Long - Crise existentielle public cherche films, cinéma cherche identité

27/08/2023 mis à jour: 00:48
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Omar, des fraises, de la comédie, des bandits, de la France et de l’Algérie, une recette qui n’a pas vraiment fonctionné - Photo : D. R.

Le cinéma algérien est-il inspiré d’un modèle français, égyptien ou turc, ou est-il tout simplement algérien ? Si oui, que signifie cinéma algérien ?

Dans une communication sur le cinéma comme Soft power, le docteur Nawel Ferahtia, spécialiste en géopolitique des médias, rappelle qu’au lendemain de la Seconde  Guerre mondiale, les USA incluaient dans leur plan Marchal un volet culturel portant essentiellement sur le cinéma.

Cette stratégie s’est traduite par les accords Blum-Byrnes signés en mai 1946, selon lesquels les Etats-Unis effaçaient la dette de la France et octroyaient de nouvelles aides en contre-partie de l’ouverture totale des salles de cinéma françaises à la production américaine, ce qui montre bien l’enjeu stratégique que représente le cinéma.

Le cinéma français, qui a connu son âge d’or dans les années 30, devient donc américain en salles, et le cinéma algérien, calqué très tôt sur le cinéma français, serait donc soumis à l’influence française. D’ailleurs, en dehors des films sur la colonisation et la guerre d’Algérie, première phase du cinéma algérien, dite «engagée», ce sont maintenant surtout des films dits d’auteurs, comme d’ailleurs le cinéma français où seules des comédies qui fonctionnent plus ou moins font référence, un cinéma qui à quelques exceptions près n’est pas très coté dans le monde.

Il a d’ailleurs fallu attendre 2020 pour que le premier film algérien, Papicha de Mounia Meddour, soit diffusé par Netflix, d’où la question, faut-il développer un cinéma à l’Américaine, à l’Indienne, à l’Egyptienne ou s’identifier dans un cinéma algérien qui souffre d’une définition claire ? Idir Benaïbouche, comédien et scénariste qui a travaillé avec de nombreux réalisateurs algériens, en a tiré une vision, pour lui, «le cinéma algérien doit s’inscrire dans un néo réalisme à l’italienne mêlé au contemplatif du cinéma iranie».

Oui, mais comment ? A titre d’exemple, l’Algérie vient d’être recalée aux BRICS, et le ministre de l’Industrie a appelé ce jeudi 25 août «à la levée des obstacles entravant les projets d’investissement». Il est ministre de l’Industrie, et si un gouvernement ne peut lever les obstacles, qui pourra le faire ? Dans le cas de l’industrie du cinéma et son nouveau centre, le CNIC, Centre national de l’industrie du cinéma, désormais rattaché au ministère de la Culture, qui pourra porter toutes les dynamiques nécessaires ?

Sur la piste francaise doublée en VO

Signe des temps, le cinéma Le Français, situé au cœur d’Alger, est un dépotoir, contrairement aux salles Afrique et Algeria (en anglais), entièrement rénovés. Ce qui pourrait donner du sens, l’Algérie cherche à s’éloigner du modèle français mais sans pour autant trouver le sien. Adila Bendimered, co-réalisatrice de La dernière reine, qui n’est ni une comédie ni un film d’auteur mais qui a eu du succès, explique son choix de la période pré-ottomane comme thème, «au cinéma, l’Algérie est encore vue essentiellement à travers la colonisation ou les années du terrorisme».

Un cinéma documentaire donc ou encore un cinéma d’urgence, dans les deux cas vu à l’étranger comme un cinéma qui n’attire pas les foules. En parallèle, l’influence française n’a pas disparu et se renforce même, alors que les autorités algériennes, qui ont décidé de placer la langue anglaise au-dessus de la langue française, n’ont toujours pas développé de modèle de cinéma à l’américaine, pas même à l’anglaise.

Un accord de 2007 a même été signé entre la ministre algérienne de la Culture et le CNC français, et s’il n’a pas produit grand-chose, c’est probablement le seul texte entre l’Algérie et un pays étranger dans le domaine. Car les liens sont évidents, renforcés par la présence de beaucoup de cinéastes algériens vivant en France, dont une partie d’ailleurs ont bénéficié de l’aide récente de l’Etat algérien, qui devront en plus, à cause des budgets insuffisants, trouver encore de l’argent en France.

C’est donc plus ou moins un cinéma algéro-français qui s’affiche, avec quelques réussites, le film Mascarades de Lyès Salem, coproduction algéro-française avec dialogues en algérien, une comédie bien sûr, et quelques échecs, Omar la fraise d’Elias Belkeddar, production franco-algérienne avec sorties simultanées en France et en Algérie, où des bandits à l’ancienne quittent la France pour l’Algérie, toute une image, encore une comédie bien sûr.

En attendant de trouver son identité, le cinéma algérien reste donc plus ou moins à la traîne, et en attendant que les autorités algériennes voient le cinéma comme soft power, il s’agit au fond de produire d’abord des films, de France, d’Algérie ou de Hollande comme essaie sans succès de le faire Hakim Traïdia (film accepté par la commission algérienne puis refusé, ce qui souligne la non permanence de la décision d’Etat) et de se poser la question ensuite.

Autour de l’existence ou pas d’un cinéma algérien, c’est probablement le réalisateur Amine Sidi Boumediène, qui prépare son nouveau long métrage, production algéro-française, qui a apporté la meilleure réponse : «Il y a des films et il y a des Algériens qui font des films, c’est tout ce que je peux dire.» 

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