Khaled Benaïssa était présent à Saïda pour la projection du film Ben M’hidi, de Bachir Deraïs. Le réalisateur, le scénariste, Karim Bahloul, et les comédiens Mohamed Frimehdi, Lydia Larini et Younes Merabet étaient également dans la salle Douniazed de Saïda, après la projection du long métrage pour un débat avec le public. Khaled Benaïssa a rappelé, lors du master class, que le tournage du film Ben M’hidi a commencé fin 2015. «Après un arrêt, le tournage a repris en septembre 2016. Presque huit mois de flottement.
On n’était sûr de rien. Cet arrêt était pénible. Les comédiens ne recevaient pas de propositions parce que tout le monde savait qu’ils étaient en tournage pour le film de Ben M’hidi. En plus, les comédiens devaient faire attention à leur physique pour ne pas tomber dans le faux raccord. Le tournage a duré plus de deux ans, entre la Tunisie, la Kabylie, La Casbah d’Alger, Constantine, Lakhdaria. Une aventure éparpillée dans le temps et dans l’espace», a-t-il dit.
Des réserves exprimées par le ministère des Moudjahidine, qui a partiellement financé le film de Bachir Deraïs, sur le contenu du long métrage, ont obligé le réalisateur à arrêter plusieurs fois le tournage. «Le casting du film Ben M’hidi a duré quatre mois. Dès le début, j’ai dit au réalisateur que je voulais le rôle de Larbi Ben M’hidi. J’ai pris un risque parce que le réalisateur pouvait me dire que je n’aurais pas ce rôle.
Bachir Derais est une boule d’énergie, va dans tous les sens, mais il a un gros cœur. Autant je me suis battu pour avoir le rôle de Ben M’hidi, autant j’en avais peur. Je suis passé par plusieurs étapes pour camper le personnage. D’abord, l’étape physique, puis l’étape de coaching avec Haidar Benhassine. J’ai eu de grosses discussions avec le coach sur comment aborder physiquement, psychologiquement, historiquement politiquement, et culturellement le personnage. On a travaillé la scène du discours, celle avec mon père. Haidar m’a donné beaucoup de techniques, m’a libéré du poids du texte. La grande difficulté dans ce genre de personnages est qu’il n’y a pas d’espace d’improvisation», a confié Khaled Benaïssa.
Ben M’hidi, El Wahrani et les polémiques
Il a confié avoir pris la décision de ne pas s’exprimer sur «la polémique» autour du film Ben M’hidi. «Le film n’a pas été caché. Et Larbi Ben M’hidi ne peut pas être caché. Bachir Derais, réalisateur et producteur, s’est battu bec et ongles pour faire sortir le film. Il était conscient de la difficulté de réaliser un film sur la Révolution algérienne. Je ne voulais pas m’impliquer dans la polémique, parler avant que le film ne sorte. Moi-même je n’avais pas vu le film sur grand écran. Le cinéma, c’est le grand écran en présence du public dans une salle sombre», a-t-il tranché.
Khaled Benaïssa est revenu aussi sur la polémique autour du long métrage El Wahrani, de Lyès Salem en 2014. Un film qui raconte l’histoire d’anciens combattants de la guerre de Libération nationale qui se retrouvent après l’indépendance du pays. Khaled Benaïssa a interprété le rôle de Hamid et Lyès Salem celui de Djaffar dont le nom de guerre était L’Oranais.
«Une polémique qui nous a choqués mais aujourd’hui, avec du recul, on s’est rendu compte que trois ou quatre individus avaient voulu enrichir cette polémique. Ils se sont trahis eux-mêmes. Nous avons eu peur lors de la projection d’El Wahrani à Oran, trois jours après une déclaration hostile de Chems eddine (prédicateur qui intervenait à l’époque à Ennahar TV) accusant le film de montrer les moudjahidine prenant du vin et de porter atteinte à la religion musulmane. Le débat était houleux mais instructif dans la salle. Un débat de deux heures où le langage de la vérité avait pris le dessus. C’était agréable de constater autant de contradictions dans un débat public et autant d’intelligence», a-t-il détaillé. Et d’ajouter : «Nous avons expliqué que le film n’a pas porté atteinte à l’image d’Oran. Oran est une ville qui a une image festive. Cela a été confirmé des années après, avec l’organisation des Jeux méditerranéens (en 2022) et avec l’intérêt mondial pour Disco Maghreb après le clip de Dj Snake. Oran a un grand potentiel touristique.»
