Milan Kundera est mort mardi 11 juillet, à Paris. Il avait 94 ans. Triste jour pour le monde de la littérature et les millions de lecteurs de « L’Insoutenable légèreté de l’être », son roman au succès planétaire, paru en 1984.
Employer le terme « succès » en évoquant Kundera n’est pas approprié, pour celui qui a tenu en dédain l’establishment et les mondanités littéraires, au prix de son « bannissement » de certaines distinctions qu’il aurait pourtant remporté haut la main, à commencer par le Nobel. Lui rendre hommage devrait se faire sans tumultes ni fracas, en harmonie avec sa vie et sa philosophie qui tenait en horreur la publicité.
D’ailleurs, après son passage en 1984 dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, il a choisi simplement de couper avec la presse.
Milan Kundera est né en 1929 à Brno en Tchécoslovaquie, son pays qu’il finit par quitter sous la pression de l’appareil communiste. Car les premiers romans de Kundera réécrivent l’histoire en toute liberté, en faisant le pied de nez au stalinisme régnant. « La Plaisanterie », paru en 1967 est une autopsie de l’absurde dans lequel était plongé la Tchécoslovaquie, totalement inféodée à l’URSS et fermée aux idées. Mais Kundera n’était pas un historien, encore moins un opposant politique.
Sa théorie du roman, développée dans un premier essai « L’art du roman », et ensuite dans « Les testaments trahis », dévoile un dévouement exclusif et farouche au roman comme art suprême. Dans Les Testaments trahis, il explicite cette posture : « La seule chose que je désirais [...] profondément, avidement, c’était un regard lucide et désabusé. Je l’ai trouvé enfin dans l’art du roman.
C’est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un “genre littéraire” parmi d’autres ; ce fut une attitude, une sagesse, une position ; une position excluant toute identification à une politique, à une religion, à une idéologie, à une morale, à une collectivité ; une non-identification consciente, opiniâtre, enragée, conçue non pas comme évasion ou passivité, mais comme résistance, défi, révolte. J’ai fini par avoir ces dialogues étranges : “Vous êtes communiste, monsieur Kundera ? - Non, je suis romancier.” “Vous êtes dissident ? - Non, je suis romancier.” “Vous êtes de gauche ou de droite ? - Ni l’un ni l’autre. Je suis romancier. »
En 1975, il s’exile en France et poursuit son œuvre dans la langue de Molière, pour éviter la traduction qu’il considère comme une trahison inévitable. «Le Livre du rire et de l’oubli», «La Lenteur», «L’immortalité» ou encore «La fête de l’insignifiance» paraitront d’ailleurs en français.
En 2011, son œuvre est publiée (en deux volumes) dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Avec cette disparition, c’est l’un des peintres les plus précis et des sarcastiques de la condition humaine que nous perdons.