L’Europe intensifie sa politique d’enfermement face à la persistance du phénomène migratoire, à l’intérieur de l’espace Schengen, mais aussi face à la grande bande maritime de la Méditerranée.
Derrière les annonces de programmes d’aide au développement dans plusieurs pays d’Afrique, identifiés comme les principaux pourvoyeurs de migrants clandestins traversant la mer, continuent à se déployer et se renforcer des plans sécuritaires de plus en plus fermes et se dresser de véritables remparts, dans et autour du continent.
L’Allemagne avait indiqué mi-septembre dernier suspendre l’accueil de migrants ayant transité par l’Italie, rompant ainsi avec des engagements pris dans le cadre d’un plan de solidarité européen dans le domaine. Dans la foulée, Berlin annonçait la semaine dernière le renforcement également des contrôles à la frontière avec la Pologne et la République tchèque, confirmant cette tendance au resserrement du maillage policier.
Le sommet du Med9, réunissant les pays méditerranéens du Vieux Continent, a souligné avant-hier l’urgence d’une solution «unie et structurelle» à la crise migratoire, tout en appelant à l’abandon des «solutions nationales» qui, dans les faits, ont vu plusieurs pays se barricader et laisser seule l’Italie face aux flux en provenance du sud de la Méditerranée. Sur les 186 000 migrants clandestins qui ont débarqué dans le sud de l’Europe depuis le début de l’année (presque le double par rapport à l’année dernière), plus 130 000 avaient jeté leur dévolu sur les côtes de la péninsule, confirment les derniers comptes rendus du HCR.
Le repli «national» en Europe n’a pas attendu les flux record de l’année en cours pour s’opérer. D’après un rapport du Parlement européen en 2022, les murs et barrières physiques érigés pour stopper le passage de migrants et demandeurs d’asile sont passés de 315 kilomètres en 2014 à 2035 kilomètres au moment de l’élaboration du document.
L’association Forum réfugiés, organisation qui se consacre à l’accueil des arrivants et à la protection du droit d’asile, affirme que la moitié des pays membres de l’UE ont opté pour la construction de ces murailles et centres de refoulement. Des unités de contrôle qui, potentiellement, sont autant de «lieux de violence et de violation des droits», en sus de favoriser indirectement la traite des êtres humains, puisqu’elles imposent aux demandeurs d’asile d’emprunter des voies de contournement et de se fier aux réseaux de passeurs, avertit la même association.
Dans les pays du sud de l’Europe, l’Espagne, depuis une vingtaine d’années, est le seul pays à avoir érigé des barrières physiques pour repousser les flux en provenance du Maroc, à Ceuta et Melilla, soit en territoire africain. En juin 2022, des incidents y ont éclaté qui se sont soldés par la mort de 23 candidats à l’immigration dans le pays, justifiant ainsi les craintes des ONG de défense des droits de l’homme.
L’Italie, qui se plaint d’une véritable submersion migratoire par les vagues en provenance de la Méditerranée, n’a pas «le privilège colonial» de l’Espagne et ne dispose pas d’enclaves sous son autorité en Afrique. Le gouvernement de Giorgia Meloni tente plutôt «d’externaliser» le contrôle des frontières en proposant des sous-traitances à certains pays du sud du bassin, spécialement la Tunisie et la Libye, moyennant des financements et une assistance sécuritaire, de plus en plus poussée.
Sur un autre plan, l’agence des gardes-côtes et gardes-frontières Frontex, fer de lance de la riposte européenne, a vu son budget augmenter et son champ d’action élargi d’année en année depuis sa création en 2005. L’agence a pu disposer en 2023 d’une dotation qui a avoisiné le milliard d’euros, après s’être suffi de tourner à quelques millions les premières années de sa création. Ses effectifs, estimés aujourd’hui à 2100 agents, devraient avoisiner les 10 000 à l’horizon 2027, selon des prévisions spécialisées.
Le levier sécuritaire s’avère donc un axe central de la politique européenne sur la durée, d’autant que depuis quelques années, Frontex voit sa zone d’intervention élargie et ses autorisations d’équipements de plus en plus se militariser (avions, drones…). Force est de constater cependant que tout ce déploiement ne suffit toujours pas à prémunir la «forteresse Europe» de «toute la misère du monde».
Par Mourad Slimani