Lutte contre l'insuffisance rénale en Algérie : Le dépistage précoce, seul rempart contre la maladie

14/10/2024 mis à jour: 21:53
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Photo : D. R.

Longtemps silencieuse et d’évolution progressive, la  maladie rénale chronique désigne la diminution plus ou moins importante des fonctions des reins. Les reins perdent alors, de manière durable et irréversible, leur capacité à filtrer correctement le sang de l’organisme. Et afin de réduire le risque de la maladie, le dépistage précoce reste le principal bouclier. Explications ! 

En Algérie, 2 à 3 millions de citoyens adultes sont à risque de développer une maladie rénale chronique», assure Mme Hind Arzour, Professeur en néphrologie au CHU Mustapha Pacha. Selon elle, si l’Algérie, comme la grande majorité des pays ne dispose pas de chiffres extrêmement précis sur la prévalence et /ou l’incidence de la MRC dans la population générale, il n’en demeure pas moins que la prévalence moyenne de la MRC est entre 1 à 3% de la population générale aux USA, Canada, UK, France. «Sachant que la prévalence est plus élevée dans les populations à risque (hypertendus, diabétiques) avec un taux variant de 8 à 10%», précise-t-elle. A savoir que les maladies rénales, qu›elles soient aiguës ou chroniques, sont, selon les dires du Pr Haddoum, sournoises et insoupçonnables, car elles évoluent, le plus souvent, en silence.

D’ailleurs, autant les maladies cardio-vasculaires avec le tabagisme, l’obésité et la toxicomanie ont fait exploser l’incidence des maladies cardio-vasculaires chez les sujets jeunes, Mme Hind Arzour affirme que le nombre de maladies rénales a peu augmenté en parallèle chez les jeunes du fait du temps nécessaire à l’installation avec un décalage (en moyenne de 5 à 10ans). «Il est bon de préciser que les MRC sont l’apanage du sujet de plus de 50 ans, car les deux reins résistent souvent très longtemps avant de s’affaiblir ou de rendre l’âme», poursuit-elle. Et étant donné que la maladie est silencieuse, du moins au début, «les symptômes cliniques de la maladie rénale (MR) sont peu nombreux au début et n’attirent pas l’attention», confie Pr Hind Arzour.

Toutefois, les principaux symptômes cliniques auxquels il faut rester attentif sont l’hypertension artérielle (HTA), les œdèmes des chevilles et des urines rouges. «In fine, c’est la biologie sanguine et urinaire qui sera la loupe du clinicien», poursuit la spécialiste. En ce qui concerne les facteurs de risque de l’insuffisance rénale, le Pr Hind Arzour, estime important de préciser qu’il y a deux types d’insuffisance rénale. Il y a celles «qui sont chroniques et progressives, sournoises et silencieuses et celles aiguës qui sont brutales, bruyantes et aisément reconnaissables», explique-t-elle.

C’est pourquoi, les facteurs de risque sont quelque peu différents. Pour les maladies rénales chroniques (MRC), la spécialiste affirme que les facteurs de risque sont l’âge avancé, l’obésité, les prises médicamenteuses multiples et les malformations de la vessie. En ce qui concerne les maladies rénales aiguës (MRA), «on retrouve à nouveau les médicaments (AINS et antibiotiques), les grossesses compliquées, les chirurgies lourdes et les défaillances cardiaques», ajoute-elle.

Dépistage précoce

Précisant au passage que seule une politique de santé publique, qui s’inscrit dans la durée, permettra de surmonter les facteurs de risque, à savoir l’obésité, l’HTA, les maladies cardio-vasculaires et l’automédication. «Le dépistage précoce, grâce aux bilans biologiques sanguins et urinaires sont les principaux boucliers et les remparts qui nous permettront de réduire le risque», poursuit-elle.

C’est pourquoi, il est important, selon Mme Feriel Yasmine Baghdali, Professeur en néphrologie au CHU Mustapha Pacha, que les patients atteints de maladie rénale chronique (MRC) respectent, au quotidien, un régime par rapport à leur hypertension artérielle (HTA), leur diabète et leur surpoids. Et il semblerait que l’alimentation soit partie intégrante du traitement. «C’est l’alimentation qui apporte le sel, le sucre, le potassium, les protéines et les lipides qui vont s’accumuler chez les patients atteints de MRC et participer au malheur des patients», explique Feriel Yasmine Baghdali.

Ainsi, s’alimenter raisonnablement sans excès fait partie des règles hygiéno-diététiques. «Il convient de souligner que les régimes trop stricts (sans protéines animales) peuvent exposer les patients à une malnutrition proteino-calorique (MPC). La MPC est quelquefois plus dangereuse que la MRC elle-même», poursuit-elle. Autre recommandation des spécialistes : les patients atteints de maladie rénale doivent aussi mettre fin à l’automédication qui est formellement contre-indiquée.