«Mes enseignants me demandaient si je voulais faire de l’architecture ou du théâtre»
Khaled Benaïssa, 46 ans, a expliqué que son intérêt pour l’actorat a commencé lorsqu’il était étudiant à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger (EPAU). «A l’époque, nous devions présenter un projet architectural devant un auditoire. Je réfléchissais à la manière de présenter le projet. A chaque fois, je le faisais d’une manière scénographique comme le jour où j’ai comparé une maison de La Casbah d’Alger à une femme habillée en haïk. Mes enseignants me demandaient si je voulais faire de l’architecture ou du théâtre. Ma famille avait un rôle inconscient dans le choix d’une carrière artistique. J’ai eu le rôle dans le film El Manara, de Belkacem Hadjadj, l’année où je devais soutenir ma thèse. Lors de ce tournage, j’ai fait connaissance du cinéma et de ma future épouse (Samia Meziane). C’était une grande responsabilité de cinéma, un grand-rendez vous pour moi», a confié l’artiste.
Il a ajouté que les études en architecture l’ont beaucoup aidé dans la réalisation et l’écriture des scénarios. «Mon court métrage Sektou (Ils se sont tus) est un film qui se base sur la réflexion architecturale. Nous avons utilisé le son parce qu’il n’a pas de limites dans l’espace intérieur et extérieur, la rue et la chambre du personnage. Il y a beaucoup d’architecture dans ce que j’ai fait après. Après la sortie de Sektou (en 2009), on ne m’appelait plus pour des rôles. Il y a eu comme une faille vers 2011-2012», a-t-il confié.
En 2012, Khaled Benaïssa a été distribué dans le long métrage Le repenti de Merzak Allouache et dans El Wahrani, de Lyes Salem, deux ans plus tard. «Ces deux films, de par leur importance politique et artistique, et leur parcours dans les festivals, m’ont réinstallé sérieusement en tant que comédien. Je n’ai plus fait de réalisation depuis. Avant de jouer dans le film Le repenti, je sortais d’une grosse dépression après le ratage d’un documentaire sur Oran.
Le paradoxe est que j’ai interprété le rôle d’un personnage déprimé dans le film de Allouache. Lors du tournage à El Bayadh, Nabil Asli (qui a interprété le rôle du repenti) a perdu onze kilos», a soutenu Khaled Benaïssa. L’acteur s’est exprimé sur les cinéastes avec qui il a travaillé. «Lyès Salem n’est pas carriériste, il pense à une œuvre. Et, une œuvre a une relation intime avec le temps. Merzak Allouache n’est pas carriériste aussi, mais il travaille dans une dynamique de témoignage. Allouache m’a dit un jour une grande phrase : «Je n’ai jamais voulu faire le meilleur film algérien, je voulais faire mes films. Et mes films sont forcément algériens’’.» Il dit avoir refusé au début le rôle d’un directeur dans le sitcom Timoucha, réalisé par Yahia Mouzahem en 2020.
«La scénariste Sarah Berretima m’a convaincu de prendre le rôle malgré mes hésitations. Idem pour Yahia Mouzahem qui m’a proposé de faire un peu de comédie. Sarah et Yahia ont été patients avec moi. J’ai accepté parce que j’ai confiance en eux. J’ai travaillé avec Sarah Berretima pour le feuilleton El Khawa (réalisé par le Tunisien Madih Belaïd en 2017)», a-t-il relevé. Après le succès de la première saison, Khaled Benaïssa fut parmi les fervents défenseurs d’une deuxième saison pour Timoucha, en 2020.
Khaled Benaïssa a confié n’être pas exigeant en tant qu’acteur. «Je choisis mes scénarios. Je peux ne pas être exigeant en faisant confiance aux producteurs, aux scénaristes et aux réalisateurs. Je me dis que c’est mon métier et je dois le faire. Je fonctionne beaucoup avec l’instinct dans le choix des rôles même s’il y a une part de 60% d’inconnus. On n’a pas encore atteint le stade de choisir un scénario.
