M. Aziz, qui a dirigé de 2008 à 2019 ce pays largement désertique de 4,5 millions d’habitants grand comme deux fois la France, comparaît aux côtés d’une dizaine de hautes personnalités, dont deux anciens chefs de gouvernement, des ex-ministres et des hommes d’affaires. Ils ont été placés en détention, mardi après-midi, en vue de ce procès historique. Ils répondent d’«enrichissement illicite», «abus de fonctions», «trafic d’influence» ou «blanchiment».
Le procès a commencé par un appel des accusés et à l’évocation de son nom, M. Aziz, en boubou bleu, s’est levé et a fait un signe de la main, selon un journaliste de l’AFP. Les prévenus sont dans un box aux allures de cage métallique dans un tribunal encerclé par des centaines de policiers, dont l’accès est filtré. Les avocats sont passés au peigne fin à l’aide d’un détecteur. C’est un événement inédit dans ce pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, secoué naguère par les coups d’Etat et les agissements djihadistes mais revenu à la stabilité sous M. Aziz quand le trouble gagnait dans la région. M. Aziz, 66 ans, est l’un des rares ex-chefs d’Etat à devoir rendre compte sur la façon dont il s’est enrichi au pouvoir. Ses pairs jugés par les justices nationale ou internationale le sont surtout pour des crimes de sang. Plusieurs Mauritaniens interrogés par l’AFP espèrent au moins que le procès aura valeur d’exemple dans un pays classé 140e sur 180 par l’organisation anticorruption Transparency International. M. Aziz n’a cessé de nier les faits depuis que l’étau a commencé à se resserrer sur lui en 2019. C’était quelques mois après qu’il avait cédé la place à l’issue d’élections à l’un de ses plus fidèles compagnons, son ancien chef d’état-major Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, première transition non imposée par la force dans un pays abonné aux coups d’Etat depuis l’indépendance.
«complot»
M. Aziz a lui-même été porté au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en 2008, puis élu président en 2009 et réélu en 2014. Ce procès est l’histoire de sa disgrâce et de son amitié ruinée avec celui qu’il avait désigné comme son dauphin, M. Ghazouani. Les deux hommes, généraux, sont crédités d’être à l’origine de l’exception mauritanienne qui n’a plus connu d’attentat djihadiste depuis des années. M. Aziz, qui voulait rester en politique après la présidence, crie au complot et a menacé de faire des révélations. Il a prouvé par le passé qu’il était combatif, calculateur et imprévisible. Il se présentera devant les juges pour «défendre son honneur» contre des «accusations extravagantes», a-t-il écrit dans une déclaration transmise par ses avocats peu avant son arrestation mardi. Au-delà de son innocence, il a toujours revendiqué l’immunité dont il dit devoir bénéficier. Lui et ses co-accusés sont soupçonnés de malversations diverses lors de la passation de marchés publics ou de la cession du domaine immobilier et foncier national. M. Aziz, fils de commerçant, se serait constitué un patrimoine et un capital sommairement estimés à 67 millions d’euros au moment de son inculpation en mars 2021. Il ne s’est jamais expliqué sur la provenance de sa fortune. Son successeur s’est toujours défendu d’ingérence dans le dossier. En décembre 2019, M. Ghazouani décrivait encore M. Aziz comme «mon frère, mon ami». Les accusateurs de M. Aziz font valoir que les agissements incriminés ne pouvaient avoir eu lieu sans son approbation. Les parties s’attendent à des semaines ou des mois de procès.