Mohammed Berrached. Auteur : «Se réapproprier notre patrimoine culturel est une nécessité»

19/09/2024 mis à jour: 12:58
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Un nouvel ouvrage intitulé Le proverbe algérien dans la culture d’entreprise vient d’être publié aux éditions Dar El Qods El Arabi. Il est signé par Mohammed Berrached, ancien cadre d’une entreprise publique, actuellement à la retraite. Passionné du patrimoine culturel immatériel algérien, l’auteur évoque les proverbes algériens et la pratique de la formation et la communication interpersonnelle en entreprise. Pour lui, les proverbes et les citations peuvent jouer un rôle significatif dans la communication d’entreprise en offrant des messages percutants et inspirants. Ils servent à motiver les équipes, à renforcer la cohésion et à transmettre des valeurs essentielles. 

Dans cet entretien accordé à El Watan, l’auteur est convaincu qu’«au vu de la déperdition des repères culturels communs qui nous rattachent à la nation, l’exploitation de notre patrimoine culturel et l’emploi de ses différents genres, les proverbes dans le cas de ce travail, dans autant de domaines que possible, n’est plus un choix mais un impératif qui contribuera à la survie de la personnalité algérienne».

 

Propos recueillis par Cherif Lahdiri

 

Quelle utilité peuvent avoir les proverbes algériens dans le management,  la formation et dans la communication d’entreprise ?

En tant que genre de tradition orale, le proverbe algérien a plusieurs fonctions. Les classifications thématiques des proverbes sont là pour nous en montrer la pertinence dans divers domaines. Nous avons d’abord lancé une réflexion ergonomique sur l’applicabilité de données traditionnelles dans un environnement technique moderne. Dans le management, le proverbe algérien  peut aussi bien servir de soutien à la motivation que d’appui à la stratégie de négociation. Il est également sollicité dans le règlement de conflits au sein de l’entreprise. Dans la formation, il sert souvent de support pédagogique, notamment avant et pendant le lancement d’une séance de formation. En fait, il s’agit de deux types de savoirs qu’il faut nécessairement concilier en vue d’une meilleure compréhension de notre environnement : les savoirs endogènes et les savoirs techniques. C’est là où le proverbe algérien est convoqué pour jeter une passerelle vers le monde moderne car, en tant qu’entité de la tradition orale, il porte en lui les éléments fondamentaux de l’apprentissage multidisciplinaire. Et le défi a été de rapprocher le proverbe algérien des thèmes de formation généralement dispensés par et/ou pour l’entreprise. Dans la communication, il est un facilitateur d’assimilation des savoirs, et un vecteur de rapprochement entre les individus d’une même communauté, voire d’une même corporation.


Comment créer un cordon ombilical entre «la dimension de partage intrinsèque à la mémoire collective comme matière à l’exploitation des proverbes» et la sphère entrepreneuriale prônée dans votre ouvrage ?   


Tout au long de notre expérience dans la formation, nous avons pu constater que le proverbe se prête naturellement et facilement à expliciter de façon très succincte une situation, un concept ou un problème. Je dirai même surtout que, dans les situations complexes, les Algériens communiquent souvent en utilisant le proverbe. La transposition de ce réflexe dans la «sphère entrepreneuriale prônée» est plus une question de volonté que de faisabilité. Nous avons noté que lorsqu’il leur est permis d’utiliser des proverbes, les apprenants, aussi bien que les travailleurs, manifestent de la synergie, facteur très demandé dans le travail d’équipe, et de l’empathie envers leurs coéquipiers, critère souhaité en entreprise et manifestation essentielle de partage de la mémoire collective. D’où une optimisation du niveau de la communication interpersonnelle et, par conséquent, un partage fluide et efficient des savoirs. Quant à la prédisposition de l’entreprise à adopter le genre proverbe de façon soutenue, les thèmes que nous présentons sont compatibles avec les enseignements des proverbes algériens que nous leur affectons. Le lien entre ce genre d’expression et la culture d’entreprise réside donc dans l’acte de communiquer où le proverbe algérien est souvent convoqué, la communication étant un processus partagé, transcendant toutes les activités humaines. Il y a lieu de «marketer» le proverbe en commençant par sa dimension illustrative, puis, progressivement, évoluer vers des thèmes complexes. Cet ouvrage propose une série de pistes et invite les chercheurs à s’y intéresser pour une analyse plus complète, profondément scientifique et, pourquoi pas, déboucher sur une modélisation de son utilisation comme matière à l’exploitation dans l’entreprise.


Vous estimez qu’«au vu de la déperdition des repères culturels communs qui nous rattachent à la nation, l’exploitation de notre patrimoine culturel et l’emploi de ses différents genres, les proverbes dans le cas de ce travail, dans autant de domaines que possible, n’est plus un choix, mais un impératif qui contribuera à la survie de la personnalité algérienne». Est-ce le fin fond du message que vous voulez transmettre à travers cet ouvrage ?     


L’ethnologue malien, Amadou Ampaté Bâ, identifie la tradition orale comme une source inépuisable d’enseignement. Il y a donc lieu d’en extraire les différents segments didactiques et de les intégrer dans les domaines de la communication et de la formation. Ici, c’est le proverbe que nous avons privilégié pour illustrer cette dynamique pédagogique, eu égard à sa concision, son entièreté, sa prosodie, ainsi qu’à d’autres caractéristiques qui le présentent sous forme mnémotechnique, donc facilement mémorisable. Enfin, le proverbe traverse les âges et transcende les cultures, d’où l’impérativité de son intégration, ou du moins de l’encouragement à son utilisation afin de se réapproprier un patrimoine qui contribuera à la pérennité, sinon à l’épanouissement de la personnalité algérienne.

Dans son avant-propos de présentation de cet ouvrage, le professeur de littérature comparée à l’université Oran 2,  Sidi Mohamed Lakhdar Barka, explique que votre démarche «nous invite à revisiter la richesse de notre patrimoine ancestral, à le sauvegarder afin de s’assurer qu’en enracinant ces acquis dans l’histoire de nos idées, nous produisons des savoirs authentiquess, et ce n’est que par notre identité culturelle, un savoir-être consciemment assumé, que nous pourrons contribuer aux savoirs universels et prétendre nous-mêmes accéder au patrimoine de l’universalité». Un dernier mot sur cet aspect fondamental ?
 

La nécessité de se réapproprier, voire réacquérir un pan de notre patrimoine culturel coagulé dans la tradition orale est plus un moyen qu’un but ultime pour assumer notre identité. 
 

L’ouvrage évoque une thèse simple : doté de sa propre culture, l’Algérien peut s’ouvrir à toutes les autres, langues comprises, sans y être assujetti. Ce principe d’ordre anthropologique évite à l’individu de se trouver face à des vides qu’il comblera avec les premiers éléments de culture qu’on lui propose, surtout que les réseaux sociaux aujourd’hui pullulent d’énoncés historiques, géographiques, ethnographiques, économiques, culturels, politiques douteux et tendancieux. 

La seule prise de conscience de ce que nous avons identifié comme du «fake-lore» contribuera à communiquer avec d’autres savoirs à travers des canaux exempts de bruits, et à transmettre les nôtres dans des conditions de compréhension optimales d’accès à la norme de l’universalité. 
 

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