Le 30 juillet dernier, le président français, Emmanuel Macron, a adressé au roi Mohammed VI du Maroc une lettre dans laquelle il l’informe de son soutien au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental. L’initiative a suscité une large désapprobation. En prenant ce tournant, Paris a rompu avec sa position historique qui, comme l’essentiel de la communauté internationale, repose sur un règlement du conflit du Sahara occidental conforme aux résolutions des Nations unies. Le ministre sahraoui des Affaires étrangères, Mohamed Sidati, explique dans cet entretien pourquoi la sortie du chef de l’Etat français est à la fois inopportune, contre-productive et risquée.
- La lettre envoyée le 30 juillet 2024 par le président français, Emmanuel Macron, au roi du Maroc, Mohammed VI, dans laquelle il annonce le soutien de la France au plan d’autonomie marocain au Sahara occidental, a-t-elle surpris le Front Polisario ?
Le courrier de Macron au roi du Maroc ne nous a pas vraiment surpris. Cela même s’il vient de la part d’un représentant d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité qui a des obligations au plan international et dont il était, par conséquent, attendu une autre position. N’oublions pas que la France a été, depuis le début, pour beaucoup dans la genèse du conflit.
Ce pays a appuyé l’occupation illégale par le Maroc du Sahara occidental. Il a soutenu militairement, politiquement et diplomatiquement le Maroc dans son entreprise coloniale. Les Français sont impliqués dans la conception et la planification de l’invasion du territoire sahraoui. C’est la France qui a encouragé également le dépeçage par le Maroc et la Mauritanie du Sahara occidental.
Paris a été pour beaucoup dans l’organisation de la «marche verte» et l’armement de l’armée marocaine. Ils se sont impliqués de façon directe dans le conflit. Les Jaguars français ont semé la mort et la désolation au Sahara occidental. C’est encore la France qui a proposé et peaufiné ce qui est retenu sous l’appellation de «plan d’autonomie marocain». Lequel plan a été présenté par le Maroc en 2007.
Ce pays accompagne toutes les combines marocaines. Elle fait la guerre au peuple sahraoui et a toujours été présente dans ce conflit. Cet aspect est très important à relever. L’attitude aujourd’hui de la France vis-à-vis du conflit du Sahara découle d’une ancienne approche coloniale de l’espace nord africain et du Maghreb. Cette approche n’a toujours pas changé. Donc, non. Cela ne nous a pas surpris.
- En quoi l’annonce d’Emmanuel Macron sur le Sahara occidental est-elle problématique ?
Outre sa gravité, la position de la France sur le Sahara occidental telle qu’exprimée récemment par Emmanuel Macron, est anachronique. Pourquoi ? Elle intervient dans un contexte où un consensus international sur le règlement du conflit du Sahara occidental s’est forgé.
Ce consensus souligne en gros caractères, entre autres, le droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination. Le Sahara occidental est un territoire non autonome. Il est à décoloniser. C’est inscrit dans le marbre. Au lieu d’écouter la voix de la sagesse et de soutenir le consensus dont je viens de parler et les efforts pour éteindre le brasier qui menace la stabilité de toute la région, Paris continue de se fourvoyer avec son allié ou son protégé et à faire la guerre au peuple sahraoui. La France est allée jusqu’à contrarier le processus (de règlement) des Nations unies.
C’est à la fois illégal, irresponsable, inconséquent et dangereux. Je rappelle que la sortie d’Emmanuel Macron intervient dans un contexte régional des plus troubles. Elle est de nature, assurément, à alimenter davantage l’instabilité. Je le répète, la France a failli à ses obligations de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. A un moment nous avons pu observer, il est vrai, une forme de prudence dans le positionnement de la France.
C’était à l’évidence une attitude trompeuse. C’est la raison pour laquelle le Front Polisario a toujours dit que la France fait partie du problème. Tout le monde est conscient du rôle que peut jouer la France dans le règlement du conflit sur des bases justes dont le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Cela permettrait aux peuples de vivre en bonne intelligence.
- Qu’est-ce qui explique, selon vous, le ralliement, à ce moment précis, de la France au projet expansionniste marocain ?
Le Maroc n’a pas besoin de beaucoup courir derrière la France pour obtenir son soutien. Ils veulent juste faire augmenter les enchères. La France s’est toujours illustrée par une constance concernant le conflit du Sahara Occidental. Je ne crois pas à la thèse de la brouille entre les deux pays. A mon avis, le recul de l’influence française en Afrique est un élément à prendre en ligne de compte.
Au plan économique, la France n’est également plus aussi compétitive que les autres puissances présentes sur le continent. Incontestablement, la France est en perte de vitesse dans son pré-carré francophone. Elle est contestée, par ailleurs, par les opinions africaines qui ne veulent plus voir leur pays être sous la tutelle d’une puissance étrangère. Par rapport à cette question, il y a une véritable prise de conscience de la part des nouvelles générations africaines.
Aussi, la présence de la France est perçue comme illégitime. La relation entre la France et l’Afrique passe par des crises permanentes qui interrogent souvent la présence française en Afrique, les relations de dominants-dominés, l’exploitation effrénée des ressources naturelles et l’aliénation des populations. La France qui ne tire aucun enseignement de son histoire. Ce type de relations néocoloniales tissées avec certains régimes et certaines élites est remis en cause aujourd’hui, parfois même de façon violente.
