Les travaux d’aménagement du territoire révèlent des milliers de sites archéologiques dans le sous-sol algérien (1re partie)

26/06/2023 mis à jour: 11:01
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L’objet de cet article est une contribution à la question du devenir des sites archéologiques découverts fortuitement lors de tous travaux de construction et d’aménagement sur le territoire national. 

Un bref constat montre l’extrême difficulté de la gestion de ce phénomène au vu des innombrables sites archéologiques enfouis sous le sol ou en élévation et de l’immensité du territoire algérien. Fidèle à la politique économique dans laquelle elle s’est trouvée engagée, la société algérienne est guidée, depuis plusieurs décennies, par les maîtres-mots de développement et de croissance économique, impliquant une surenchère de nouveaux projets d’aménagement. 

Or, qui dit constructions ou aménagements, dit inévitablement découvertes et destructions de vestiges hérités des sociétés anciennes qui ont occupé l’Algérie avant nous. Répondre par les fouilles de sauvetage n’est plus une solution aujourd’hui. La seconde partie de cet article développe une réflexion de solutions qui pourraient être adaptées à la nature spécifique des besoins de l’Algérie, pour une meilleure coopération entre les intérêts des aménageurs et ceux du patrimoine archéologique national.

Des preuves multiséculaires du génie algérien disparaissent 

Depuis plusieurs années, de très nombreuses découvertes archéologiques sont faites en Algérie suite à des travaux d’aménagement et de construction. Ce sont de très précieux témoignages matériels qui révèlent la richesse immense du patrimoine archéologique du sous-sol algérien. Les récentes découvertes «fortuites» de sites archéologiques près de Béchar, Guelma, Batna, Souk-Ahras, Constantine, Sétif, Cherchell, Gouraya, Ain-Temouchent, Oran, Tlemcen… ne sont pas une exception en soit. 

Dans tout le pays, des sites archéologiques sont découverts tous les jours lors de travaux de construction. Force est de constater que ces milliers de sites découverts lors de travaux multiples ne sont pris en charge que par des fouilles de sauvetage, concept inadapté et défavorable pour les vestiges et l’aménagement du territoire. Officiellement, aucun organisme ou institution existant n’est chargé de ces interventions d’urgence aux moyens et objectifs patrimoniaux limités. 

Le patrimoine culturel algérien représente les racines de la nation et la pierre angulaire de son rayonnement mondial. C’est au ministère de la Culture et des Arts qu’incombe la lourde et noble tâche de sa sauvegarde et la valorisation de cette mémoire collective. Sont en jeu plus de deux millions de km2 de territoire qui contiennent autant de sites et d’occupations humaines à gérer, à étudier ou tout au moins à conserver. Selon les statistiques officielles, en France, par exemple, on aménage chaque année environ 600 km2, tandis que la construction d’une autoroute entraîne en moyenne la découverte d’un site archéologique important par kilomètre. 

L’Algérie est un immense chantier et la multiplication des travaux de construction et d’infrastructures (autoroutes, lignes ferroviaires, mines, zones urbaines, industrielles, portuaires…) s’accélèrent et s’étendent. La tâche est très rude pour les gestionnaires du patrimoine si le concept de prise en charge du patrimoine archéologique enfouis ou non classé n’est pas adapté à la modernisation du pays. 

Ces travaux sont souvent menés à côté ou sur des sites historiques d’apparence sans valeur. Témoins multiséculaires du génie algérien, méconnus de l’histoire nationale, ils sont souvent ignorés et détruits en dépit de la réglementation. Il n’est plus possible d’ignorer les dangers de destruction que posent les bulldozers pour les vestiges du passé. 

Rares sont les aménageurs qui font appel au ministère de la Culture, car faire appel aux archéologues signifie tout simplement le blocage du projet avant l’intervention archéologique. Trouver des vestiges au cours d’un chantier est un aléa largement redouté par les maîtres d’ouvrage. Inéluctablement, cela signifie l’arrêt du chantier pendant de longs mois avec un préjudice non indemnisé ou mal indemnisé. Cela freine les chantiers comme le dernier exemple du projet d’envergure et vital du transfert hydrique du barrage Kef Eddir, près de Gouraya (Wilaya de Tipasa) ou l’indispensable déviation de la double voie près du Medracen. 

De l’autre côté, les archéologues n’ont pas les moyens nécessaires. Cet état de fait n’est pas propre à l’Algérie, c’est aussi le cas dans de nombreux pays dans le monde. Aujourd’hui, l’archéologie est l’une des rares disciplines qui voit constamment son objet d’étude disparaître sous ses yeux, et de façon définitive.

Gestion actuelle des découvertes archéologiques

Au ministère de la Culture, les directions chargées du patrimoine culturel administrent aussi bien le patrimoine matériel qu’immatériel. La gestion, la conservation, la restauration, la mise en valeur et l’inventaire du patrimoine matériel sont du ressort de la direction de la culture de wilaya ainsi que de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés. Différents autres offices des parcs complètent (Tassili, Mzab…) cet arsenal de protection qui couvre l’ensemble du territoire algérien. 

Les missions de ces institutions ou organismes sont nombreuses et claires mais elles ne concernent pas à proprement dit la recherche et les fouilles archéologiques. 

Cet aspect est confié principalement à deux établissements publics à caractère scientifique et technologique sous tutelle du ministère de la Culture : le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) et le Centre national de recherche en archéologie (CNRA).
 

