Les éditions Dar Khayal, Algérie, viennent de faire paraître un livre consacré à l’étude de la poésie du grand poète, Ali Abdallah Khalifa.
Il s’agit d’un livre collectif de contributions d’universitaires et d’académiciens d’Orient et d’Occident. Le livre en question a été traduit en français par l’universitaire Chokri Mimouni et publié à l’Harmattan, Paris.
Tout d’abord, voyons qui est Ali Abdallah Khalifa ?
Ali Abdallah Khalifa est un poète et écrivain né à Bahreïn en 1944, fondateur de la maison d’édition Dar Al Ghad linnachr wa at-Tawzi’a. Il est, également, fondateur de la revue littéraire Kitabat dont il fut rédacteur en chef entre 1976 et 1985 avant de créer et diriger une autre revue intitulée Al-Mathourat ach-Chaabiya. Il est par ailleurs le fondateur du centre du patrimoine populaire des pays du Golfe qu’il dirigea entre 1982 et 1987. Il est judicieux de signaler que notre poète, en sus de la poésie littéraire, il consacre un effort incontestable à la défense et la promotion des arts populaires. Ses publications poétiques datent de 1969.
Certaines de ses œuvres ont été traduites en français, en anglais, en portugais ou d’autres langues. Il est, par ailleurs, l’un des rares auteurs arabes ayant montré un intérêt certain à l’écriture de pièces d’opéra. Sachant que ce genre auquel nous avons consacré un article sous le titre «De l’absence à la difficile émergence de l’art de l’opéra dans le monde arabe» est très peu répandu dans la culture arabo-musulmane. Ali Abdallah Khalifa a écrit trois textes d’opéras, Le faiseur de gloire (1996), Nous t’avons, longtemps, attendu, (2001) et une dernière en 2002. En plus de la création, Ali Abdallah Khalifa est prolifique en études critiques.
Il est à l’origine d’au moins une dizaine d’études portant notamment sur l’art populaire et la poésie populaire. Ainsi, son œuvre intéresse désormais les chercheurs au-delà, non seulement de Bahreïn, mais aussi et surtout au-delà du monde arabe. Déjà, en 1978, à l’université de Genève, Suisse, Jacqueline Hoffer a soutenu une thèse de magister sous le titre «Les pêcheurs de perles dans la poésie classique : Ali Abdallah Khalifa».
Un travail académique montrant le rayonnement du poète. Au sein des pays arabes, plusieurs soutenances de magister et de doctorat ont été présentées sur les travaux d’Ali Abdallah Khalifa : à Beyrouth, Damas, Le Caire, sans oublier les articles parus dans des revues littéraires un peu partout y compris en Pologne, Portugal, etc. C’est dire, qu’il s’agit d’un penseur à dimension universelle. Cette dimension lui a valu plusieurs distinctions.
L’intérêt pour l’art populaire
Lorsque l’on parle d’art populaire, on pense naturellement aux frères Grimm (Bruder Grimm ). En effet, ces derniers ont rassemblé les contes et publié les anciennes légendes Chant de Hildebrand et le Wessobruner Gebet en 1812.
Leurs travaux sur les Contes de l’enfance et du foyer (Kinder-und Hausmarchen) ont été tirés à plus de 900 exemplaires. Près d’une centaine d’histoires populaires des frères Grimm est connue, aujourd’hui, à travers le monde. Ils ont montré une passion pour l’art populaire, pour les langues comme étant des éléments nécessaires à la transmission des aspects culturels faisant naître un sentiment d’appartenance.
Il s’agit, en fait, d’un projet de promotion de la culture ancestrale. Il ne fait aucun doute que l’art populaire est un moyen de transmission et de lien entre les générations. C’est un moyen d’éducation et de diffusion du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. C’est l’art populaire qui permet de caractériser l’approche culturelle de chaque aire géographique. Il est la traduction même du quotidien.
A travers le monde, l’art populaire suscite un intérêt particulier. En effet, si la modernité est nécessaire, elle ne doit pas l’être au détriment de l’art populaire, car ce dernier n’a pas vocation à s’opposer au progrès. En un mot, le patrimoine populaire peut être considéré comme un moyen de la connaissance de soi.
Ali Abdallah Khalifa, en fin connaisseur de la littérature arabe, poète de renom, écrivain prolifique, a le mérite d’attirer l’attention sur la richesse de l’art populaire arabe. Quoi qu’il en soit, c’est la qualité esthétique de son œuvre qui a poussé le groupe de chercheurs à publier cet ouvrage collectif dans les deux langues : arabe et français.