Cependant, nous ne pouvons pas continuer à produire deux à trois films (par an) qui seront projetés dans deux ou trois salles. En Algérie, nous devons produire au moins de 20 à 30 films par an et avoir de 20 à 30 salles. Il faut de la quantité pour atteindre la qualité», a-t-il plaidé.
Il serait bien que l’Algérie revienne en force à Cannes
Les artistes doivent, selon lui, travailler avec des contrats pour pouvoir défendre leurs intérêts. «Les artistes ne doivent pas travailler gratuitement, ils doivent se protéger. Nous n’avons que deux agences de casting (Woujouh et Profil). Donc, tout est à construire.
Avec les réseaux sociaux, il faut se méfier de l’image. Le le succès d’un acteur est une conséquence, pas un objectif. Je peux vivre l’échec d’un feuilleton, comme c’était le cas pour Ward aswad (Roses noires), mais j’ai vécu une expérience, connu des gens. J’ai appris des choses sur la méthode syrienne de mise en scène, différente de la nôtre», a-t-il dit. Il a conseillé aux jeunes qui veulent faire carrière dans le cinéma de ne jamais abandonner. «Il y a aussi une part de chance, de rencontre, de persévérance et de souffrance.
Chacun son destin. Il ne faut jamais revenir en arrière. Là où ça marche et où il y a beaucoup de monde, ça va dans l’autre sens !», a-t-il insisté. Selon lui, la relation avec le public est compliquée. «Le public est parfois de votre côté et d’autres fois il est dans l’hostilité. Il faut garder une vraie distance avec le public. Le comédien doit garder sa liberté et celle du public aussi», a-t-il noté. Il a confié ne pas faire trop d’interviews. «Durant le Ramadhan, j’ai participé qu’à une seule émission («Hana Fi Ramdan», diffusée par Echourouk TV et Echourouk news) pour parler du feuilleton El berani (réalisé par Yahia Mouzahem, ce drame a été le plus vu durant le mois sacré)», a-t-il confié. Khaled Benaïssa était parmi les invités du pavillon algérien au 77e Festival de Cannes, qui s’est déroulé du 14 au 22 mai.
L’Algérie n’a pas installé de pavillon au niveau de ce festival international depuis six ans. «A Cannes, le pavillon portait le titre de ‘Algeria is back’. Il y a eu des conférences avec le public et des rencontres avec les producteurs. Il serait bien que l’Algérie revienne en force à Cannes. D’où l’importance de produire plus. Aujourd’hui, on produit plus de feuilletons à la télévision, donc on a une meilleure qualité avec de la concurrence.
Plus de production signifie de plus possibilité de travail pour les artistes et les techniciens», a-t-il dit. Et de poursuivre : «Au pavillon algérien, nous avons hissé le drapeau de la Palestine au niveau du pavillon algérien. Je ne défends pas la Palestine, je suis Palestinien. J’ai appris à dessiner le drapeau algérien en même temps que celui de la Palestine. L’Algérien connaît la signification du colonialisme. Ils disaient que le FLN était terroriste, ils ont fini par négocier avec lui. Ils finiront un jour ou l’autre par négocier avec Hamas qu’ils le veuillent ou non. Notre relation avec la cause palestinienne est naturelle, innée.» Khaled Benaïssa, qui pratique le marathon, la plongée sous-marine et l’équitation, a estimé que le sport est nécessaire pour l’acteur.
«Les comédiens font de la piscine et de l’équitation dans leur formation. En octobre 2021, j’ai couru le marathon de Paris avec écrit sur le maillot ‘60 ans contre l’oubli’. J’ai couru pour la bonne cause là où sont morts nos ancêtres (massacres du 17 octobre 1961). Je me suis promis un marathon par an.
En faisant du sport, je campe inconsciemment des personnages. Je suis prêt pour des rôles physiques qui exigent de la souplesse», a-t-il affirmé.
Saïda
De notre envoyé spécial Fayçal Métaoui