Adda Dahmani, alias Mohamed Slim, est connu dans le milieu artistique pour ses remarquables chants patriotiques. Ce retraité de 87 ans revient sur ses débuts en ne manquant pas de souligner qu’aujourd’hui, il se considère comme marginalisé alors qu’il a donné le meilleur de lui-même durant plus de 70 années de carrière.
- Comment êtes-vous arrivé dans l’univers de la chanson patriotique ?
J’ai commencé très jeune à chanter, notamment, dans les scouts musulmans du groupe El Falah à Sidi Abderrahmane à La Casbah d’Alger. C’est à cette période que j’ai connu un des responsables des scouts, Mahfoud Kaddache. Adolescent, j’ai fait aussi mes premiers pas dans des émissions enfantines que Réda Falaki animait dans les années 1950.
Une année plus tard, j’intègre la troupe La Rose blanche que dirigeait l’artiste Mustapha Sahnoune. J’ai aussi fait le musical au cinéma El Djamel à Alger. En 1952, j’ai eu la chance de passer à l’émission musicale devenue, après l’indépendance, Alhan oua chabab.
A la suite de mon passage à cette émission de référence, j’ai été sélectionné avec d’autres artistes dont entre autres El Hachemi Guerouabi, Mohamed Lamari et Mohamed Zerbout, pour, justement, entamer une carrière de chanteur. Après, j’ai intégré la Radio nationale.
C’est là que j’ai fait connaissance du compositeur et parolier Mahoub Bati, qui m’a d’ailleurs composé la célèbre chanson Bent El Djazaïr. Il m’a aussi aidé à enregistrer quatre disques 45 tours, en 1959, en France. Au lendemain de l’indépendance, j’ai eu l’opportunité d’enregistrer d’autres tubes tels que Ikhouani la tensaou echouhada. Un texte de Moufdi Zakaria dont la musique a été confié à Abderrahmane Aziz. Chemin faisant, j’ai rejoint la Troupe de théâtre populaire (TTP), animée par le regretté Hassan El Hassani.
Cette troupe a été dissoute en 1974 faute de moyens. En 1975, j’ai regagné la troupe théâtrale de Kateb Yacine Action culturelle des travailleurs (ACT) à Alger pour y activer quatre ans. Kateb Yacine quitte Alger car il est nommé directeur du Théâtre régional de Sidi Bel Abbès. Nous l’avons, évidemment, suivi à Sidi Bel Abbès. J’y ai travaillé 5 ans. Pour quitter la troupe en 1980 pour revenir sur Alger. De 1980 à 1992, j’ai animé plusieurs concerts.
- Mais votre véritable carrière a commencé au Musical. Pourriez-vous, justement, revenir sur votre participation au concours organisé au cinéma El Djamel à Alger en 1951, aux côtés des regrettés artistes entre autres Mohamed Lamari, Mohamed Zerbout et El Hachemi Guerrouabi ?
Les souvenirs sont encore vivaces dans ma mémoire. Je m’en rappelle comme si c’était hier. J’ai frôlé le seuil du musical du cinéma El Djamel à Alger en 1951. Le musical était à l’honneur tous les dimanches soirs sous la direction d’Ahmed Touri, Farida Saboundji, Abdelhalim Rais, Zahra Halit et Meriem Abed.
Dans cet espace artistique, il y avait des amateurs qui se produisaient sur la scène tels que El Hachemi Guerrouabi, Mohamed Lamari, Mohamed Zerbout et Ali Chandali. Nous faisions dans l’imitation car nous n’avions pas de chansons personnalisées. Pour ma part, je reprenais le répertoire des Tunisiens.
Je me rappelle qu’à l’époque, je me plaisais à chanter la chanson tunisienne Y abeni aami, ya el seriyer. Ainsi, en compagnie des artistes Mohamed Lamari, El Hachemi Guerrouabi, nous avons passé les éliminatoires avec succès. Mahieddine Bachetarzi a organisé en notre honneur une grande soirée au Théâtre national d’Alger.
Le compositeur tunisien Abdelkrim Lahbib, qui a été convié à cette soirée, nous a composé des chansons pour Mohamed Lamari et pour moi. C’est de là qu’a commencé, véritablement, notre carrière. Je dirai même que mon école, c’est le musical. Je tiens à préciser que si je suis chanteur, parolier et compositeur, cependant, je ne joue à aucun instrument musical.
- Vous avez été même incarcéré au moment de la Révolution algérienne à cause des paroles de certaines chansons interprétées ?
Ce sont des moments douloureux que j’ai vécus en prison. J’ai chanté quelques chansons qui m’ont valu des incarcérations. Une fois, j’ai chanté en direct à la radio la chanson Anghem el Djazair. Tout de suite après mon tour de chant, la sécurité française est venue m’arrêter. Nous étions, je pense, en 1951 ou 1952. J’ai été interrogé dans un bureau au deuxième étage par un haut responsable. On pensait que j’avais envoyé un message codé à mes frères. Je leur avais expliqué que j’avais chanté une chanson, écrite par Ahmed Hachlaf et composée par Haddad El Djilali. Cet officié m’a donné une gifle qui m’a fait tomber par terre. Après, il a appelé la sécurité, leur demandant de me faire descendre au sous-sol. Et là, j’ai trouvé le comédien Mohamed Kechroud et l’animateur égyptien Said Haif.
