Mauritanie : Un artiste globe-trotteur met en couleur la parole des sans-voix

08/02/2023 mis à jour: 09:04
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L’artiste franco-britannique Seb Toussaint peignant le mur d’une petite maison à Nouakchott, le 1er janvier 2023

Depuis dix ans, un artiste en short et baskets débarque chez les laissés-pour-compte de ce monde, et repart en laissant sur les murs des fresques aux couleurs vives autour de mots comme «Vie» ou «Paix».

«Le but, c’est de peindre les mots des gens qui n’ont jamais la parole», dit le muraliste franco-britannique Seb Toussaint. L’artiste de 35 ans aux allures de footballeur vient d’attaquer le «Futur» dans le quartier poussiéreux de Zaatar, dans la banlieue de Nouakchott en Mauritanie. Lui et ses deux compagnons de voyage ont couvert de blanc le côté d’une baraque branlante, et départagé de larges espaces bleu et rose layette.

Sous deux ou trois jours, le lecteur attentif discernera les lettres composant en arabe Almoustaqhbal (l’Avenir) sur un mural qui ne détonnerait pas dans les capitales du street art: de grands motifs colorés, figuratifs ou géométriques ou les deux, ondoyant ou statiques.

La peinture fera la fierté du propriétaire de la cabane pendant 10 ans, si elle tient ce temps-là. Et les gamins innombrables qui auront grandi entre-temps se rappelleront les trois étrangers venus de nulle part taper le ballon avec eux dans les chemins cahoteux au milieu des ânes et des chèvres, puis mettre des couleurs et des mots sur leurs bicoques de planches ou de parpaings.

Depuis 2013, Seb Toussaint a couvert le ciment, la tôle ou le bois de saillies verbales dans des langues et des alphabets différents, comme «Humanité» dans les Territoires palestiniens, «Changement» au Népal, «Liberté» en Irak. Vivant de son travail en Europe, il autofinance des séjours d’un mois dans des bidonvilles ou des camps de réfugiés et propose aux habitants de peindre leur mur. Au propriétaire de choisir un mot que le panneau mettra en valeur.

C’est le projet «Share The Word» (Passe le mot), inspiré en partie, dit-il, par les épreuves de sa grand-mère sous l’Occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale en Normandie (nord-ouest de la France). Lui qui a commencé en confectionnant des tifos pour un groupe de supporteurs de foot et en graffant autour de Caen a été confronté aux réalités du monde lors d’un tour du globe à vélo il y a une dizaine d’années. En arrivant à Zaatar début janvier, «on a joué au foot avec les gosses. J’ai expliqué (alentour) dans un arabe sommaire que le but, c’était de peindre des maisons. Une personne a dit : ‘‘Je veux bien que vous peigniez ma maison’’».

Éphémère

«On n’a jamais eu de refus», dit-il. Quelques mésaventures, certes. L’énigmatique Doudou, compagnon au long cours, a été pris en otage pendant 24 heures et relâché contre rançon en Côte d’Ivoire. Partout, il peut y avoir un peu de réticence initiale. «L’important, c’est de savoir si les gens ont de bonnes intentions. On a vite compris que ceux-là avaient de bonnes intentions», dit Amar Mohamed Mahmoud, pêcheur de 52 ans qui mâchonne une racine pour se curer les dents. Il a accepté que sa baraque s’orne de «la Chamelle», rare représentation animalière sur tons fauve et bleu.

Depuis, il y a eu «Maman», «Jeunesse», «les Amis»... Huit muraux en tout, pans éclatants dans un bidonville desséché par le soleil où deux derniers acacias suffoquent dans le sol saturé de sel. Seb Toussaint calcule avoir essaimé 222 apostrophes polychromes à travers le monde. Ses commanditaires de rencontre ont un goût prononcé pour «Paix» ou «Amour». Des mots restent des années, d’autres passent. La pluie, le vent. «Amour», «Rêve» et «Kobané», la ville syrienne, ont disparu avec le démantèlement d’un camp du côté de Calais (nord de la France), d’où les migrants cherchent à gagner l’Angleterre. Seb Toussaint s’enorgueillit modestement de contribuer à attirer l’attention sur des oubliés.

Ses muraux ont servi de décor à un «shooting» de mode au Népal. Mohamed Boilil, autre habitant de Zaatar, veut espérer que les autorités cesseront de les «abandonner à (leur) sort».

Autour de l’ébauche de «Futur» se pressent les jeunes femmes aux voiles chatoyants malgré la lumière écrasante. Elles savent que le départ de ceux qu’on n’appelle plus que Seb, Doudou et Abdul Malek est proche. «Tu as encore ma maison à faire», dit l’une à Seb Toussaint. «Il y a des gens qui vont nous manquer parce qu’on est tout le temps avec eux. On nous apporte du lait, du thé, tous les midis on nous a invité à manger», relate l’artiste. «On apporte quelque chose, mais en retour on reçoit énormément».  

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