Les sept raisons du processus inflationniste

30/01/2023 mis à jour: 17:11
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Le taux d’inflation, comme le PIB, se calcule par rapport à la période précédente ; ainsi, un taux relativement faible en 2023 rapporté à un taux élevé en 2022 donne, cumulé, un taux élevé. Selon les indices cumulés de l’ONS entre 2000/2021 dont la composante n’ a pas été actualisée depuis 2011, le taux d’inflation dépasse les 100%. Selon les données du site international Statistica.com entre 2014/2022, avec une accélération entre 2020/2022, il dépasse les 50%. Pour la Banque mondiale et le FMI, l’inflation devrait ralentir mais rester au-dessus de 8%, alors que selon les prévisions de Fitch Solutions publiée le 24 janvier 2023, l’inflation en Algérie de 9,7% en 2022 pourrait se situer à 3,8% en 2023. Mais ce scénario serait remis en cause, selon l’Agence Fitch, l’économie algérienne étant fortement dépendante de la rente des hydrocarbures, une chute des prix de l’énergie plus forte que prévu pourrait réduire la capacité des autorités à soutenir le dinar, avec un risque de hausse de l’inflation. Car, le processus inflationniste a atteint un niveau intolérable en 2022 : plus 100% pour les pièces détachées et les voitures, entre 50/100% pour les produits scolaires, certains produits alimentaires, parallèlement à une pénurie de nombre de produits. Outre les factures d’électricité et d’eau, du loyer, on peut se demander comment un ménage qui gagne entre 30 000 et 50 000 DA peut survivre, s’il vit seul, en dehors de la cellule familiale qui, par le passé, grâce au revenu familial, servait de tampon social. Je recense six facteurs interdépendant expliquant le processus inflationniste en Algérie, processus complexe qui implique de le relier aux nouvelles mutations mondiales et aux équilibres internes macroéconomiques et macrosociaux dont la répartition du revenu entre les différentes couches sociales.

La première raison est la pression démographique

qui engendre une série de besoins où face à un déséquilibre offre/demande entraîne l’inflation. La population algérienne a évolué ainsi : 1960 11,27,millions d’habitants – 1970 14,69, -1980 19,47, -1990 26,24, -2010 à 37,06 -au 1er janvier 2016 , 40,61 -au 1er janvier 2017, 41,3 -au 1er janvier 2018, 42,6 millions d’habitants au 1er janvier 2021, 45,6 au 1er janvier 2023. Les chiffres donnés par l’ONS sur les prévisions de l’évolution de la population algérienne d’ici 2030 serait de 51,026 millions et selon l’hypothèse du rythme actuel de 2,4 enfants par femme d’ici à 2050 pour atteindra 65 millions d’habitants, données qui doivent être corrélées à l’espérance de vie.

La deuxième raison est l’inflation importée

où le taux d’inflation mondial a atteint un niveau record obligeant les banques centrales à relever leur taux d’intérêt ce qui se répercute sur l’économie algérienne dont l’économie est extériorisée tant pour les importations que pour les exportations, 85% des matières premières et équipements étant importés par entreprises publiques, privées et les administrations, le taux d’intégration en 2022 ne dépassant pas 15%. La sécurité alimentaire mondiale étant posée, les prix des produits agricoles connaissent un niveau record et, selon la FAO, le prix des oléagineux a plus que doublé. La Russie et l’Ukraine représentent 30% des exportations mondiales de blé et d’orge. L’Ukraine est le 4e exportateur mondial de maïs, 5e de blé et le 3e d’orge. Elle détient des positions dominantes sur le marché mondial pour le tournesol, c’est-à-dire en huile, mais également en tourteaux, pour l’alimentation animale. Ainsi, une très grave crise alimentaire se profile du fait des tensions en Ukraine posant la problématique de la sécurité alimentaire de l’Algérie, pays semi-aride qui risque d’être frappé, comme tous les pays du monde, par l’impact de la crise économique et du réchauffement climatique. L’autosuffisance alimentaire n’existe nulle part dans le monde devant investir dans les créneaux à avantages comparatifs, la facture d’importation des produits alimentaires en Algérie a dépassé 10 milliards de dollars en 2021, selon un rapport du premier mastère reprise par l’APS et pour 2022, les produits agricoles ayant connu une hausse en moyenne de 25/30% sur le marché mondial pour 2022 (source APS) l’estimation de la valeur totale des importations du secteur agricole en Algérie approcherait les 12 milliards USD. Les experts s’accordent à dire que l’on doit avoir des pluies pénétrantes abondantes indispensables au cycle des cultures notamment les céréales, impliquant de revoir la politique agricole et celle de l’eau qui deviendra de plus en plus rare. L’on devra penser, cela n’étant pas propre à l’Algérie, à un nouveau modèle de consommation de produits économisant l’eau. C’est que l’Algérie a produit (source APS) 4,1 millions de tonnes de blé pour la campagne 2021/2022, mais a importé durant la campagne céréalière 2021/2022 10,6 millions de tonnes de céréales, contre 13,1 millions de tonnes durant la campagne 2020/2021. Avec l’inflation mondiale, et cela n’est pas propre à l’Algérie mais à tous les pays dépendant de la rente des hydrocarbures, ce que l’on gagne d’un coté , on le perd de l’autre côté avec l’augmentation de la facture d’importation, 85% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées – dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% – provenant de l’extérieur.

