«L’imzad et les chants de la femme targuie ou la poésie de l’errance»

05/01/2022 mis à jour: 01:36
1754
Photo : D. R.

Du Hoggar à Djanet, une généalogie racontée et déclamée par la femme targuie par sa voix et son Imzad prouve qu’il existe bel et bien cette parenté berbère du peuple algérien de Tam à Alger, des Aurès au Djurdjura, de Cirta à Béni Snous, du Hodna à Bouna, des Zibans au mont Chenoua, c’est là toute l’Algérie, cette nation fière de ses racines.

C’est de cette randonnée que de nombreuses familles algériennes vont bivouaquer à la rencontre de leur histoire millénaire à travers les générations qui se sont succédé, telle la famille Ferrah qui m’envoie ces belles photos d’illustration en cette fin du mois de décembre 2021 profitant du beau temps, loin du froid du nord...

Cette Algérie belle et rebelle, où la fascination qui fait rêver chez l’Algérien et tout visiteur dans cette spatialité infiniment grandiose et mystique de Djanet et de l’Askrem.

De cette ancêtre mythique qu’est la Reine targuie Tin-Hinan, la poésie chantée ou déclamée au-delà des dialectes du Tamasheq, présente des différences sensibles d’une contrée à une autre. Celui de l’Ahaggar est sans doute le plus pur.

En écoutant ceux du Kel-Ahaggar, tribu berbère des Houaras (Ihouaren ou Ihaggaren), les Touareg offrent dans cette langue libyco-berbère une image chevaleresque déjà répandue au Ve siècle avant J. C., selon les études ethnologiques.

Si le tifinagh est issu du punique qui s’écrit de gauche à droite ou de droite à gauche, de haut en bas ou de bas en haut, c’est la littérature orale qui a révélé l’extrême richesse de la culture targuie.

Toutes les poésies, les satires sont assez souvent accompagnées par la vièle appelée Imzad, tenu et exécuté par des femmes. Comme du temps du Souk Okadh, en Arabie, les poètes participent à une compétition ou le ver est à l’honneur. Pour la généalogie, les Touareg seraient composés de Senhadja, de Lemtaa, de Lemtoun, des Louata et des Houaras qui sont ceux de l’actuel Hoggar.

En faisant une lecture consommatique morphologique et syllabique, le «on» change en «g» qui donne l’intonation targuie du mot Ahaggar en Houara. Les recherches des dialectes chez les Zenatas et les Touareg ne font que confirmer les données.

Si Ibn Khaldoun place les Touareg entre la tribu des Soleim qui habitait la partie orientale du Hoggar et les tribus du Soudan, Ibn Batouta, Léon l’Africain vers 1526 apportent beaucoup de choses, notamment les récits d’Abou Obeïd Abdellah El Bekri, l’auteur du Kitab El Massalik wal mamalik.

Un manuscrit aurait, paraît-il, existé chez l’ancien Amenokal de l’Ahaggar, Moussa ag Amastan qui décrit l’ordre chronologique des tribus vivant dans le Hoggar. Il aurait été rédigé en tifinagh suivant les uns, en arabe suivant les autres. Mais il n’a jamais été retrouvé. Chez les Touareg, tous hommes et femmes sont capables de versifier. C’est un jeu rimé et chanté.

Il existe une parenté musicale entre les Touareg et les Berbères de l’Atlas. On dit que les habitants de chaque montagne ont leur propre façon de déclamer. Ce sont des récits charmants où l’âme poétique des Touareg trouve un magnifique épanouissement. Tous les Touareg sont des musulmans. Aucune évangélisation, fut-elle du Père Charles de Foucauld, n’a réussi dans la région.

L’Islam a apporté un message de progrès et de fraternité dans la région. Pour revenir à la poésie targuie, qui est un peu différente des Ahellils du Gourara dont Timimoune nous donne quelques exemples rapportés par Mouloud Mammeri qui insère le patrimoine du Gourara dans une musique polyphonique probablement millénaire. Les Touareg du Hoggar ont des pièces poétiques de toutes sortes de l’élégie, aux récits guerriers, du galant aux invocations pieuses.

Les hommes targuis sont des amateurs des beaux vers. Ils ont le talent poétique. Ils chantent leurs chagrins intimes dans des poèmes (Tashawit-pluriel Tishwey ou amesshewey).

Dans ces solitudes inhabitées, les faveurs accordées par l’aimée, fut-il ce doux entretien dans la pénombre d’une tente, rafraîchit l’âme, c’est un remède (amagal) à la soif. La passion amoureuse est un feu qui dévore l’âme. L’esuf comme désert, aussi bien l’esuf comme solitude font naître une soif. «Donne-moi à boire, une soif en moi me tue - Et asperge-moi d’eau, mon âme est ardente.»

Au terme d’un voyage à travers la désolation du désert, l’arrivée auprès de l’aimée, comparée à un lieu ombragé, sa peau luisante évoque la luxuriance d’un jardin irrigué où les eaux ruissellent. Son teint rejoint la vue comme le fera un pays abreuvé de plus où abondent les herbages.

«Sa peau luit comme un champ sur un relief dominant la plaine. Et au-dessus duquel le nuage gonflé s’est déversé en une pluie régulière, abreuvant la terre et la lavant.»

Le poète targui psalmodie son poème. La halte du soir approche, il invoque Dieu et en tire quelque réconfort. Il arrive au crépuscule continuant à composer ses vers. «Dieu et Toi, Prophète Mohamed (QSSL), secourez-moi que je ne sombre pas dans la déraison.»

«Entre l’image du début, celle du vent de sable qui effrange l’empreinte d’un campement, et l’image finale, où l’orage emporte le poète-lion, se pressent des tableaux dont la violence sensuelle s’aiguise d’un majestueux ‘‘plus jamais’’».

Mais faut-il rappeler aussi un amoureux du désert, Antoine de Saint Exupery, dans Pilote de guerre où il décrit dans ce roman la beauté du sable : «En plein désert, sur l’écorce nue de la planète, dans un isolement des premières années du monde, nous avons bâti un village d’hommes.» Que ce soit dans son livre Terre des hommes, Citadelle, ouvrage posthume, ou le Le Petit Prince, le désert continue de le fasciner dans ce Festin du Soleil qui rayonne sur les sables.

«Voici les dunes, le vent les crée, sable fin qui s’étend entre les mains, passe à travers tes doigts. Reconsidère le passage d’une caravane. Une terre ; désert qui s’incline d’un bord à l’autre.» «Sable et musique nous avons fraternisé alors – je défigurerai l’image furtive pour graver en toi mes siècles – un lieu pour le départ entre nous et pour toi – l’aube c’est le désert.»

Dans Cinq Fragments du Désert ? Rachid Boudjedra revient sur le désert, avec son «espace indéterminé et sa clarté originelle – réduisant les choses et les rendant approximatives où les crêtes du Hoggar dans une sérénité extatique hors du temps, pourtant jubilatoire, solitaires d’une immense perfection – Tin-Hinan veille», comme un saint patron protégeant les lieux.

La poésie des gens du désert ou le Désert des Hommes et des femmes targuis fascine par le mirage d’une nature où l’être est pris dans une mystique du ver dans la sacralité du désert où tous les amoureux du Hoggar et de son Tassili plusieurs fois millénaires, d’une Algérie nouvelle, sereine et hospitalière qui se ressourcent.

Par le Dr Boudjemaâ Haïchour, chercheur universitaire, ancien ministre

Copyright 2024 . All Rights Reserved.