Les méga-feux, les canicules et les indicateurs d’alerte : Vulgarisation de connaissance sur le dérèglement climatique

06/08/2024 mis à jour: 00:14
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Les canicules ressenties en 2023, les méga-feux, les inondations ont remis au-devant de la scène l’actualité sur le dérèglement climatique. Dès 2022, une canicule des plus sévères depuis un siècle a sévi en Inde. De nombreux méga-incendies survenus en Europe et en Amazonie ont ravagé plus de 30 000 ha, alors qu’au Canada, près de 20 millions d’hectares de forêt sont partis en fumée. Le cercle vicieux des incendies, qui aggravent à leur tour le changement climatique en dégageant du CO2, s’installe. 

Plus d’un tiers de la superficie du Pakistan a été noyé en 2022, affectant près de 33 millions d’habitants. En Antarctique, le gigantesque glacier Thwaites a libéré près de 50 milliards de tonnes de glace. La médiatisation de ces aléas est déjà un premier pas vers une prise de conscience de ces phénomènes funestes et des causes de leur amplification. Le second pas à faire serait l’engagement des citoyens, chefs d’entreprise et responsables politiques dans des actions de réduction des gaz à effet de serre (GES). Cette contribution s’inscrit dans la médiatisation du dérèglement climatique; il examine les dispositifs techniques mis en place pour mieux le cerner et présente les institutions et organismes créés pour en analyser les conséquences et développer des stratégies de maintien de la biodiversité sur notre planète.


Aux origines du dérèglement climatique

L’impact anthropique sur le climat a commencé certainement dès 1840 avec la révolution industrielle en Europe. Depuis lors, l’activité humaine n’a cessé d’accroître les émissions des GES dans l’atmosphère et les rejets de polluants dans la nature. Mais l’espèce humaine a mis près d’un siècle pour prendre conscience de cet impact préjudiciable à l’environnement. La présence du CO2 dans l’atmosphère a été actée pour la première fois par Svante August Arrhenius, Prix Nobel de chimie (1903). Puis ce fut le Russe, Vladimir Vernadsky (1926), considéré comme un précurseur de l’écologie, qui émit la thèse selon laquelle les cycles biogéochimiques seraient modifiés par l’influence humaine. 

A partir des années 1950, Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann confirment le réchauffement climatique par les activités humaines. Tous deux seront lauréats du Prix Nobel de physique de 2021. Le monde politique et économique s’empare du sujet du changement climatique dès 1967, lorsque Robert Mc Namara, secrétaire à la Défense des USA, annonce le réchauffement climatique à hauteur de +2,5°C avant la fin du siècle, trajectoire qui ne s’est pas confirmée. En URSS, le réchauffement climatique ne sera confirmé qu’en 1971, par le climatologue Mikhaïl Budyko, alors que le pouvoir en place s’intéressait à la géo-ingénierie afin d’accélérer l’ouverture de lignes de navigation dans l’Arctique. 

En 1972, le club de Rome publie, quant à lui, le rapport Meadows, devenu rapidement une référence sur les conséquences potentielles de la croissance économique et démographique sur l’environnement et les ressources naturelles. En 1979, le président Jimmy Carter commande le rapport Charney du nom du physicien et professeur au MIT, qui confirme in fine la perception du changement climatique. 
En 1988, l’OMM crée le Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC), Organe rattaché au Programme de l’ONU. Dans sa publication du 4 avril 2022, le GIEC lance une sévère alerte : «…Il ne resterait plus que 3 ans pour garder la planète viable.»
 

 

Le GIEC 

Dix-huit centres de recherche les plus réputés de par le monde absorbent en permanence les relevés météorologiques cumulés au fil du temps et adaptent continuellement leurs algorithmes et modèles mathématiques, qui réclament pour certaines tâches des semaines de calculs. Ces modèles se scindent en deux catégories, en fonction de leur extension géographique : les modèles climatiques régionaux (MCR) et globaux (MCG). Les premiers se focalisent sur des phénomènes météorologiques limités dans l’espace, comme les précipitations extrêmes, et utilisent des principes de la Physique. 

