Tel le peintre, son pinceau, ils créent des œuvres d'art avec l'intelligence artificielle (IA). À Paris, trois copains d'enfance de 29 ans, réunis dans le collectif Obvious, pionnier du genre, parient sur l'envolée de cette révolution artistique. «De la même manière qu'un peintre utilise un couteau, un pinceau, une brosse, nous utilisons des algorithmes. Notre travail, c'est de choisir le bon», explique à l'AFP l'un d'entre eux, Pierre Fautrel, visage juvénile sous une barbe fournie.
Férus d'art et de science, Pierre, Hugo Caselles-Dupré et Gauthier Vernier ont sidéré le monde de l'art en 2018 en vendant plus de 400.000 euros chez Christie's, à New York, une œuvre présentée comme étant la première produite par un logiciel d'intelligence artificielle, Edmond de Belamy, un portrait fictif aux contours flous, imprimé sur toile. Ce premier pas a été réalisé grâce aux outils développés par d'autres pionniers, partagés en «open source», dont un code mis au point par un jeune prodige britannique de l'art numérique, Robbie Barrat. «Ça fait cinq ans qu'on travaille là-dessus, on a commencé à un moment où ce mouvement était vraiment à sa genèse, et les NFT's (objets numériques protégés par des certificats infalsifiables) comme l'IA, très peu répandu dans le monde de l'art», explique Gauthier Vernier.
Sept Merveilles du Monde
Pour Hugo Caselles-Dupré, cette révolution artistique est comparable à la «démocratisation» de la photo mais elle s'opérera «beaucoup plus vite, en 10 ou 20 ans». Fort des progrès de l'IA, qui permet aujourd'hui de générer des images à partir de textes, le trio français vient de présenter à Paris sa première exposition en solo baptisée 7.1, autour des Sept Merveilles du Monde. Cette série de sept toiles exposées en décembre et janvier à la galerie Danysz à Paris, est inspirée des mythiques Colosse de Rhodes, Jardins suspendus de Babylone, Phare d'Alexandrie et autres Merveilles. Conçues à partir d'images générées grâce à des textes antiques ingérés par l'intelligence artificielle, elles ont ensuite été reproduites à la peinture à l'huile sur des toiles. Très nettes et éclatantes de couleurs, elles rappellent l'imagerie des jeux vidéo, la BD ou l'Heroic Fantasy (monde de héros mythologiques, ndlr). «On s'est notamment servi de Platon et de descriptions de voyageurs de l'époque, qui sont tout ce qu'il reste des Sept Merveilles du Monde. On a fait un travail de bibliographie avec un historien pour créer des textes pouvant être injectés dans un algorithme et créer des visions», explique Pierre Fautrel. À partir d'une simple phrase, la machine est désormais capable de produire des représentations. «Une fois que les images créées sur ordinateur ont été satisfaisantes, on a choisi un style proche de la peinture à l'huile et engagé des artistes peintres pour les reproduire», ajoute Hugo Caselles-Dupré.
Plusieurs toiles ont été vendues 15.000 euros. Pour chacune, un double NFT - version numérique «augmentée» de l'œuvre physique - a été créé : regardés avec une tablette numérique, leurs paysages et sujets peints s'animent, les nuages se déplacent, les flammes crépitent, les vagues déferlent. Chaque NFT était vendu en cryptomonnaie «5 éthers, soit environ 7.000 euros», précise à l'AFP la galeriste qui les a exposés, Magda Danysz.
Passerelles
«On s'est retrouvé sur leur envie de dresser des passerelles entre le monde de l'art et la tech», ajoute cette passionnée qui s'intéresse depuis 30 ans aux «formes émergentes de création artistique». Les progrès fulgurants de l'IA laissent présager un monde où l'ordinateur serait capable d'apprendre et de créer, comme l'humain, une potentialité qui effraie. Conscient de cette crainte, le trio insiste sur la philosophie de sa démarche. «La place de l'humain est centrale. Ce que nous avons toujours défendu, c'est que les algorithmes sont des outils, en aucun cas une entité pensante qui viendrait remplacer l'artiste», insiste-t-il.
Parmi ses nombreux projets, financés par ses ventes, et à la recherche de partenaires, le trio œuvre à la création d'un «laboratoire de recherche» associé au monde académique, un peu «comme les ateliers de la Renaissance» qui mêlaient innovations techniques et art.