Il faut dire que cette hésitation continue de Sonatrach pour entamer un forage efficace et approprié prolonge un débat qui entrave les efforts consentis dans l’exploration de l’offshore algérien depuis le début des années 1970.
Ainsi, en décembre 2013, le PDG de Sonatrach en place à cette époque avait annoncé un forage à réaliser par le groupe français CGG Veritas. 5 mois après, soit le 27 avril 2014, le Premier ministre Abdelmalek Sellal le confirme lors de sa visite à Béjaïa en indiquant cette fois-ci l’endroit précis : Béjaïa. En juillet 2014, le ministère de l’Energie le reconfirme, mais à Béjaïa et Oran. Il fallait attendre 2017 pour que Sonatrach signe un accord d’entente avec ExxonMobil et ENI pour réaliser en commun un forage offshore.
En mars 2018, le PDG de Sonatrach, Ould Kaddour annonce fermement qu’ENI, TotalEnergies, Anadarko et Statoïl vont forer le «premier» puits offshore avant la fin 2018. Le 9 janvier 2022, le vice-président responsable de la stratégie, de la planification et de l’économie à Sonatrach, Rachid Zerdani, intervenant sur les ondes de la Chaîne III de la Radio nationale, a précisé qu’un premier forage sera réalisé en 2023 qui permettra de mettre en évidence le potentiel identifié sur les périmètres sur lesquels Sonatrach opère avec des partenaires.
Il s’agit, selon le responsable, de deux périmètres, l’un situé à l’Est et le second identifié dans le bassin ouest du pays. Le responsable a mis en exergue, par ailleurs, l’importance stratégique des investissements de Sonatrach dans l’aval pétrolier, expliquant que si la compagnie continuait d’exporter les hydrocarbures à l’état brut, elle «dépendra systématiquement des prix appliqués sur le marché». (01) Enfin, cette année, on apprend que ce forage est repoussé de 2 années.
En effet, le président d’Alnaft lors d’une conférence de presse au cours de la 12e édition du salon «Africa & Mediterranean Energy & Hydrogen Exhibition and Conference (Napec-2024), organisé au centre des conventions «Mohamed Benahmed» à Oran, avait annoncé l’existence d’études préparatoires des hydrocarbures en mer au large des côtes algériennes qui ont abouti à des «preuves préliminaires de la présence de pétrole», «ce qui permet l’annonce de projets et de forage au cours de l’année 2025 ou 2026». (02)
Peut-on à ce stade avant-forage approprié évoquer «des preuves» même préliminaires de «présence de pétrole ?» S’agit-il de découverte de structures favorables à l’accumulation des hydrocarbures (gaz et pétrole) qui ne peuvent donner des preuves que par des forages et des tests de gisement ou éventuellement une fluorescence observée dans des carottes dans des endroits précis réalisées par un forage ?
1- Qu’en est-il dans exactement à travers les étapes réalisées ?
D’abord, il faut rendre à César ce qui est à César pour ne pas laisser dire ou rapporter que «l’offshore algérien est totalement inexploré». (03)
Pourquoi ? Parce que des études disponibles montrent que les deux bassins (le premier oriental et le second occidental, soit d’Annaba à Mostaganem en passant par Skikda et Béjaïa) ont fait l’objet de prospection, c’est-à-dire gravimétrie et magnétométrie, et à partir des années 2000, plusieurs profils sismiques exploratoires ont été réalisés. Ces éléments rassemblés et simulés par une modélisation 2D/3/D montrent bien la présence des pièges susceptibles d’accumuler du pétrole et du gaz qui s’éloignent de la côte de Béjaïa entre 20 et 70 km. Le contenu de ces pièges anticlinaux ainsi que les paramètres pétrophysiques ne peuvent se confirmer que par un forage.
Le golfe de Béjaïa qui se situe dans le bassin oriental est considéré comme une frontière pour l’exploration avec un seul puits «qui a traversé selon une thèse 5 m des évaporites supérieurs d’âge géologique du Messénien. Il faut préciser par ailleurs, note la même thèse (04), que les campagnes sismiques ont débuté en 1973 et 1976 suivies par celles acquise par Sonatrach en 1980. Ce n’est qu’à partir de 2000 que Sonatrach a fait réaliser des profils sismiques de bonnes qualités qui ont permis de révéler la morphologie complétée du bassin sous le sol.
