Maître Nasr-Eddine Lezzar. ancien vice-président du TAS Algérie : «Je ne pense pas que le TAS puisse intervenir et censurer cette décision»

28/04/2024 mis à jour: 14:42
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Vous vous êtes exprimé sur ces mêmes colonnes sur le litige qui a commencé par opposer le club du RS Berkane à l’USMA qui était circonscrit dans un cadre continental africain et devait être réglé par la Confédération africaine de football (CAF) mais il semble s’élargir et s’élever en opposant maintenant la FAF. Pouvez-vous nous apporter quelques éclairages quant à l’évolution enregistrée ?
 

Sur le plan du droit, le verdict est ahurissant. Le non-sens juridique et le non-sens tout court ont pris le dessus. Voilà une équipe qui se présente sur le terrain à l’heure du match, prête à jouer, perd le match par forfait contre l’équipe adverse qui ne se présente pas sur le terrain et gagne le match par forfait. Le lexique du football  définit le forfait comme «l’acte  par lequel une équipe décide de ne pas participer à un match ou à une compétition, pour diverses raisons (impossibilité de se rendre...)». La RS Berkane se trouve exactement dans la définition de l’équipe «en forfait» et l’USMA se trouve à son  antipode. La CAF a tranché en dépit du bon sens. 

Comment expliquer cette décision «ahurissante» si l’on en juge par la clarté des articles pertinents qui avaient été présentés dans votre précédente contribution et quelles sont les bases juridiques de la décision qui semble aller à l’encontre de dispositions extrêmement claires ? 

La notion de validation préalable d’un maillot par le CAF est étrange. Nous notons deux gros mensonges dans ce mauvais vaudeville. Le premier mensonge : cette homologation/validation est plus que douteuse. Il est vrai «qu’un document signé par le département des compétitions de la CAF, qui circule sur les réseaux sociaux depuis samedi soir, atteste que la RS Berkane a reçu la “bénédiction” de la CAF pour jouer avec le maillot qui fait l’objet d’une opposition du côté algérien». J’ai personnellement rencontré ce document sur les réseaux sociaux mais je ne l’ai pas trouvé sur le site de la CAF. Il s’agirait, à mon avis,  d’une «fake news». 

En outre, les différents sources, notamment, celles de la FAF parlent plutôt d’un e-mail émanant de CAF, ou plutôt transmis par celle-ci, et signé par un illustre inconnu dont on ne connaît même pas la fonction. Sur le plan réglementaire et procédural, la contestation de la conformité des maillots aux règlements des équipements se fait par qui de droit  sur les stades et les arbitres tranchent sur le champ. 

Au cas où les situations se compliquent les unes les autres, les arbitres et les équipes présentent des réserves qui seront tranchées par les organes de règlement des litiges. La RS Berkane aurait pu ou plutôt aurait dû jouer avec le maillot mis à sa disposition, gracieusement, par les autorités algériennes. Ils auraient eu, par la suite, toute la latitude de transmettre leurs réserves. Il semble que le club de Berkane ne soit pas venu pour jouer un bon foot mais pour faire un mauvais coup. Il semble aussi que les maillots des clubs participants à ces compétitions interclubs sont soumis à validation avant chaque phase de groupes. 

Alors, il est légitime de se demander pourquoi cette procédure de validation n’a pas été effectuée  avant la phase de groupes et pourquoi on a attendu quelques jours avant le match contre  l’ USMA. Dans le même ordre d’idées, si cette homologation existe, pourquoi ne pas avoir présenté le document de validation aux douanes algériennes lors de la saisie ? Il y a lieu de préciser, et c’est un point cardinal, que personne n’a présenté un procès-verbal ou une décision ou un quelconque document.

Le second mensonge est la déclaration selon laquelle la RS Berkane aurait déjà joué avec ce maillot colonial expansionniste. Si tel était vraiment le cas, c’est-à-dire si le club a déjà joué avec ce maillot, pourquoi a-t-il demandé une homologation quelques jours avant le match. Je dis ça parce que parmi les multiples versions qui circulent, la demande de validation du maillot transmise par Berkane serait datée du 16 avril 2024. 


Vous ne nous dites toujours pas sur quels critères s’est basée la CAF sachant que sa décision semble complètement inique et dépourvue de fondement ?

En effet, cette décision est complètement opaque. Un laconique communiqué de la CAF fait savoir que «la commission d’organisation des compétitions interclubs de la CAF a décidé  de sanctionner l’USM Alger par un forfait de 0-3 et de Soumettre le cas au jury disciplinaire de la CAF pour d’éventuelles sanctions supplémentaires. Aussi, le match retour entre la RS Berkane et l’USM Alger au stade municipal de Berkane le 28 avril 2024 est maintenu.

Aucun exposé des motifs, aucune prestation de faits et leur perception par le tribunal, ni aucune allusion à l’analyse ou raisonnement juridique sur lequel est construite la décision. Il ne manque que «car tel est notre plaisir», formulation de droit français issue de l’ancien régime. Elle était une marque de la souveraineté des rois de France. En l’état actuel des choses, il nous est impossible en  tant que juriste de nous aventurer dans un quelconque commentaire.

 Il est vrai que les communiqués publiés sur les sites ne peuvent pas reproduire l’entièreté de la sentence mais dans la pratique et dans un souci de transparence, on expose brièvement les bases juridiques des décisions rendues. Le devoir de motivation fait partie des principes de droit naturel. Les sentences qui contiennent les faits, l’analyse juridique, les textes et les articles pertinents ainsi que la décision rendue sont transmises aux parties à leur demande. 

Des informations circulent sur les réseaux sociaux selon lesquelles la FAF a demandé la communication d’une copie de la sentence mais elle n’a rien reçu. En définitive, non satisfaite d’avoir rendu une décision comblement illégale et injuste, la CAF a mis la partie algérienne dans l’impossibilité de présenter un recours qui ne peut être élaboré que sur la base des motivations et de l’argumentaire juridique sur lequel elle se fonde.


Peut-on espérer une annulation des sanctions par le TAS ? 

Il y a lieu de préciser que jusqu’à l’heure actuelle, il n’est pas question de sanction. Il s’agit, d’après le communiqué, d’un simple décompte de résultats. Des sanctions disciplinaires viendraient ultérieurement par les structures disciplinaires compétentes, à savoir un jury disciplinaire et un jury d’appel. Je ne pense pas que le TAS puisse intervenir et censurer cette décision. Les irrégularités, l’abus de droit atteignent un sommet inédit. 

Il est nécessaire d’engager une refonte globale de toute la Confédération africaine de football (CAF) et de l’Union africaine (UA). Il y a quelques années, l’Algérie revendiquait haut et fort l’instauration d’un nouvel ordre économique international.  Notre pays doit s’engager, maintenant, dans l’instauration d’un nouvel ordre sportif continental et mondial.
 

Entretien réalisé par : M.-F. Gaidi
 

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