Amnesty International a recueilli les témoignages de 27 Palestiniens qui ont été arrêtés et privés de tout contact avec leurs familles. Toutes ces personnes ont affirmé que «pendant leur détention au secret, qui dans certains cas s’apparente à une disparition forcée, l’armée, les services de renseignement et la police les avaient soumis à des actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants».
Israël doit mettre fin au recours à la détention au secret massive et à la torture contre des Palestiniens et Palestiniennes de Ghaza», plaide Amnesty International dans une déclaration rendue publique jeudi. Selon l’ONG, «une loi israélienne abusive est utilisée pour maintenir indéfiniment en détention arbitraire des Palestiniens et Palestiniennes de Ghaza, sans inculpation ni procès».
Il s’agit de la «loi sur l’incarcération des combattants illégaux» qui constitue de l’avis de l’organisation une «violation flagrante du droit international». Amnesty International a recueilli les témoignages de 27 Palestiniens : 21 hommes, 5 femmes, et un mineur, un garçon de 14 ans.
Ces personnes «ont été maintenues en détention sans pouvoir contacter leurs avocat(e)s ou leurs familles pendant des périodes allant jusqu’à quatre mois et demi», indique Amnesty. Toutes «ont déclaré que, pendant leur détention au secret, qui dans certains cas s’apparente à une disparition forcée, l’armée, les services de renseignement et la police les avaient soumises à des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants».
Une loi qui «institutionnalise les disparitions forcées»
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, citée dans le communiqué, fera observer à propos de ces détentions illégales pratiquées par Israël : «Si le droit international humanitaire autorise la détention de personnes pour des motifs de sécurité impératifs dans des situations d’occupation, des garanties permettant d’empêcher la détention illimitée ou arbitraire et les actes de torture et autres mauvais traitements doivent toutefois être mises en place. Cette loi ne fournit manifestement pas ces garanties.
Elle permet une torture généralisée et, dans certains cas, institutionnalise les disparitions forcées.» Et Mme Callamard d’affirmer : «Nos recherches révèlent que les autorités israéliennes utilisent la loi sur l’incarcération des combattants illégaux pour arrêter arbitrairement des civil·e·s palestiniens de Ghaza et les plonger dans une sorte de trou noir pendant des périodes prolongées, sans produire la moindre preuve que ces personnes constituent une menace pour la sécurité et en l’absence de toute procédure régulière.»
D’après l’organisation londonienne, «quelque 1402 Palestiniens et Palestiniennes étaient détenus au titre de la loi sur l’incarcération des combattants illégaux». «Entre février et juin 2024, Amnesty International a recensé 31 cas de détention au secret, ainsi que des preuves crédibles d’un recours généralisé à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.»
S’agissant des 27 personnes avec lesquelles Amnesty s’est entretenue, l’armée israélienne les a arrêtées «à différents endroits à Ghaza», notamment «la ville de Ghaza, Jabalia, Beit Lahiya et Khan Younès». Ces arrestations se sont produites «dans des écoles accueillant des personnes déplacées sur le territoire, lors de descentes dans des logements, dans des hôpitaux et à des postes de contrôle nouvellement installés».
Les personnes interpellées «ont ensuite été transférées vers Israël et maintenues en détention dans des établissements de l’armée ou des Services pénitentiaires israéliens, pendant des périodes allant de deux semaines à 140 jours», détaille Amnesty. Sur le profil des personnes ciblées par ces arrestations, il y a parmi elles « des médecins arrêtés dans des hôpitaux pour avoir refusé d’abandonner leurs patients, des mères séparées de leurs nourrissons alors qu’elles essayaient de traverser le soi-disant ''couloir de sécurité'' du nord de Ghaza vers le sud, des défenseurs des droits humains, des employés de l’ONU, des journalistes et d’autres civils».
«Menottés, les yeux bandés et attaqués par des chiens»
La secrétaire générale d’Amnesty International est formelle : «La torture et les autres formes de mauvais traitements, y compris les violences sexuelles, sont des crimes de guerre», tranche-t-elle. «Ces allégations de torture doivent faire l’objet d’une enquête indépendante du Bureau du procureur de la Cour pénale internationale.
Une telle enquête est indispensable, étant donnée l’incapacité avérée de la justice israélienne à enquêter de manière crédible sur les allégations de torture formulées par des Palestiniens et Palestiniennes par le passé. Les autorités israéliennes doivent également permettre immédiatement à des observateurs indépendants d’accéder sans restrictions à tous les lieux de détention, cet accès étant refusé depuis le 7 octobre», insiste Mme Callamard.