Si chez l’adulte, l’hypertension artérielle arrive en tête des causes de la maladie rénale, suivie par le diabète et les médicaments ayant une toxicité rénale, les malformations urinaires et maladies génétiques (néphronophtise, syndrome d’alport, et syndromes néphrotiques génétiques) en sont les principales causes de la maladie rénale chronique de l’enfant. «En matière de néphrologie pédiatrique, la maladie rénale chronique de l’enfant est moins fréquente que chez l’adulte. Environ un tiers des MRC de l’enfant sont héréditaires et souvent il s’agit d’enfants issus de mariages consanguins», explique Mme Yasmine Baghdali.

De plus, la spécialiste assure qu’on ne peut pas vraiment dire qu’il y a une hausse des maladies rénales chez les jeunes. «On peut plutôt parler d’un meilleur dépistage dans cette tranche de la population, qui est de plus en plus nombreuse», affirme-t-elle. Selon elle, le rein n’est plus un organe oublié. «La notion dépistage de la MRC, qu’elle soit clinique ou biologique, commence à se développer dans le corps de la santé. L’information que le dépistage annuel est fortement recommandé dans les populations à risque se répand progressivement», conclut-elle. 
 

Pr Farid Haddoum. Chef de service néphrologie du centre hospitalo-universitaire Mustapha Pacha : «Le fardeau conséquent et croissant de la MRC exige une plus grande vigilance»

Dans cet entretien, le Professeur Farid Haddoum appelle à une plus forte vigilance quant à l’atteinte rénale et nous livre les dernières nouveautés en termes d’évaluation de la fonction des deux reins.

  • Un workshop sur la maladie rénale chronique s’est récemment tenu à Alger. Pourquoi ce workshop ?

Il s’agit d’un workshop international qui s’est tenu à Alger. Il a abordé la meilleure manière d’évaluer la fonction rénale et dépister très tôt la maladie rénale chronique (MRC) qui est presque toujours silencieuse. Cet atelier a réuni par visioconférence, durant 3 heures, des experts belges du CHU de Liège en Belgique et du côté algérien des cliniciens et des biologistes des wilayas du Centre. Il a d’ailleurs été organisé par Mmes les Professeurs Hind Arzour et Feriel Yasmine Baghdali du service néphrologie du CHU Muspatha Pacha d’Alger. Du côté de nos collègues belges, c’est le Pr Pierre Delanaye du service de néphrologie du CHU Liège qui animait les débats.

  • Quelles ont été les principales études présentées ?

Il y a eu deux conférences phares. Celle de Mme le Professeur Feriel Yasmine Baghdali (expérience algérienne) et celle du Professeur Pierre Delanaye (expérience européenne). Côté algérien, c’est la formule américaine CKD-EPI et côté belge la formule européenne EKFC qui étaient toutes les deux en débat.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur les formules qui évaluent la fonction des deux reins ?

L’évaluation de la fonction des deux reins faisait pendant longtemps appel à un simple dosage dans le sang d’une substance qu’on appelle la créatinine qui a été dosée pour la première fois au début du vingtième siècle à Boston, à l’université de Harvard par un chimiste d’origine suédoise, Otto Folin, reconnu plus tard comme le père de la chimie américaine moderne.

C’est ce dernier qui a mis au point le dosage colorimétrique de la créatinine dans les urines puis dans le sang. Pendant très longtemps, le taux de créatinine dans le sang indiquait l’état de la fonction des deux reins pour les biologistes et les médecins. Plus tard, à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle (années 1950), c’est la reconnaissance du concept moderne de débit de filtration glomérulaire (DFG) que les biologistes et les médecins ont adopté, de par le monde, et qui sera exprimé en millilitres par minute.

La normale chez l’adulte étant située entre 90 et 120 ml/min. Ces 70 dernières années vont voir ainsi apparaître les formules (ou équations) d’abord en Amérique du Nord, puis en Europe qui permettent d’estimer à partir du dosage de la créatinine dans le sang le DFG. Deux formules dominent : l’américaine (CKD-EPI) (Andrew Levey) établie en 2009 et l’européenne (Pierre Delanaye) en 2020. En Algérie, le premier travail du Pr Feriel Yasmine Baghdali a démontré que CKD-EPI est la formule de référence dans la population algérienne en attendant l’analyse prochaine de la formule européenne «EKFC» dans notre population.

  • Est-ce que l’application de ces formules permettrait de dépister très tôt les maladies rénales silencieuses ?

Toutes les MRC sont silencieuses (et sournoises !) et peuvent évoluer parfaitement vers un stade très avancé insidieusement avec au moment de la découverte un DFG estimé, très très bas, inférieur à 10 ml par minute. Cette évolution silencieuse des MRC ne peut être révélée que par la biologie fine et l’imagerie, qui seules vont savoir alerter les médecins. Il est ainsi recommandé par les sociétés savantes, dans le bilan annuel des maladies chroniques (HTA, diabète, obésité, maladies cardiovasculaires) d’estimer systématiquement la fonction rénale et rechercher des protéines dans les urines (au moins une fois par an). Il est recommandé également aux différents laboratoires de rajouter l’estimation du DFG dans leurs résultats.

  • Quelle est l’importance de l’évaluation de la fonction rénale en matière de santé publique ?