Nous sommes restés ensemble sept jours pour nous transférer, par la suite à la villa Susini à El Mouradia à Alger. C’était la torture à l’état pur. On nous a séparés. Quelques jours plus tard, on m’a transféré dans un autre camp à Béni Messous, à Alger.
Là-bas, en 1952, 1953, j’ai ressuscité. J’ai retrouvé de grands artistes tels que Fadhila Djziria, Mohamed Lamari, Abou Djamel, Goussem (la sœur de Fadhéla Dziria). Il y avait une belle ambiance familiale qui y régnait. Pour la petite histoire, je me souviens que les vendredis, la regrettée Fadhila Dziria nous préparait un excellent couscous.
Comme elle n’avait pas de couscoussier, elle l’étuvait dans un tamis. On mangeait et on était contents. Nous avons passé de bons moments entre amis avant que ce camp ne ferme ses portes.
Ainsi, je suis sorti de ce camp d’incarcération, pour rejoindre la radio, à la Redoute. C’est là que j’ai travaillé sur la chanson La tensaw chouhaddakoum.
On venait me voir, encore, en me disant que je chantais des chansons interdites.
Il y avait un ami que j’emmenais avec moi chez les moudjahidine mais je ne savais pas qu’il appartenait à l’OAS. Un jour, il m’a dénoncé. Alors que je sortais d’un enregistrement à la Radio nationale à la Redoute, il y a eu une fusillade dans un barrage.
Ce dernier a été dressé par notre communauté afin que l’OAS ne rentre pas dans le quartier. Nous étions en train de discuter entre amis quand je vois une voiture avec portière ouverte où quelqu’un tirait des coups de feu. On m’a touché à l’épaule. Un ami, Djamel Mohamed, est mort sur le coup.
On m’a transporté par la suite dans une structure hospitalière à Salembier où on m’a mis un plâtre. Sept jours plus tard, les flics sont venus me chercher chez moi. Ils m’ont fait monter dans une Jeep et m’ont emmené à Diar Echems. Ils m’ont fait descendre au dernier sous-sol.
C’est là que j’ai trouvé l’artiste Mohamed El Badji. C’était le musée des horreurs. Ils m’ont montré celui qui m’avait dénoncé. C’était l’un de mes amis intimes qui m’avait vendu. Ils l’ont d’ailleurs tué sous mes yeux. J’ai milité jusqu’à en être fatigué.
- Sinon, donnez-nous quelques titres de vos chansons à succès...
Comme ma mémoire me fait un peu défaut, je citerai à titre d’exemple Ikhouani La tensaw chouhadakoum, écrite par Moufdi Zakaria. Eh Gueddache Nfekker Fel Djazair êd Theyer, Sayeg Ettomobile. Il y a aussi Y a Djayza âla Chett, une chanson écrite par Mahboub Stambouli et composée par le violoniste Mohamed Mokhtari.
- Vous avez fait aussi beaucoup de clips qui ne sont jamais sortis ?
C’est vrai que j’ai fait de nombreux clips qui n’ont jamais été diffusés par la Télévision algérienne, et ce, pour des raisons que j’ignore d’ailleurs.
- Vous avez également à votre actif plusieurs enregistrements ?
Mais bien sûr que j’ai à mon actif plusieurs enregistrements. Pour la petite histoire, je suis monté à la discothèque de la Radio nationale pour récupérer mes chansons pour en faire un coffret, mais comme par enchantement, mes chansons ont disparu. On m’a dit que je n’avais pas chanté le folklore.
- Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération d’artistes algériens ?
Je dirai que ce sont des jeunes qui ont goûté à l’indépendance de leur pays. J’espère qu’ils continueront sur cette voie. Ils sont contents de leur pays. Je ne vous cacherai pas que j’ai été émerveillé et très touché par le beau spectacle d’ouverture des Jeux méditerranéens d’Oran.
Le public a commencé à applaudir à la fin de la cérémonie. Dans notre temps, quand nous chantions, le public applaudissait sans entendre nos voix. La nouvelle génération d’artistes existe, Il faut la soutenir et croire en elle. C’est très important.
- Comment vivez-vous votre retraite ?
Après une longue carrière dans la chanson et le théâtre, je suis à la maison avec une modique retraite de 15 000 da. On ne cherche plus après nous, nous autres artistes quand nous sommes à la retraite alors que nous avons tant donné pour l’Algérie. J’ai oublié de dire qu’il y a l’ONDA qui nous donne tous les trois mois 13 000DA.
L’ancienne ministre de la Culture Khalida Toumi m’avait organisé un hommage au Palais de la culture de Kouba à Alger. Sinon, il y a des associations qui nous rendent hommage de temps en temps. Bien que je sois à la retraite, je peux encore apporter beaucoup de choses à la culture algérienne… mais hélas.