Brièvement et selon les textes, le CNRPAH a pour missions principales de : mener des recherches dans le domaine des sciences préhistoriques, anthropologiques et historiques sur l’homme, les groupements humains et leurs pratiques culturelles dans leurs interactions avec les environnements, de la préhistoire à nos jours ; et d’entreprendre tous travaux de caractères géomorphologiques, archéologiques et historiques en relation avec sa mission. Créé en 2005, le CNRA doit réaliser les programmes de recherche scientifique et de développement technologique dans les domaines de l’archéologie … en vue de contribuer à l’histoire de l’Algérie, du Maghreb arabe et de l’Afrique du nord, fondée sur le matériau et la preuve archéologiques. 

Ce Centre de recherche entreprend tous travaux scientifiques et techniques en matière d’archéologie libyque, punique, romaine, chrétienne et musulmane, ayant pour objectif la connaissance et la délimitation des espaces archéologiques considérés comme lieux d’interaction entre les hommes et leur environnement. Il doit élaborer des cartographies et atlas archéologiques, nécessaires et indispensables à la planification et la détermination des priorités en matière d’aménagement et de mise en valeur du patrimoine national.  

Les missions des deux institutions sont une véritable chance car elles sont destinées à entreprendre des recherches et la conservation des traces matérielles du passé, du pollen préhistorique à la construction d’hier ; reconstituer l’histoire passée de chaque et toute société présente ainsi que la transmission de cette connaissance à l’ensemble de la société. Les textes législatifs vont dans ce sens. Les missions du CNRPAH et du CNRA sont exclusivement consacrées à la recherche archéologique fondamentale et au développement technologique dans leur domaine respectif.

Bilan mitigé des fouilles archéologiques

Lorsqu’un aménageur ou les services locaux de la culture signalent au ministère une découverte fortuite lors de travaux, le ministère de la Culture sollicite le CNRA pour répondre à l’urgence et entreprendre une fouille de sauvetage. Ce qui est tout à fait normal puisque le CNRA et le CNRPH sont les seuls organismes habilités à réaliser des fouilles. Etablissement public à caractère scientifique et technologique, dévié ainsi de ses véritables missions, le CNRA fait intervenir ses chercheurs pour procéder à ces opérations. Après accord de l’aménageur (wilaya, travaux publics, SNTF…) sur un devis estimatif de l’opération archéologique établit par le CNRA, l’intervention est programmée. 

Cependant, le chantier d’aménagement est parfois retardé de plusieurs mois et il arrive que le projet soit tout simplement abandonné. Reconnaissons que le nombre important de demandes d’interventions archéologiques ne permet pas au CNRA de répondre aussitôt, faute de programmation et de moyens. 
L’absence de publications scientifiques de ces découvertes ne nous permet pas de connaître leur importance ni leur nombre. Il faut diffuser la mémoire si on ne veut pas que les fouilles «de sauvetage» deviennent synonymes en fait de destruction des vestiges, ce qu’elles sont précisément censées empêcher. En 2021, selon les médias et les réseaux sociaux, les experts du CNRA auraient procédé à environ une cinquantaine d’interventions. En moyenne, près de 20 fouilles de sauvetage et 30 constats de découvertes archéologiques auraient été réalisés. 

Ces interventions d’urgence restent très rares comparées aux nécessaires projets d’investissement en infrastructures qui se multiplient dans toute l’Algérie. Des milliers de vestiges archéologiques sont encore menacés de disparition. Lorsqu’ils sont informés, les services du ministère de la Culture réagissent. Mais ils ne peuvent solliciter que les institutions de recherche sous tutelle qui se transforment en pompiers de l’archéologie.  Par contre, le ministère est plutôt rarement informé des découvertes par les aménageurs. Faut-il continuer à fermer les yeux et attendre la découverte fortuite en se contentant de quelques interventions archéologiques ? 

Dans ce cas, cela veut dire qu’au moins 80% du patrimoine archéologique national enfoui ou en élévation non classé sera détruit sans qu’il soit étudié. Par mesure de sauvegarde systématique, faut-il appliquer strictement la réglementation et arrêter quasiment tous les chantiers en cours en Algérie en fossilisant le territoire ? Ce qui est impensable.  Alors ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir en intégrant la question du patrimoine enfoui ou non classé dès l’élaboration du projet de construction ou d’aménagement ?

Concilier aménagement du territoire et patrimoine archéologique

L’Algérie, sur la trace des témoins de son identité, ne peut plus se permettre aujourd’hui d’attendre les découvertes fortuites lors de chantiers pour intervenir en catastrophe et procéder à des fouilles de sauvetage au coup par coup, un concept révolu. Il faut passer d’une archéologie de sauvetage à une archéologie de prévention, d’anticipation, qui étudie - en amont des différents projets de travaux - les sites, les cultures et les paysages. Dotée d’un financement approprié, l’archéologie peut s’inscrire dans la phase d’étude et de conception d’un projet possiblement dès l’accès à l’assiette foncière. 

En respectant le planning des aménageurs, la prospection, le diagnostic ou la fouille archéologiques sont réalisés avant le lancement des travaux du sous-sol pour lever à terme par l’étude le risque de destruction des vestiges et en somme la contrainte archéologique fortuite au moment des travaux. Bien souvent, après un travail rigoureux de récupération de toute l’information archéologique et du passé, le terrain est libéré au profit de l’aménageur. Dans les cas exceptionnels, le projet peut être ajusté pour conserver les vestiges archéologiques. 

Dans de nombreux pays du monde, le nouveau concept de l’archéologie préventive a été adopté. Elle a pour objet d’assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l’étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés - ou susceptibles - de l’être par les travaux publics ou privés concourant à l’aménagement du territoire. 
 

Par Mahfoud Ferroukhi , Docteur en archéologie

 

(A suivre)

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