Ce qui est intéressant, selon le président d’Alnaft, cité par la Radio nationale, «l’Agence a mis un budget de 12 millions de dollars pour renforcer la prospection et de nouvelles études en offshore qui semblent fournir des résultats prometteurs». Pour en finir avec ce débat qui n’en finit pas avec chaque jour ses nouveautés, il faut donc aller en profondeur avec au moins 2 à 3 forages pour finir et confirmer les résultats de l’exploration faits jusqu’à présent pour ajuster sa stratégie qui fait face au déclin des gisements matures. Il faut signaler que les forages entrepris par Sonatrach au nombre de 3 depuis mi-70 comme Habibas dans la marge occidentale et ceux de simple reconnaissance avec peu de carottes significatives n’ont pas du moins fourni des signes positifs de présence des hydrocarbures. Pourquoi ? Parce que ces forages étaient peu profonds et n’ont pas pu toucher les structures que la modélisation avait identifiées.
En effet, les données géologiques dont les profils sismiques situent les couches susceptibles d’accumuler les hydrocarbures sous les eaux sous-marines entre 2000 et 2500 m soient classifiées comme offshore profond. Même si dans cette tranche, les coûts restent importants pour rentabiliser les investissements consentis, ce n’est pas l’objectif de Sonatrach, lequel groupe en tant National Oïl Company (NOC), a le devoir d’évaluer le potentiel de ces bassins qui pourrait augmenter les réserves pétrolières et gazières du pays.
2- Pourquoi Sonatrach devra aller au forage sans penser à la rentabilité
Il faut signaler par ailleurs que deux approches séparent nos experts sur la question. L’une pessimiste soutenue par d’éminents spécialistes de rang magistral et ayant pratiqué le terrain comme le défunt ex-PDG de Sonatrach Nazim Zouiouèche et le Dr Kazitani qui pensent que notre marge n’a pas de roche-mère qui implique qu’il n’y a pas eu de formation des hydrocarbures et par voie de conséquence il n’y aurait pas de migration des hydrocarbures même s’ils auraient des roches poreuses et perméables avec celles de couvertures. S’il y aurait des pièges comme prônent les études sismiques et leurs modélisation, ils seraient vides. Donc, une perte de temps et d’argent. D’autres de la stature du Dr Mohamed Saïd Beghoul, ancien explorateur de Sonatrach, soutiennent une approche pragmatique en proposant quelques forages pour mettre fin à ce débat pour passer au stade d’étude de rentabilité. C’est-à-dire soit poursuivre les recherches dans la haute marge ou prendre ses dispositions pour viser ailleurs.
Pourquoi ces forages sont importants même si Sonatrach prenne le risque de les faire ? Il est inutile de détailler que l’activité forage en offshore est risquée et coûteuse surtout que Sonatrach n’a pas une grande expérience dans ce domaine, sauf celui de Mahdia réalisé en offshore en Tunisie mais sans grands succès. Les grandes compagnies pétrolières présentes en Algérie ont affiché leurs intentions et choisissent les endroits où il y a moins de risques ou exploiter en partenariat les gisements existants pour partager la croissance avec Sonatrach. Une étude commandée par Sonatrach dans le cadre du mégaprojet SH2030 a montré que depuis la promulgation de la loi sur les hydrocarbures 86-14, 80% des gisements des partenaires quel que soit la nationalité sont situés soit à côté des gisements existants (Near Fields) ou près des infrastructures. Ce qui veut dire que tous les risques sont pris par Sonatrach qu’on lui laisse seule les zones vierges du vaste domaine minier.
Cette étude a été confirmée par l’équipe de Sonatrach devant l’Assemblée populaire nationale. On apprend par cette équipe que Sonatrach avait investi 16 milliards de dollars entre 2000 et 2015, soit en moyenne un milliard de dollars par année, mais les «résultats ne reflètent pas l’important volume des investissements engagés par le groupe».