Ce qui vient de se produire dénote donc d’une certaine panique. La France se sent ébranlée dans ses certitudes coloniales. C’est ce qui explique le choix de la France de s’appuyer sur certains régimes pour maintenir son influence et sa domination. Il se trouve que le Maroc en fait partie.
Il est clair également que la démarche de Macron est la conséquence d’un travail de lobbying mené par certains milieux en France. Quoi qu’il en soit, il a manqué de lucidité. Il a fait preuve d’un manque de vision. Cette démarche qui affecte la crédibilité de la France est loin d’avoir été mûrie.
C’est plus de l’amateurisme qu’autre chose. La France gagnerait à avoir des relations équilibrées avec tous les pays du Maghreb. Agir de cette façon, c’est encourager l’aventurisme et l’expansionnisme marocain au détriment de la stabilité de la région.
- De votre point de vue, qu’est-ce qui fait également courir la France dans cette partie de l’Afrique ?
La réponse est évidente. En plus du soutien continu à l’entreprise coloniale du Maroc, la France - qui est dans une logique de règlement de comptes dans la région - a des visées sur les richesses minières du Sahara occidental. Les Français le disent et ne s’en cachent même pas. Ils veulent une part du gâteau. Ils s’intéressent particulièrement aux métaux rares.
- Quelles sont, selon vous, les conséquences, pour la région, du positionnement du président Macron sur le conflit du Sahara occidental ?
On a tendance parfois à minimiser l’impact de la politique française au Sahara occidental. Il faut savoir néanmoins qu’elle génère de l’instabilité et de l’insécurité dans la région, en particulier en Afrique du Nord. Il est important de le souligner : le Maroc est un agent qui est utilisé pour dominer le Sahara occidental et maintenir une sorte d’épée de Damoclès sur la tête des peuples de la région.
Ce positionnement signifie que la France est pour la poursuite de la guerre au Sahara occidental avec tout ce que cela implique. C’est un chèque en blanc donné au Maroc pour qu’il aille de l’avant dans son entreprise coloniale. Cela alimente le conflit et fait augmenter les tensions.
C’est comme souffler sur des braises. Ce blanc-seing vise tout le voisinage. C’est évidemment très dangereux. Un foyer de tensions est extensible. C’est d’autant plus grave au regard de ce qui se passe déjà dans la région. Personne ne peut prévoir ce qui peut se passer. Il y a une volonté d’entretenir la tension et l’instabilité. Le Maroc représente une menace permanente pour tous les peuples de la région.
La position française s’inscrit dans cette démarche qui consiste, entre autres, à entretenir un conflit qui dure depuis 50 ans. La France montre, à travers ce positionnement, que c’est la force qui prime sur le droit. C’est grave venant d’un pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU et qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme.
Ce positionnement signifie également davantage d’épreuves, de douleurs et de souffrances pour le peuple sahraoui. La France complique, à l’évidence, la tâche aux organisations internationales et à l’ONU quiœuvrent à trouver une solution juste, pacifique et durable au conflit. Elle entretient par sa politique l’intransigeance et l’obstination du Maroc. Elle a, de ce point de vue, une responsabilité énorme devant l’histoire.
C’est une injustice flagrante. Malgré cela, les Sahraouis défendront mordicus leur droit à l’autodétermination et tiendront le temps qu’il faudra. Le peuple sahraoui est déterminé à poursuivre sa lutte et cela quel que soit le prix à payer. Les Sahraouis ont eu, par le passé, à affronter la France au Sahara occidental. Ils ne craignent pas de l’affronter à nouveau.
- Le conflit sahraoui sera bientôt à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale de l’ONU. Il le sera également lors d’une réunion du Conseil de sécurité prévue en octobre. Comment voyez-vous l’évolution de la situation ?
Le conflit du Sahara occidental – qui est un territoire non autonome – est éminemment un problème de décolonisation. Il relève de la responsabilité de la communauté internationale, particulièrement des Nations Unies qui sont garantes du droit international. Cela fait 70 ans que la question du Sahara occidental est considérée comme un problème de décolonisation.
La lettre de Macron et les tentatives du Maroc n’y changeront rien. Rabat s’est employé depuis la genèse de ce conflit à sortir le problème de son cadre juridique naturel. Le Maroc et ses alliés ont échoué. Ils peuvent faire obstacle, ils peuvent contrarier le cours des choses mais ils ne peuvent pas empêcher les Sahraouis à faire triompher leur cause.
Ce que vient de faire la France ne changera rien en ce qui concerne les fondamentaux de la question du Sahara occidental. Une chose est certaine, la France est disqualifiée pour jouer un rôle dans les efforts de la communauté internationale pour l’avènement d’une solution. N’eût été le rôle néfaste de la France, le confit aurait été réglé. Le Sahara occidental est et restera une question de décolonisation.
- La guerre entre le Front Polisario et le Maroc a repris en novembre 2020. Quelle est actuellement la situation sur le terrain ?
Le Maroc a davantage de moyens et de matériels militaires. Il a des armes destructrices et sophistiquées ainsi que des drones. Il est aidé par la France et Israël. Nous, nous continuons à dire que nos moyens sont modestes. Nous nous sommes néanmoins adaptés.
Depuis la reprise du conflit, nous menons une guerre d’usure qui a de nombreuses facettes. Elle nous permet de résister, de frapper durement et de façon efficace. L’agresseur marocain le reconnaît lui-même. Nos opérations lui font très mal. Il a même porté plainte. Nous intensifions ce genre d’opérations. La détermination et la combativité du peuple sahraoui qui défend une cause juste font aussi la différence.