Me Lezzar Nasr-eddine . Ancien vice-président du Tribunal arbitral des sports en Algérie : «La décision la plus logique est un forfait du club RS Berkane …»

24/04/2024 mis à jour: 02:41
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Prévu pour le dimanche 21 avril, le match entre l’USM Alger et le RS Berkane pour la Coupe de la Confédération africaine de football (CAF) a été annulé, en raison d’une controverse entremêlant sport et politique. 

La veille de la rencontre, la CAF a annoncé avoir validé le maillot controversé de l’équipe du R.S. Berkane avant le début de la compétition. Maître Lezzar Nasr-eddine, figure éminente dans le domaine de l’arbitrage économique et ancien vice-président du Centre de règlement des litiges sportifs algériens pendant trois ans, est bien placé pour éclairer les aspects juridiques de cette situation. Sollicité par El Watan, à cet égard, pour répondre à nos questions, Maître Lezzar Nasr-eddine a accepté de nous livrer son analyse sur ce conflit de trop.

 

Une crise politique et sportive inédite  secoue la planète foot en Algérie, en Afrique et probablement étendra ses répercussions au niveau mondial puisque l’USMA  aurait engagé la saisine du Tribunal arbitral des sports de Lausanne, juridiction universelle du sport.

Pour commencer, nous évitons  d’extrapoler. Nous allons réduire le problème à sa plus simple expression. Le club marocain s’est présenté avec un maillot comprenant l’image d’un territoire dont une partie est celle d’un pays, le Maroc, auquel est rattachée le Sahara occidental  qui est revendiqué par le Maroc et par la République arabe sahraouie démocratique. Pour l’ONU, il s’agit toujours d’un territoire non autonome, dont la décolonisation n’est pas terminée. Ces maillots ont été  saisis par les douanes algériennes, organes de souveraineté,  qui régissent, de façon souveraine, les entrées et les sorties des personnes  et des biens dans le territoire national.

 Cette introduction de maillots irréguliers constitue une violation des règles sportives fondatrices universelles notamment : FIFA règlement de l’équipement Art 10.3.6 : «Un élément décoratif ne doit pas (…) représenter le visage ou l’identité d’une personne, la forme d’un pays ou d’un territoire ou en donner  l’impression». Le texte est on ne peut plus clair et ne prête à aucune équivoque. La loi 4 du football relative à l’équipement des joueurs.- Article 4.5 slogans, déclaration, images, publicité : «L’équipement ne doit présenter aucun slogan, inscription ou image à caractère politique, religieux ou personnel. Les joueurs ne sont pas autorisés à exhiber de slogans, messages ou images à caractère politique, religieux, personnel ou publicitaire sur leurs sous-vêtements autre que le logo du fabricant. 

En cas d’infraction, le joueur et/ou l’équipe sera sanctionné par l’organisateur de la compétition, par la Fédération nationale ou par la FIFA». Selon l’article 50 de la Charte olympique (alinéa 2), «aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique». Pire, le RS Berkane s’est déplacé à Alger uniquement avec le maillot floqué, un détail qui enfreint les règlements de la CAF dans cette épreuve. En effet, l’article 6, intitulé «Maillots des joueurs» alinéa 7, stipule : «L’équipe visiteuse devra obligatoirement se déplacer avec deux jeux de maillots, l’un portant de la publicité et l’autre vierge de toute publicité». 

Les autorités sportives algériennes, soucieuses d’accorder toutes les facilitations aux compétiteurs étrangers conformément à leurs obligations olympiques, ont mis à la disposition des frères marocains des tenues conformes aux statuts de la FIFA. Il semble que la délégation marocaine ait refusé d’utiliser les maillots de substitution offerts par l’Algérie car l’unique exemplaire qu’ils ont ramené (en violation du règlement sus-cité (art 6.7) portait le logo de la société de fabrication. Ils ont fait le choix et pris la responsabilité de sacrifier une distinction continentale pour une petite considération commerciale. Le jour «J» à l’heure «X», l’USMA s’est présentée sur le terrain tandis que le club marocain a enregistré sa défaillance. La situation semble claire. Le forfait de l’équipe Berkane est affirmé et consommé.


Mais comment peut-on comprendre  qu’en dépit de la clarté des textes et la gravité des violations, la  Confédération africaine du football (CAF) a autorisé  le club à utiliser le maillot litigieux ? 

Tout d’abord, je ne peux pas expliquer comment l’équipe marocaine ait pu commettre une si grave erreur d’ordre juridique. En fait, je ne pense pas qu’une telle méconnaissance du droit du sport soit possible à ce niveau-là. Il est impensable que les autorités du football marocain commettent la maladresse de prendre de risques aussi graves et entrer dans une aventure qui aurait éliminé leur club  et discrédité leur pays,  si elles n’avaient pas eu des assurances d’impunité. Je ne peux pas expliquer, non plus, cette autorisation de violation de lois aussi fondamentales et aussi claires par la CAF, qui constituerait une grave dérive. Il faut aussi vérifier si cet e-mail a été signé par une personne ou une structure habilitée. En tout état de cause, cette autorisation est une véritable forfaiture qui prouve, si besoin est, que la CAF est une organisation infra-juridique. Il faut aussi ajouter que les arrière-pensées et la manipulation politiques du Makhzen sont irréfutables. Cette mauvaise manœuvre s’inscrit dans le continuité du torpillage de la CHAN 23 lorsque l’équipe marocaine exigeait de  venir par un avion de la compagnie marocaine interdit d’entrée en Algérie. Il semble que le Makhzen n’a pas retenu la leçon. 
 