L’ONG précise que huit parmi les personnes interrogées présentaient «des marques et ecchymoses correspondant à des actes de torture». Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International «a vérifié et géolocalisé au moins cinq vidéos d’arrestations massives, et notamment des vidéos dans lesquelles apparaissent des détenus filmés alors qu’ils ne portaient que leurs sous-vêtements après avoir été arrêtés dans le nord de Ghaza et à Khan Younès». «Le fait d’imposer une nudité publique forcée (…) constitue une forme de violence sexuelle», statue l’organisation de défense des droits humains.
Amnesty International rapporte par ailleurs que «des hommes, qui ont été détenus dans le tristement célèbre camp militaire de Sde Teiman, près de Beersheba, dans le sud d’Israël, ont déclaré avoir eu les yeux bandés et avoir été menottés pendant toute la durée de leur détention dans ce camp». Ils ont révélé en outre «avoir été forcés à rester dans des positions douloureuses pendant de longues heures et avoir été empêchés de se parler ou de lever la tête».
Un détenu, qui a passé 27 jours «dans un baraquement avec au moins 120 autres personnes», a affirmé à Amnesty que lui et les autres prisonniers étaient «roués de coups par des militaires et soumis à des attaques de chiens, simplement pour avoir parlé à un autre détenu, levé la tête ou changé de position».
«C’est comme une guerre dans la guerre»
Parmi les cas entendus par les enquêteurs d’Amnesty International, figure, comme nous l’avons signalé, un mineur de 14 ans. Il a été arrêté à son domicile à Jabalia, dans le nord de la bande de Ghaza le 1er janvier 2024. Il a été incarcéré pendant 24 jours au camp militaire de Sde Teiman «dans un baraquement avec au moins 100 détenus adultes».
Il soutient avoir été soumis lui aussi à des actes de maltraitance. Tout au long de sa détention, il avait «les yeux bandés et il était menotté». Les militaires israéliens lui assénaient «des coups de pied et des coups de poing au cou et à la tête».
«Il a déclaré avoir été brûlé avec des cigarettes à plusieurs reprises», ajoute Amnesty. L’ONG confirme que «l’enfant portait sur son corps des marques de brûlures de cigarette et des ecchymoses lorsque Amnesty International s’est entretenue avec lui».
Amnesty précise par ailleurs que nombre des personnes mises au secret «sont détenues pendant des mois sans avoir la moindre idée des motifs de leur détention». Elles sont «privées de tout lien avec leur famille et leurs proches et ne peuvent pas contester les motifs de leur détention».
«Des familles ont décrit, à Amnesty International, la souffrance d’être séparées de leurs proches et de vivre dans la crainte constante de découvrir que leurs proches sont morts en prison.» Alaa Muhanna, épouse d’Ahmad Muhanna, directeur de l’hôpital Al Awda qui a été arrêté à l’intérieur de l’hôpital le 17 décembre 2023, a livré ce témoignage poignant à Amnesty International : « Je dis aux enfants qu’Ahmad va bien, qu’il reviendra bientôt, mais vivre cette guerre, les déplacements constants, les bombardements, et devoir en plus se battre pour savoir où est votre mari, ne pas entendre sa voix, c’est comme une guerre dans la guerre.»
Un travailleur de la santé à Ghaza, arrêté lui aussi puis relâché, confie de son côté : «Le fait de ne pas savoir si sa famille à Ghaza était vivante ou pas pendant sa détention était encore pire que la torture et la famine.» Le 3 juin, un porte-parole de l’armée israélienne a assuré au journal Haaretz «enquêter sur la mort en détention de 40 personnes en Israël, dont 36 sont mortes ou ont été tuées au camp militaire de Sde Teiman». «Pour l’instant, aucune poursuite n’a été engagée», constate Amnesty International.
90% de la population palestinienne déplacée
Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a déclaré que 90% de la population de la bande de Ghaza a été déplacée depuis le début des agressions sionistes contre l'enclave en octobre 2023, notant que ce taux comptait un grand nombre d'enfants.
Dans un message diffusé mercredi sur la plateforme X, repris par l'agence palestinienne de presse Wafa, l’Unicef a indiqué que les endroits vers lesquels les Palestiniens ont été contraints de se déplacer manquaient des strictes nécessités de base et de sécurité.
Dans le même contexte, le commissaire de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, Philippe Lazzarini, a fait état d’au moins huit écoles bombardées «presque quotidiennement», au cours des dix derniers jours, dont six relevant de l’UNRWA. R. N.