Le lithium, c’est à la fois bien et mal». Dans les conditions andines extrêmes du nord-ouest argentin, Anahi Jorge a conscience que «l’or blanc» a changé sa vie. Mais pour combien de temps et à quel prix environnemental ?
Susques, village de 4 000 âmes de la province de Jujuy, perché à 3 800 mètres, est au coeur du «triangle du lithium», à cheval sur le Chili, la Bolivie et l’Argentine. La zone contiendrait, selon les experts, la moitié de réserves mondiales du métal considéré comme stratégique pour la transition énergétique, via les batteries des voitures électriques. Dans le village, les maisons d’adobe et de pisé laissent peu à peu place à des constructions en brique, ciment et carrelage. Et nombre d’habitants, pour beaucoup issus de communautés indigènes, Quechua ou Kolla, arborent les
combinaisons à bandes fluo des compagnies minières. «Environ 60% de la population travaillent pour la mine de nos jours», explique à l’AFP Benjamin Vazquez, 41 ans, élu municipal de Susques. Sans
compter ceux qui, après quelques années de «salaire lithium», se sont mis à leur compte, avec des entreprises de transport, de blanchisserie, de petits hôtels. Mais le ruissellement est individuel, plus que collectif. La manne lithium s’est fait sentir «surtout chez les gens, pas dans les infrastructures de la communauté. On a les mêmes manques de toujours : pas d’égout, pas de réseau de gaz», regrette l’élu. «C’est très difficile de dire non» au lithium, avoue Anahi Jorge, employée sur le salar (désert de sel) d’Olaroz, aux grands bassins bleu-vert irréels, à 50 kilomètres de Susques. A 23 ans, elle gagne 1 600 000 pesos (1 670 dollars) par mois, soit quatre fois le salaire d’un employé municipal local. Avant l’arrivée des compagnies minières, Sales de Jujuy et Exar, les jeunes du coin, allaient invariablement aux champs ou à la capitale provinciale, San Salvador de Jujuy, vers des emplois peu qualifiés, «souvent d’employées de maison, mal payées», rappelle-t-elle.
L’eau plus en profondeur
A présent, ils ont «une super opportunité». Implacable dans un pays à la pauvreté autour de 50%. «La majorité des gamins d’ici te disent +sitôt fini le secondaire, je vais travailler à la mine», raconte à l’AFP Camila Cruz, une jeune de Susques qui étudie la médecine par correspondance. «Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que l’extraction minière ne sera pas toujours là. Cela va te générer des revenus, mais une fois que ce sera fini, si tu n’as pas étudié, tu n’iras nulle part». Cette éphémère effervescence inquiète des sceptiques locaux du lithium, dont l’Argentine est le quatrième producteur mondial. Tout comme son caractère aléatoire, à l’image de l’écroulement des cours du carbonate de lithium au long de l’année 2023. «Les mines de lithium n’engendrent pas une amélioration d’ensemble des conditions de vie», estime la sociologue Melisa Argento, membre d’un forum universitaire de spécialistes du lithium. Elles permettent seulement à certains d’accéder à des emplois, de manière précaire. «Les populations sont dépendantes des fluctuations du marché international et de leur impact sur les emplois miniers», précise-t-elle. Et puis, outre le passager, il y a le «durable» qui inquiète : l’impact sur l’environnement de l’extraction du lithium, notoirement goulue en eau. L’ONU notait dans un rapport en 2024 que «la production de lithium a des conséquences sur l’approvisionnement en eau et les populations locales», d’autant que la moitié de sa production «est concentrée dans des zones où l’eau est rare». Comme la région de l’Altiplano.
«Respectez notre territoire. Entreprise de lithium dehors !», clame une pancarte, maigre reflet des inquiétudes locales, à l’entrée de Salinas Grandes, un salar touristique de la zone où pour l’heure, seul le sel est exploité. «Au jour d’aujourd’hui, on ne sait pas la quantité exacte d’eau qui est utilisée», regrette M. Vazquez. D’aucuns, pourtant, ont leur propre repère. «Je viens de la campagne et autrefois, à deux ou trois mètres de profondeur, tu sortais un peu d’eau. De nos jours, c’est à chaque fois un peu plus profond», assure à l’AFP Natividad Sarapura Bautista, en cuisinant dans son patio une soupe typique à base de lama. «Si on apprend à respecter notre Pachamama (Terre-Mère), on aura (de tout) pour la vie», assène-t-elle.