Tandis que les partenaires étrangers qui de 1986 à 2015, c’est-à-dire 29 ans, ont investi 9961 millions de dollars seulement, soit 524 millions de dollars par année, ont obtenu un résultat meilleur.
Ces partenaires lit-on (06) ont contribué à faire passer les réserves en une décennie 1989-1999 de 3,47 milliards de tonnes équivalent pétrole (Tep) à 5,12 milliards Tep, soit une augmentation substantielle des réserves de près de 68%. Tandis que la loi 05 -07, modifiée à 4 reprises initiée par Chakib Khelil, lui impute aujourd’hui «le recul» de la prospection et la recherche qui ont fait fondre les réserves de 60% et probablement atteindront le taux de 83% à l’horizon 2030 si on ne fait pas quelque chose pour changer la tendance, et cet avant-projet, selon eux, est la seule voie que le management de Sonatrach a trouvée. Pourquoi ? Parce qu’elle «prévoit des réformes en profondeur notamment dans les activités amont».
Pour eux, les relations entre les partenaires interviendront sous forme contractuelle de telle sorte que «dans un système de partage de production par exemple, la compagnie pétrolière étrangère qui peut se maintenir en offshore n’aura aucun contact avec les agences Alnaft et l’ARH ou même avec l’administration fiscale, du fait que ses obligations fiscales sont réglées par la Sonatrach».
En contrepartie, le partenaire est tenu en vertu de ce contrat de ramener sa contribution financière et technologique, de récupérer ses coûts et d’être rémunéré selon une formule négociée directement, mais sa validation demeurera à la discrétion du Conseil des ministres. Pour le deuxième régime contractuel que le texte de l’avant-projet a appelé «participation», l’équipe de Sonatrach le conçoit «comme un acte contractuel dans lequel Sonatrach et la compagnie pétrolière partenaire auront les mêmes droits et obligations en termes de dépenses, de rémunération et de payement de la fiscalité».
3- Conclusion
Il se trouve que ces compagnies que l’équipe Sonatrach défendait devant les pouvoirs publics bec et ongles se limitent à des accords d’intention sous forme de MoU (Mémorandum of Understanding) depuis la promulgation de cette loi 19-13. Si Sonatrach en 38 ans a dépensé près 24 milliards de dollars dans des zones à risque, cela ne fait rien au Trésor public pour forer 2 à 3 puis à 350-400 millions, voire ½ milliard de dollars pour s’assurer du prétendu potentiel offshore pour confirmer ou infirmer sa rentabilité.
Par Reghis Rabah , Économiste pétrolier
---------------------------------------
Renvois :
(01) https://www.google.com/search?q=Le+vice+president+de+Sonatrach+Zerdani+annonce+%C3%A0+la+chaine+3+que+Sonatrach+va+faire+un+puits+offshore+e%2Cn+2023&oq=Le+vice+president+de+Sonatrach+Zerdani+annonce+%C3%A0+la+chaine+3+que+Sonatrach+va+faire+un+puits+offshore+e%2Cn+2023+&gs_lcrp=EgZjaHJvbWUyBggAEEUYOdIBCjY5Nzg3ajBqMTWoAgiwAgE&sourceid=chrome&ie=UTF-8#fpstate=ive&vld=cid:837f8686,vid:YZ2CQ3VFb8A,st:0
(03) https://elwatan-dz.com/potentiel-petrolier-en-offshore-des-indices-prometteurs-pour-sonatrach#google_vignette (04)Chromeextension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://spiral.oca.eu/images/spiral/pdf/Arab16_these-final.pdf
(05)-http://www.aps.dz/economie/96604-la-loi-sur-les-hydrocarbures-affranchira-sonatrach-des-contraintes-reglementaires-et-fiscales http://www.aps.dz/economie/96584-hydrocarbures-le-projet-de-loi-offre-plus-de-flexibilite-a-travers-les-differents-types-de-contrat
(06)-https://fr.calameo.com/