Dans cet entretien, Meksi Abdelkader, PHD dans les techniques de l’eau, universitaire et ancien directeur de l’hydraulique dans les wilayas de Mostaganem, Tlemcen, Sidi Bel Abbès et Mascara (de 1990 à 2020) revient sur le cycle de sécheresse qui frappe l’ouest du pays et ses répercussions sur l’agriculture. Il avance des solutions à même d’atténuer les effets de cette sécheresse sur le monde agricole.
- Quelles sont les raisons du déficit hydrique observé actuellement dans l’Ouest du pays ?
Le déficit observé actuellement n’est pas le résultat d’un événement spontané mais l’aboutissement de plusieurs facteurs. D’abord, le dérèglement climatique qui s’est traduit par la récurrence des périodes de sécheresse, de plus en plus longues, et une brutalité des événements pluvieux (inondations) ; dérèglement largement perceptible par le glissement annuel vers le Nord, la frontière de l’aridité et la nette diminution du niveau des précipitations de 30 à 15% de l’Ouest vers l’Est.
Ensuite, les sérieux dysfonctionnements techniques enregistrés dans l’exploitation de deux grandes unités de dessalement de la zone ouest : Souk Tlata (Tlemcen) et la Macta (Arzew). Ces dysfonctionnements ont conduit au recours systématique et intensif aux réserves d’eau superficielles (barrages) ainsi qu’aux réserves d’eau souterraines dont l’exploitation devrait obéir au principe de la régulation pluriannuelle. S’ajoute à cela l’approvisionnement en priorité des populations avec des niveaux de desserte élevés (H24) et des plages de distributions en inéquation avec ce qu’exige la précaution de l’aléa climatique.
Cela a non seulement induit de graves et inadmissibles pertes d’eau au niveau des réseaux de distribution, mais a surtout fait pencher les arbitrages au détriment du secteur de l‘agriculture. A l’évidence, nous sommes face à l’un des cycles de sécheresse les plus longs enregistrés depuis les années 1980. Rappelons qu’à la fin des années 1990, nous avions vécu une période de sécheresse, tout aussi difficile, avec nettement moins de possibilités sur le plan des infrastructures et en l’absence du parc actuel d’usines de dessalement. Cette situation avait même laissé place à l’idée de recourir à l’importation de tankers d’eau pour répondre aux situations d’urgence et approvisionner les agglomérations algéroises et oranaises.
- La sécheresse met à mal les capacités de résilience des agriculteurs, contraints de se rabattre sur les ressources souterraines. Le recours aux autorisations de fonçage est-il une solution, selon vous ?
Il y a lieu de lever certains amalgames au sujet des mesures d’allégement des procédures de fonçage ainsi que du mode de fonçage arrêté par les pouvoirs publics. Il est surtout question de réduire les délais d’examen des dossiers à un mois pour les suites à donner, mais nullement de généraliser l’octroi des autorisations.
L’examen des procédures obéit à des règles bien définies. Elles sont édictées par les capacités techniques des aquifères et leur état d’exploitation ainsi que par le respect de périmètres réglementaires protégeant les zones de prélèvement d’eau destinés à un usage prioritaire. Lors de l’examen, il est important d’éviter de mettre en danger la pérennité de certains investissements agricoles (arboriculture, céréaliculture…) où se pratique un usage rationnel et moderne de la ressource en eau. En ce moment, tous les fellahs veulent disposer d’autorisations de fonçage.
Cette frénésie peut mener, à court terme, vers la destruction des périmètres agricoles existants. L’autorité doit réguler l’usage de l’eau, à contrario cette frénésie du fonçage au moindre coût (battage) ne fera que conduire aux situations de surexploitation des nappes comme celles de Mascara (plaine de Ghriss) et de Sidi Bel Abbès (Tenira) où, à force de puiser l’eau souterraine, la nappe a été réduite presque à sec. Il est toujours nécessaire de rappeler que la gestion de l’eau en Algérie découle du principe de partage solidaire de la ressource disponible et de son usage collectif.
- Les rendements semblent compromis pour cette saison, qu’y a-t-il lieu de faire ?
Sur le plan des prévisions liées à la saison agricole en cours, il est peut-être encore trop tôt pour se résigner à la fatalité. Il est encore nécessaire de poursuivre les efforts en termes de rationalisation de l’usage de l’eau. Prenons l’exemple du parc arboricole qui nécessite tout un plan de sauvetage. Les superficies exploitées doivent recevoir un appoint d’irrigation tout en minimisant le recours aux pratiques agricoles grandes consommatrices d’eau et à faible valeur nutritive. Il y a lieu également d’affiner en priorité l’option stratégique visant le dessalement de l’eau de mer.
Aujourd’hui, le pays dispose d’un parc d’usine de dessalement d’une capacité théorique de plus de 1,5 million de mètres cubes/jour. Depuis la crise des années 2000, nous disposons d’un apport nouveau de plus de 750 millions de mètres cubes annuellement.
Le dessalement permet de sécuriser l’approvisionnement des populations de la frange littorale du pays. Il s’agit prioritairement de déterminer la part des ressources en eau devant être mise à la disposition du programme de sécurité alimentaire du pays en termes d’eau recyclée, la part des eaux superficielles (barrages, retenues…), des eaux souterraines renouvelables des nappes de la zone littorale, des nappes du continental intercalaire et du complexe terminal.
Aussi, devons-nous nous accorder clairement sur les options hydro-agricoles du pays. Autrement dit, que veut-on faire des périmètres alimentés à partir des bassins hydrologiques existants ? Les solutions restent à inventer, à arbitrer, au vu de la révolution énergétique en cours mais aussi des évolutions technologiques en termes de rationalisation de l’usage de l’eau. Il est important de revoir l’usage des différents intrants agricoles, d’évaluer la réponse des sols, d’affiner la génétique des végétaux, et ce, afin d’arrêter ce qui pourrait être produit localement, ce qui pourrait être destiné à l’exportation et ce qui doit être économiquement importé.
- Vous plaidez pour un comptage systématique des usages de l’eau dans les domaines domestique, industriel et agricole…
La gestion de l’eau exige une approche solidaire. Cela impose le préalable de sa mesure (quantification) à l’effet de la répartir avec justice. Lorsqu’on parle de mesure, cela veut dire un comptage systématique et précis de tous les usages d’eau.
Techniquement réalisable, le comptage est une opération de salubrité publique. Il s’agit de disposer d’une base de données qui va nous permettre d’asseoir une politique agricole intelligente. Mais aussi d’envisager des dispositifs de rationalisation de l’eau à travers des systèmes d’aide à la gestion, notamment dans les zones nord du pays.
Cela est d’autant plus important que la hiérarchie politique vient de donner des signes avant-coureurs d’une réelle volonté d’asseoir une stratégie pour la mise en œuvre, à moyen terme, des fondements de la sécurité alimentaire, hydrique et énergétique, loin des solutions d’urgence. Il est ainsi question, à travers des textes en phase de préparation, de mettre fin au dangereux processus de l’émiettement du domaine foncier privé de l’Etat. Un émiettement qui continue d’aggraver les risques environnementaux liés aux modes d’exploitation des sols et de l’eau.