Le fardeau conséquent et croissant de la MRC en Algérie exige de nous une plus grande vigilance dans le dépistage précoce de l’atteinte rénale compte tenu de l’explosion des facteurs de risque (diabète de type 2, HTA essentielle et le surpoids). Ainsi, nous pourrons surmonter collectivement le problème du sous-diagnostic de la MRC et du coup, on voit clairement l’importance de promouvoir régulièrement les nouveaux outils de travail que sont CKD-EPI, EKFC et le rapport albumine sur créatinine dans les urines (ACR). Ceci allégera de façon certaine le fardeau économique de ces maladies chroniques invalidantes et coûteuses. D’ailleurs, ces colloques internationaux contribuent à élargir l’information et la prise de conscience du public ainsi que celle des autorités compétentes. 

 

Est-il possible de retarder la maladie ?

«C’est un oui franc et massif», assure Mme Feriel Yasmine Baghdali, Professeur en néphrologie au CHU Mustapha Pacha. Selon elle, les règles hygiéno-diététiques, le contrôle des facteurs de risque, les molécules néphroprotectrices vont s’unir pour éloigner le danger de la mort rénale. «Des experts mondiaux parient que dans les 20 ans à venir, la triple association ISRA-ISGLT2 et GLP-1 vont permettre la fermeture de la moitié des centres d’hémodialyse chronique dans le monde», explique-t-elle.

Comment bien protéger ses reins ?

La protection des reins (ou néphroprotection) est maintenant tout à fait possible et accessible en Algérie. Elle se fait, selon le Pr Feriel Yasmine Baghdali, grâce à deux classes médicamenteuses. Ce sont des médicaments que les patients prendront par voie orale toute leur vie. Ces traitements protègent également le cœur et le cerveau. «Il s’agit des inhibiteurs du système rénine angiotensine (ISRA) et des inhibiteurs du transport du glucose au niveau des reins (ISGLT2)», affirme-t-elle, précisant au passage que ces molécules sont produites en Algérie et remboursées. «Une 3e classe médicamenteuse est en développement. Ce sont les analogues des GLP-1 qui luttent contre l’obésité, le diabète et le risque cardio-rénal», conclut-elle.

Greffes rénales

«Le meilleur traitement possible étant la greffe rénale. On choisira la transplantation. En attendant d’être transplanté, la meilleure ‘salle d’attente’ est la dialyse péritonéale», répond M. Haddoum. Selon lui, il convient de réserver l›hémodialyse aux seuls patients qui ne peuvent pas être traités par la DP. En termes de chiffres, M. Haddoum assure que l’Algérie réalise entre 200 à 300 greffes rénales à partir de donneurs vivants par an. «On doit poursuivre l’effort car l’objectif idéal serait de 800 greffes par an», poursuit-il.

«A titre comparatif, les USA réalisent 35 000 greffes rénales par an, la France près de 4000 greffes annuelles», précise-t-il. Ajoutant au passage : «On souhaite déclarer et inscrire la transplantation comme priorité nationale, à l’instar des pays comme Cuba, l’Espagne, l’Iran, la Turquie, le Pakistan, et l’Arabie Saoudite», espère-t-il. Par ailleurs, il faudrait, selon le spécialiste, réorienter une partie des énormes ressources financières consacrées à l’hémodialyse chronique vers la prévention et la transplantation.

«Songez que notre pays consacre plus de 800 millions d’euros par an pour les 34 000 hémodialysés chroniques», poursuit-il. Selon lui, mieux répartir ces fonds en injectant 100 millions d›euros pour la transplantation et 50 millions pour la DP, permettra de mieux équilibrer les trois méthodes. « L’hémodialyse est très très chère, car tout est importé, à savoir 100% des équipements, et 80% du consommable (filtres, aiguilles, fistules, cathéters, érythropoïétine, etc.)», conclut-il.

Quelle technique de dialyse privilégier ?

Il existe deux techniques de dialyse : l’hémodialyse et la dialyse péritonéale. «Toutes les sociétés savantes de néphrologie recommandent la dialyse péritonéale (DP)», assure le professeur Farid Haddoum, chef de service néphrologie du CHU Mustapha Pacha. Selon lui, c’est dialyse péritonéale qui remplace le mieux la perte des deux reins. «Le péritoine qui entoure nos viscères est appelé le troisième rein naturel», explique-t-il. Il faut savoir que la dialyse péritonéale permet de purifier le sang en utilisant le péritoine, membrane entourant l’abdomen, l’intestin et d’autres organes internes, comme filtre.

Autre gros avantage, selon M. Haddoum, de la dialyse péritonéale est que celle-ci se fait à domicile. «Les échanges se font à la maison et le malade est complètement autonome», explique-t-il. Et enfin, ce type de dialyse est, selon M. Haddoum, trois fois moins chère que l’hémodialyse. Précisant au passage qu’en Occident, 40% des patients sont dialysés par la dialyse péritonéale, 40% sont greffés et 20% en hémodialyse. «La DP est reconnue pour ses performances en matière d’épuration naturelle», confie-t-il. S. O. 

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