La troisième raison est la faiblesse du taux de croissance interne,

résultant de la faiblesse de la production et de la productivité, les restrictions aux importations ayant entraîné souvent une sous utilisation des capacités C’est comme un ménage qui restreint sa consommation,, il fait des économies mais au risque de tomber malade L’Algérie, selon le rapport de l’OCDE, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impact en référence aux pays similaires, renvoyant à la mauvaise allocation des ressources. Selon le Premier ministère, l’assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public environ 250 milliards de dollars ces trente dernières années, et plus de 90% d’entre elles sont revenues à la case de départ, outre 40 milliards de dollars de réévaluation, (certaines estimations donnant 70), ces dix dernières années, faute de maîtrise de la gestion des projets. Octroyer des salaires sans contrepartie productive entraînerait une dérive inflationniste à terme , qui pénaliserait les couches les plus défavorisées, l’inflation jouant comme redistribution au profit des revenus spéculatifs où d’ailleurs les couches moyennes tendent à rejoindre les couches pauvres du fait du nivellement par le bas. Nous assistons au phénomène égyptien, bon nombre de fonctionnaires à la retraite et techniciens spécialisés après les heures de travail s’adonnant à d’autres emplois notamment chauffeur de taxi dénotant la détérioration de leur pouvoir d’achat. Loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates, il suffit d’aller sur le terrain pour constater pour la vente de bijoux, qu’il y a «déthésaurisation», une femme algérienne qui vend ses bijoux étant un signe de détresse. Plusieurs facteurs expliquent que les tensions sociales sont atténuées à court terme . Premièrement, l’Algérie n’est pas dans la situation de 1986, où les réserves de change étaient presque inexistantes. Deuxièmement, avec la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global. Mais il faut faire attention : résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l’explosion sociale. Troisièmement, l’Etat a généralisé les subventions, non ciblées, où il est prévu dans la loi de finances 2023, plus de 5000 milliards de dinars de transferts sociaux et dans la loi de finances 2022, les subventions ont représenté un total de 17 milliards de dollars, concernant les carburants, l’électricité, l’eau, les aides au logement, à l’emploi et les principaux produits de première nécessité. Reconnaissons que la marge du gouvernement est étroite, se trouvant face à un dilemme complexe : soit augmenter les salaires via la planche à billets ( financement non conventionnel) la théorie néo keynésienne de relance de la demande globale à travers l’émission monétaire, résolvant un problème à court terme mais amplifiant la crise à moyen terme, étant inappropriée, solution, l’Algérie souffrant de rigidités structurelles (léthargie de l’appareil de production) avec le risque de se trouver, en face d’une spirale inflationniste incontrôlable comme au Venezuela, solution rejetée par le gouvernement.

La quatrième raison est la dépréciation tant officielle du dinar

qui est passée (cours achat) en 1970, à 4,94 dinars un dollar, en 1980 à 5,03 dinars un dollar ; en 1995 à 47,68 dinars un dollar, en 2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro ; en 2019, 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro ; en 2022 140, 24 pour un dollar et 139,30, un dinar pour un euro et le 29 janvier 2023 136,32 dinars un dollar et 147,74 dinars un euro renchérissant les importations en euros. Concernant les cotations sur le marché parallèle de change, l’euro est en effet hausse sur le marché noir de la devise 221 DA à la vente, contre un cours de 219,0 et en référence au dollar 202 dinars un dollar à l’achat et 205 dinars la vente. La dépréciation officielle permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens , montant accentué par la taxe douanière s’appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. L’effet d’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar a un effet négatif sur les sphères économique et sociale.

La cinquième raison est liée au niveau des réserves de change qui tiennent la cotation du dinar à plus de 70%

