énorme logistique aux coûts environnementaux non négligeables, notamment en raison des centaines de véhicules polluants qui parcourent les rues et du sel utilisé. Impossible de les rater quand ils entrent en action: l’énorme souffleuse avale la neige dans un bruit assourdissant avant de l’envoyer dans l’un des énormes camions qui roulent au pas à ses côtés. En quelques minutes, la rue est dégagée. «Le défi de la neige à Montréal est colossal. Quand on met bout à bout les rues et les trottoirs, ça fait 10 000 km, c’est l’équivalent de la distance Montréal-Pékin», explique Philippe Sabourin, porte-parole de la ville de Montréal. Alors à chaque tempête de neige, la même «chorégraphie» se répète, poursuit-il : 3000 employés et 2200 véhicules se relaient nuit et jour. Objectif : rendre les rues praticables notamment à la circulation automobile sachant que Montréal reçoit quasiment deux mètres de neige par an. Jusqu’à la fin des années 1990, la neige souillée par les déchets et la pollution était directement déversée dans le fleuve Saint-Laurent, avant que cela ne soit interdit.
Une partie est aujourd’hui versée dans des chutes à neige reliées au système d’égouts. Mais la majorité (75%) se retrouve entreposée dans d’immenses carrières ou dépôts imperméables qui donnent le vertige: dans le sud de l’île de Montréal, c’est une butte de neige haute de dix étages qui s’élève vers le ciel et large comme plusieurs terrains de football. Au pied de cette immense colline, des centaines de semi-remorques, qui semblent soudain minuscules, viennent décharger leur cargaison de neige souvent plus grise que blanche, tandis qu’une énorme souffleuse envoie les flocons au-dessus, à 40 mètres de haut. Il faudra attendre la fonte pour que soient triés les déchets et les gravillons. Ensuite, direction «la station d’épuration» où la neige est traitée avant de retourner dans le fleuve. Mais un contaminant passe, cependant, à travers les mailles du filet : le sel.
150 000 tonnes de sel
«Ça a un impact sur les écosystèmes», constate Florent Barbecot, professeur en hydrogéologie à l’université du Québec à Montréal.
«On voit depuis quelques années le niveau de sel qui monte un petit peu partout dans l’environnement.» De plus, au printemps, le sel épandu sur les chaussées sèches, s’évapore. Il «va alors se retrouver dans l’atmosphère», ce qui «va jouer sur les futures précipitations», ajoute le spécialiste. Uniquement pour la ville de Montréal, ce sont 150 000 tonnes de sel qui sont étalées sur les routes et les trottoirs au cours de l’hiver.
C’est «un matériau qui nous rend un fier service», reconnaît Philippe Sabourin, conscient toutefois du problème environnemental posé. Mais selon lui, malgré des recherches, aucun substitut efficace n’a été trouvé. «On a essayé les résidus de café, ça sentait bon, mais ça n’a pas été un succès, rigole-t-il. On a aussi essayé le jus de betterave mais ça tachait beaucoup les planchers, les gens n’étaient pas contents.» Selon Florent Barbecot, faire attention aux quantités de sel utilisées signifierait changer «la façon que l’on a de vivre» dont moins utiliser la voiture. «Mais ça, c’est un choix de société», finit-il par dire. Mais dans les rues, employés comme habitants ne semblent pas encore prêts à ce changement.
Au volant de sa souffleuse, Charles Drolet, qui se dit fier «d’offrir ce service aux citoyens», note que les habitants aimeraient surtout les voir passer plus souvent. Malgré les impacts néfastes sur l’environnement, pour Francine Lalonde, qui habite un quartier central de Montréal, le déneigement est en effet «essentiel». «C’est un mal nécessaire!».