Quelles sont, selon vous, les développements possibles de ce «vaudeville» et comment la situation pourrait se dénouer ? 

La décision la plus logique est un forfait du club R S Berkane mais on ne devrait pas s’arrêter là. Il faut aller à des sanctions plus graves à la mesure de la gravité des manipulations du Makhzen et des risques que ces manœuvres ont fait peser sur le pays hôte. Imaginez les dérives et dérapages possibles d’une population  éprise et férue de  football, excitée par la frustration d’un match attendu mais annulé. Imaginez les troubles à l’ordre public qu’aurait connu le pays hôte si les supporters contrariés s’étaient déchaînés dans les rues de la capitale. Qui aurait été responsable de toutes les victimes humaines ? Heureusement que les supporters algériens ont fait preuve d’une maturité exceptionnelle et se sont retirés dans le calme et la sérénité.


Quels sont les mécanismes juridiques susceptibles d’être mis en œuvre devant cette situation ?

Juste après le match non joué, la CAF a annoncé qu’elle saisirait les instances concernées sans préciser lesquelles. Il y a sur ce point une grande ambiguïté. Qui va agir contre qui ? Le  RS Berkane n’a pas été interdit de jouer. Il s’est abstenu de le faire malgré les maillots qui lui ont été offerts, aimablement, par la FAF. Les maillots de la discorde ont été  saisis par la Douane, institution de souveraineté qui ne dépend ni de la FAF ni de l’USMA. Si la Douane a agi de façon illégale, elle en assumera la responsabilité. Dans ce cas, nous ne sommes pas  devant un litige sportif mais devant un litige administratif. L’Algérie, représentée par la FAF, pourrait agir contre la CAF ou ses agents indélicats, dans le cas où celle-ci ne prononcerait pas un forfait contre le RS Berkane ou si elle se limiterait au forfait sans prononcer d’autres sanctions, telles que la suspension du club qui a bafoué les principes fondateurs des lois du sport universel et causé des troubles et des préjudices à la FAF. Je ne peux  pas imaginer que la CAF puisse sanctionner l’USMA en lui ôtant les trois points du match. Celle-ci  s’est présentée sur le stade. Les arbitres aussi doivent s’expliquer, car leur absence sur le terrain est inexcusable. Ils ont fourni une couverture à la limite de la complicité avec le club  défaillant. 

Quels sont vos pronostics pour cette bataille juridique ? 

Tous les juristes de bonne foi vous diront que la légalité et l’éthique sportive sont du côté algérien. Cependant, la mauvaise politique a toujours corrompu le bon sport. Deux instances pourraient être interpellés : les organes de règlement des litiges de la CAF ou le Tribunal arbitral des sports, organes de la FIFA. La CAF est juge et partie. Son parti pris  est clair. Elle a autorisé l’utilisation du maillot de la discorde, en dépit de la flagrante et criarde illégalité. Les arbitres nommés par la CAF ne se seraient pas présentés sur le stade et, ainsi, se sont écartés de leur devoir d’impartialité et de neutralité. La proximité de la CAF avec le Makhzen est un secret de Polichinelle. Le Tribunal arbitral du sport est «un  instrument entre les mains de l’Occident». Cette juridiction  (TAS) a rejeté l’appel du Comité olympique russe qui contestait sa suspension, décidée mi-octobre par le Comité international olympique (CIO), en lien avec le conflit en Ukraine.  

Le CIO et le TAS par ricochet n’ont eu aucune réaction face au Comité olympique israélien pour le génocide de GAZA et au Comité olympique marocain pour l’annexion du Sahara occidental. L’Algérie a toujours été à la pointe des combats pour les causes justes. Elle a été une fervente opposante de l’Apartheid sportif et l’Apartheid tout court. L’Algérie s’oppose haut et fort au sionisme en politique. Elle est l’initiatrice du processus historique de reconnaissance de l’Etat de Palestine par l’ONU. Elle s’est opposée à l’entrée d’Israël comme membre observateur à l’Union africaine, soutenue par le Maroc et d’autres Etats africains. Les athlètes algériens ont toujours  boycotté des compétitions face à des athlètes israéliens. Dans cette bataille, le droit et l’éthique sportive s’opposeront  à la politique et lorsque la politique entre dans une enceinte, le droit en sort. La construction d’un nouvel ordre sportif mondial doit être engagée.

Entretien réalisé par  M.-F. Gaidi 

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