où les réserves internationales d’un pays étant selon la définition du FMI, l’ensemble des disponibilités composant le portefeuille des actifs que sa Banque centrale détient (devises, or, droits de tirages spéciaux (DTS L’évolution des réserves de change de 2001 à 2022 selon les données du FMI ont évolué ainsi: – 2001 : 17,9 milliards de dollars, – 2005 : 56,2 milliards de dollars, – 2010 : 162,2 milliards de dollars, – 2011 : 175,6 milliards de dollars, – 2012 : 190,6 milliards de dollars, – 2013 : 194,0 milliards de dollars, – 2014 : 178,9 milliards de dollars, – 2015 : 144,1 milliards de dollars, – 2016 : 114,1 milliards de dollars, – 2017 : 97,33 milliards de dollars, – 2018 : 79,88 milliards de dollars, – 2019 : 62 milliards de dollars -2020 44,2 milliards de dollars -2021 , 47 milliards de dollars. Pour fin 2022, selon , le gouverneur de la Banque d’Algérie (source APS), les réserves de change algériennes dépassent les 60 milliards de dollars, ce qui équivaut à un an et demi d’importation. Tout en se félicitant de cette augmentation des réserves de change, mais étant un sujet très sensible, le gouverneur doit répondre aux questions suivantes : dans ce montant quelle est la structuration des réserves de change de l’Algérie en différentes monnaies internationales, euro, yen, livre sterling ou yen chinois, dont les fluctuations avec la reconversion en dollars ont un impact sur le montant des réserves de change en dollars – ces données ont-elles inclus les DTS ou pas déposés par l’Algérie au niveau du FMI – dans les réserves de change, a-t-on inclus les 173 tonnes d’or ou pas, dont le volume n’a pas évolué depuis 2007 (voir Abderrahmane Mebtoul www.google.com 2022 ) avec une valeur d’environ 10/11 milliards de dollars, au cours actuel de l’once d’or , et enfin en cas de dépôts à l’étranger dans certaines Banques centrales quel a été le montant perçu en 2022, grâce aux intérêts et ces taux d’intérêts ont-ils été positifs en référence au taux d’inflation mondial.

La sixième raison est l’importance du marché informel,

qui sert de soupape de sécurité sociale à court terme, mais entrave le développement à moyen terme. Avec la déthésaurisation des ménages face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, mettant des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation et plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées facilement stockables, l’achat d’or ou de devises fortes. Les prix des produits non subventionnés, s’alignent sur le cours du dinar sur le marché parallèle, amplifient l’inflation et s’étendent en période de crise.. Pour lutter contre la sphère informelle, la masse monétaire en circulation hors banque selon le président de la République variant entre 6000 et 10 000 milliards de dinars, 33 et 45% du PIB expliquant la différence par l’effritement du système d’information, le gouvernement a décidé récemment d’introduire la monnaie numérique où beaucoup de pays n’étant qu’au stade de l’expérimentation. Selon la Banque d’Algérie, la numérisation des paiements devrait s’orienter vers l’adoption d’une forme numérique de monnaie dont elle assurera l’émission, la gestion et le contrôle sous le nom de dinar numérique algérien, mais devant préciser que les conditions de réussite sont la confiance tant des opérateurs que du citoyen, une refonte totale du système financier qui jusqu’à présent s’est cantonné comme simple guichet administratif et une tendance à la convertibilité du dinar. Mais l’on ne doit pas confondre la monnaie numérique avec les crypto-monnaies qui circulent sur Internet hors de toute institution bancaire, ne reposant pas sur un tiers de confiance, comme une banque centrale pour une monnaie, n’ayant pas d’autorité centrale d’émission ni de régulation, mais utilisant un système décentralisé pour enregistrer les transactions et émettre de nouvelles unités.

La septième raison est la corruption à travers les surfacturations.

Sans compter les surfacturations des projets en dinars algériens, qui expliquent les surcoûts des projets avec des malfaçons surtout dans le BTPH, les importations en biens et services, selon le FMI ont été entre 2000/2021 de plus de 1050 milliards de dollars pour une exportation en devises de 1100 , le solde étant les réserves de change au 31/12/2021. Si on applique un taux de surfacturation de 10% nous aurons des transferts illicites de capitaux souvent dans des paradis fiscaux, en complicités avec certains fournisseurs étrangers, de 100 milliards de dollars et pour 15% 150 milliards de dollars, soit plus de deux fois les réserves de change actuel. Si on ajoute les surfacturations en dinars le montant pourrait doubler constituant une menace pour la sécurité nationale. C’est une des raisons qui explique que malgré toutes les dépenses en devises et en dinars, la croissance entre 2000/2021 a été dérisoire, moyenne de 2 à 3%, alors qu’elle aurait dû dépasser 8/9%, taux nécessaire pour absorber le flux additionnel de demandes d’emploi 350 000/400 000/an qui s’ajoute au taux de chômage actuel, sous-estimé, incluant les emplois improductifs et les sureffectifs des administrations et des entreprises

En conclusion, la population algérienne face aux nombreux scandales financiers exige un sacrifice partagé, que l’Etat et les hommes chargés de gérer la Cité donnent l’exemple, afin que les Algériens puissent avoir l’envie de construire ensemble leur pays et d’y vivre dignement. La structure des sociétés modernes s’est bâtie d’abord sur des valeurs et une morale qui a permis la création de richesses permanentes, comme nous l’ont enseigné les grands penseurs dont le grand sociologue Ibn Khaldoun qui, dans son cycle des civilisations, montre clairement que lorsque l’immoralité atteint les dirigeants qui gouvernent la Cité c’est la décadence de toute société. C’est que face aux tensions géostratégiques dans la région et budgétaires au niveau interne, l’Algérie a d’importantes potentialités, pour devenir un pays émergent.

Abderrahmane Mebtoul

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