Ainsi, Tayeb Ould Aroussi, dans un article publié en langue arabe, rappelle qu’en Occident, les universités consacrent souvent des études, des publications aux auteurs et à leurs œuvres. Il appelle de toutes ses forces pour qu’il soit ainsi au sein des universités du monde arabe. Pour lui, le fait d’avoir consacré un livre collectif de la part d’universitaires à l’œuvre d’Ali Abdallah Khalifa et non seulement louable, mais aussi légitime. Il espère que ce geste devienne un réflexe automatique de recherche.
Structures et visions, lectures de la poésie d’Ali Abdallah Khalifa
La version française du livre a été publiée sous la direction de Chokri Mimouni, sous le titre Structures et visions, lectures de la poésie d’Ali Abdallah Khalifa, L’Harmattan, Paris. Dr Abdessattar Jamai précise que le but de ce livre est de rendre hommage au poète bahreïnien. Il espère, par ailleurs, que cela contribuera à de futures recherches sur la poésie arabe en général et sur la poésie d’Ali Abdallah Khalifa en particulier.
En effet, ce travail collectif sur l’œuvre du poète en question est une véritable référence académique, d’autant plus que le livre comporte deux grands volets, l’un en français et l’autre en arabe. Parmi les articles constituant cet ouvrage, on y trouve des contributions fort intéressantes d’un point de vue linguistique. En effet, Fadel ‘Abboud al-Tamimi, chercheur irakien, a intitulé son article «Le phénomène de la répétition dans le recueil : les arbres ne se ressemblent pas». La notion de répétition relève d’un travail sur la langue, sur les figures de style.
Faut-il rappeler que l’approche anaphorique n’a pas encore été, à notre sens, suffisamment étudiée dans la pensée arabe. A noter que l’approche anaphorique est un outil qui aide à mieux comprendre l’interdépendance des ensembles d’un texte (Ducrot et Todorov). Dans le même registre relevant de la linguistique, Fouad Afani, du Maroc, s’est intéressé à la notion de la conjecture et sémantique entre vue et vision en prenant appui sur Tahwidat li-Nejmat al-Bahr. Abdessattar, quant à lui, est allé au fond des choses, proposant une vue d’ensemble et globale puisqu’il s’est attelé à suivre la notion de la «Rhétorique de la marge dans les travaux d’Ali Abdallah Khalifa».
Une étude qui, sans aucun doute, aidera les futurs chercheurs à approcher les œuvres de façon plus précise. Dans le même ordre d’idées, Abdallah Mohamed Ghallab a développé la notion de «l’interaction linguistique dans la poésie d’Ali Abdallah Khalifa». Tayeb Ould Aroussi, quant à lui, a procédé à une approche critique de la traduction du livre La Perle de la Mer. L’approche critique fut également le centre d’intérêt du travail de Faouzia El-Saffar El-Zawiq.
Elle propose une approche de lecture interprétative de Adieu à la dame Verte. Le même titre a suscité l’intérêt et la curiosité intellectuelle de Mustapha al-Khwalda, en s’intéressant, cependant, à un point bien précis : «Fonctions du titre et son impact sur l’auditeur, Adieu à la dame verte de Ali Abdallah Khalifa». Ces contributions, à travers les analyses linguistiques, ont su mettre en lumière le talent du poète dans l’usage la langue arabe.
Au niveau de l’approche esthétique, Fathi Ouled Bouhadba a procédé à l’étude de la passion mémorielle comme sens poétique du recueil Houri de l’amant. En outre, Lamjed Romdhan a focalisé son travail sur «Le documentaire et l’artistique dans le recueil Eclairage pour la mémoire de la nation», et Geneviève Buono, quant à elle, a intitulé sa contribution «Affinités, ou la lucidité bienveillante d’Ali Abdallah Khaliffa.»
Il en résulte que ce livre collectif est d’un intérêt certain pour les chercheurs et universitaires qui travaillent sur la littérature et la poésie arabes. On peut affirmer que l’œuvre d’Ali Abdallah Khalifa est protéiforme.
En effet, elle prend des formes bien variées, allant de la poésie, à l’opéra, en passant par la critique, et contient en elle des aspects à la fois poétiques, esthétiques et linguistiques. Sa richesse se prête, sans aucun doute, à l’élaboration de thèses et de travaux de recherche. Hadj Dahmane