Mandats d'arrêt contre Netanyahu : La CPI face aux pressions américaines et israéliennes

15/07/2024 mis à jour: 17:59
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La CPI fait face à de multiples blocages dans le dossier de l'agression contre Ghaza - Photo : D. R.

Pendant qu’Israël poursuit sa guerre génocidaire contre Ghaza, Washington exerce des pressions sur le nouveau gouvernement travailliste britannique, pour qu’il n’abandonne pas sa requête auprès de la Cour pénale internationale (CPI), contestant les mandats d’arrêt internationaux réclamés par le procureur en chef contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour des «crimes de guerre et contre l’humanité». Le 26 du mois en cours est le dernier délai de remise des arguments, accordé par la juridiction au Royaume-Uni. Pour sa part, la Cour internationale de justice (CIJ) rendra, le 19 juillet, son avis consultatif sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est.

Le soutien de l’administration américaine à Israël n’a pas de limite aussi bien dans le domaine militaire, avec des livraisons sans discontinuité de cargaisons d’armes et de munitions les plus destructrices, que dans celui de la politique avec l’invitation du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, pour faire un discours, le 24 juillet prochain devant le Congrès, au moment où il mène une guerre génocidaire à Ghaza, faisant plus de 38 000 morts palestiniens, blessant des dizaines de milliers et rasant plus de 70% des quartiers résidentiels et des infrastructures de base, mais aussi dans le domaine judiciaire, avec l’adoption de lois sanctionnant les magistrats de la Cour pénale internationale (CPI) en cas de décisions contre les dirigeants israéliens et interdisant toute reproduction des statistiques diffusées par le gouvernement de Ghaza, liées au bilan de la guerre.

Durant cette semaine, Washington a fait pression sur le Premier ministre britannique, le travailliste Keir Starmer, fraîchement élu, pour qu’il maintienne la requête contestant les poursuites contre les dirigeants d’Israël, présentée par le gouvernement conservateur, dirigé par son prédécesseur, Rishi Sunak, auprès de la CPI.

C’est ce qu’a révélé, la semaine écoulée, le site internet britannique, Middle East Eye, en citant plusieurs sources. Selon le média, «un responsable du renseignement américain a indiqué que Washington fait pression sur le nouveau gouvernement travailliste pour qu'il n'abandonne pas la contestation judiciaire contre l'autorité de la Cour pénale internationale, qui cherche à prononcer des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant».

Des pressions, explique le média, qui interviennent alors que le nouveau Premier ministre avait affirmé qu’il étudiait l’opportunité de poursuivre ou non le recours en justice contre la CPI, présenté par le précédent gouvernement en mai dernier, avant le 26 juillet prochain, délai donné par la juridiction au Royaume-Uni pour présenter les conclusions.

Londres s’est présenté en soutien à Israël, affirmant que les Accords d’Oslo, en 1993, empêchent la Palestine de poursuivre les Israéliens pour crimes de guerre. Un argument qui ne tient pas la route, à partir du moment où la Palestine a été admise à la CPI en 2015 et qu’en 2021, la juridiction a déclaré qu’elle avait le pouvoir d’enquêter sur les crimes de guerre dans les territoires occupés.

Sur cette question précise, le Parti travailliste avait exprimé son opposition à cette procédure, alors qu’il était en campagne électorale. Pour Middle East Eye, citant le «responsable du renseignement américain», le gouvernement de Starmer «était sur le point d'abandonner la contestation judiciaire, mais a hésité face à la pression américaine».

Le Premier ministre britannique déjà sous la pression

Le média a fait état d’une opinion de l’avocat britannique des droits de l’homme, Geoffrey Robertson, publiée par le journal The Guardian. Middle East Eye, à travers laquelle, il a précisé que les pressions américaines ont «coïncidé avec la participation du Royaume-Uni et d’autres alliés à la célébration du 75e anniversaire de l’OTAN, lors du sommet de 2024 à Washington» et confirmé que l’affaire de la CPI «plaçait l’administration Biden dans une position diplomatique difficile, en raison du soutien explicite qu’elle a apporté à la Cour dans son enquête contre la Russie et du mandat d’arrêt contre Poutine».

Même s'ils ne sont pas Etat partie de la CPI, les Etats-Unis coopèrent néanmoins avec cette juridiction, notamment lorsqu’il s’agit d’enquêtes sur des crimes de guerre, comme cela a été le cas en ce qui concerne la Russie.

Le média britannique a rappelé que «lors d’une audience au Sénat en mai dernier», le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, avait dit aux législateurs qu’il «serait heureux de travailler avec vous» pour sanctionner la CPI, ajoutant : «Au milieu d’une réaction violente des groupes de défense des droits humains et des membres du Parti démocrate, l’administration a été contrainte de retirer les sanctions et cette décision semble avoir laissé Israël dans la confusion.» Netanyahu s’est dit «déçu» par cette nouvelle.

Il est important de rappeler que l’administration américaine a réagi avec virulence à la demande, le 20 mai dernier, du procureur en chef de la CPI des mandats d’arrêt contre Netanyahu et Yoav Gallant. Dans un communiqué, la Maison-Blanche avait déclaré : «La demande du procureur de la CPI d’émettre des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens est scandaleuse : laissez-moi être clair : quoi que puisse suggérer ce procureur, il n’y a pas de parité – aucune – entre Israël et le Hamas.»

Quelques jours avant que Middle East Eye ne publie ces révélations, l’agence britannique Reuters a révélé que le jour même où le procureur en chef de la CPI, Karim Khan, avait annoncé ses demandes contre les dirigeants israéliens, il a «annulé une mission sensible visant à recueillir des preuves dans la région.

Quatre des sources ont déclaré que la planification de la visite était en cours depuis des mois avec les responsables américains. La décision de Khan de demander l’émission de mandats d’arrêt a bouleversé les projets soutenus par Washington et Londres visant à ce que le procureur général et son équipe se rendent à Ghaza et en Israël», a écrit Reuters.

Selon cette agence, «cinq sources ayant une connaissance directe de la communication qui a eu lieu à l’époque ont déclaré que le tribunal avait l’intention de recueillir des preuves sur le site des événements de crimes de guerre et de fournir aux dirigeants israéliens la première occasion de présenter leur position et toute action qu'ils auraient entreprise pour répondre aux accusations de crimes de guerre».

Reuters a ajouté, en outre, que pour ses sources, la demande du procureur en chef d’émission de mandats d’arrêt contre Netanyahu et son ministre de la Défense, «constitue la première tentative du tribunal d’arrêter un chef d’Etat soutenu par l’Occident (…)». Selon les mêmes sources de Reuters, par ses demandes, le procureur en chef de la CPI «a renversé les efforts menés par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour empêcher le tribunal de poursuivre les dirigeants israéliens».

Dans sa réponse à Reuters, le bureau du procureur en chef de la CPI a déclaré que «la décision de demander des mandats d’arrêt, qui est conforme à l’approche adoptée dans toutes les affaires, était basée sur l’évaluation du procureur selon laquelle il y avait suffisamment de preuves pour le faire, et sur l’idée que la demande de mandats d’arrêt immédiats pourrait déjà empêcher des crimes à être commis».

Israël espionne les magistrats de la CPI

Le même média a affirmé, par ailleurs, que Khan «a travaillé pendant trois ans pour améliorer les relations avec les Etats-Unis, qui ne sont pas membres de la Cour. Quatre sources ont déclaré que Khan avait demandé à Washington de l’aider à faire pression sur son allié Israël, qui n’est pas non plus membre du tribunal, pour permettre à son équipe d’entrer.

Les sources ont ajouté que la mesure qu’il a prise a «porté atteinte à la coopération opérationnelle avec les Etats-Unis et a provoqué la colère de la Grande-Bretagne, qui est l’un des membres fondateurs de la Cour».

Citant un «haut responsable du Département d’Etat américain», Reuters a écrit que «Washington continuait de travailler avec la Cour dans ses enquêtes en Ukraine et au Soudan, mais trois sources ayant une connaissance directe des relations de l’administration américaine avec la Cour ont déclaré que la coopération avait été affectée négativement par la décision soudaine de Khan».

Ils ont également déclaré que des problèmes avaient commencé à apparaître dans les préparatifs en vue «de nouvelles inculpations de suspects du Darfour au Soudan et de l’arrestation de fugitifs. Deux sources ont déclaré que l’opération visant à arrêter un suspect, dont elles ont refusé de divulguer les détails, n’a pas été menée comme prévu en raison de la perte du soutien essentiel des Etats-Unis.

Toutes les sources ont exprimé leur inquiétude quant au fait que la décision de Khan compromet la coopération dans d’autres enquêtes en cours». Cependant, pour Reuters, la décision «surprise» de Khan «a reçu le soutien d’autres pays, mettant en évidence les différentes politiques entre les puissances internationales et la Cour». Ces pressions ne sont pas des cas isolés.

Elles se sont multipliées depuis que l’enquête contre Israël pour des crimes de génocide, de guerre contre Israël, a été rouverte, à la lumière de la guerre génocidaire qu’il mène à Ghaza, depuis octobre dernier, en direct sur les chaînes de télévision  et les téléphones portables à travers le monde. Une guerre qui montre la famine des civils à Ghaza comme méthode de guerre, l’infliction intentionnelle de grandes souffrances, l’homicide volontaire, les attaques délibérées contre la population civile, l’extermination, les infanticides, etc.

Il y a quelques jours, le journal britannique The Guardian a indiqué qu’Israël «avait espionné le procureur de la de la CPI, Karim Khan, et que l’ancien chef du service israélien du Mossad, Yossi Cohen, était personnellement impliqué dans une affaire secrète de complot visant à faire pression sur l’ancienne procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda».

Des révélations qui ont précédé la convocation de l’ambassadeur d’Israël, par le ministère néerlandais des Affaires étrangères, pour des explications, surtout que les Pays-Bas, en tant que pays d’accueil de la CPI, sont tenus d’assurer la sécurité et la sûreté de la juridiction et de son personnel. «La réunion a été révélée par ''des responsables néerlandais'' en réponse aux questions posées par un certain nombre de représentants néerlandais au Parlement sur cette question.

Mais le porte-parole a refusé de discuter des détails, invoquant le caractère confidentiel des négociations diplomatiques», avait écrit le journal. Autant de révélations qui lèvent le voile sur les pressions exercées par les alliés d'Israël, pour le protéger des poursuites auxquelles il doit faire pour répondre de ses actes génocidaires commis à Ghaza. 

 

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