Les MCG permettent de prévoir ainsi le changement climatique selon les horizons temporels définis par le GIEC en référence aux émissions de GES. Les résultats de cette modélisation sont ensuite commentés et diffusés dans des rapports codifiés sous le nom d’AR (Assessment Report). Dans le dernier rapport (AR6), les scénarios ont évolué des traditionnels RCP (Representative Concentration Pathway) aux SSP (Shared Socio-economic Pathways), intégrant désormais des éléments de développement socio-économiques, tels que l’urbanisation, l’énergie, l’agriculture, le PIB et d’autres paramètres.

 Chaque niveau d’émission des GES est associé à un mode de consommation sociétale. Dans ces nouveaux scénarios, le cloisonnement entre les sciences socio-économiques, les sciences exactes et les sciences de la nature est rompu. Ainsi, 5 scénarios (Fig. 1) sont définis par les experts du GIEC :


• Deux scénarios avec des émissions de GES élevées et très élevées : SSP3-7.0 et SSP5-8.5.
• Un scénario avec des émissions de GES intermédiaires : SSP2-4.5.
• Deux scénarios avec des émissions de GES très faibles et faibles : SSP1-1.9 et SSP1-2.6. 
 

Seuls les SPP1 et SPP2 permettent de maintenir la trajectoire de 1,5°C, fixée par la COP21. En revanche, les scénarios SPP3 à SPP5 affichent des trajectoires de températures alarmantes, oscillant entre 2 et 5,7 °C, d’ici la fin du siècle. Le GIEC publie des résumés techniques et rapports condensés pour les besoins des hommes d’Etat afin de les aider à comprendre la dynamique du climat et ses conséquences sur les écosystèmes, et les orienter vers des prises de décisions éclairées.


Les COP

Les conférences des Parties (COP) rassemblent depuis 1995 les dirigeants de la quasi-totalité des pays de la planète pour débattre du contenu des rapports du GIEC. Ces conférences restent un forum important pour la négociation et la coordination des efforts internationaux en matière de changement climatique. Lors des débats, certains chefs d’Etat iront jusqu’à quantifier leurs engagements en matière de réduction des émissions de GES, visant l’objectif de zéro émissions. Parmi une trentaine de conférences tenues à ce jour, la plus marquante demeure celle de Paris (COP 21) qui a fait adopter en 2015 un traité international juridiquement contraignant, signé par 192 pays. 


Ces derniers s’engagent à limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, d’ici la fin du siècle. Malheureusement, 6 ans plus tard, la COP 26 de Glasgow annonce un réchauffement déjà de 1,1°C. L’Inde et la Chine, se basant sur le constat des émissions historiques des pays développés, réclament des objectifs moins contraignants pour les pays du sud et des financements plus conséquents de la part des pays les plus riches. En 2022, lors de la COP 27, le Plan de mise en œuvre de Charm El Cheikh préconise une transformation du système financier mondial impliquant les gouvernements, les banques, les investisseurs et d’autres bailleurs de fonds. Le financement d’un tel plan pour une transition vers une économie mondiale à faible émission de carbone est estimé à cinq billions de dollars par an. 

Ce chiffre considérable est en grande partie justifié par les retards des pays les plus développés qui s’étaient engagés dès 2009, lors de la COP de Copenhague, à mobiliser 100 milliards de dollars par an pour le climat. Le manque d’efficacité des COP est manifeste, notamment en raison de l’absence de contraintes juridiques et de l’insuffisance des moyens financiers. La participation aux COP des acteurs non étatiques, comme les organisations de la société civile, reste une lacune à combler.


Les climato-sceptiques

Malgré le large consensus scientifique autour de l’impact anthropique sur le changement climatique, il subsiste toujours une frange de la population mondiale, dite climato-sceptique. Parmi elle, de nombreux scientifiques, qui reprochent entre autres au GIEC de ne pas admettre certaines insuffisances dans la modélisation du climat et rappellent qu’il n’y a parmi eux aucun physicien qui ait activé sur le rôle climatique du CO2. Les climato-sceptiques encensent les techno-solutions qui préfèrent trouver des solutions techniques plutôt que d’essayer de faire changer le comportement des gens ; leur mouvement s’organise et se baptise climato-réaliste, tandis que les experts du GIEC sont qualifiés de climato-alarmistes. 

Cette polémique s’invite jusque dans réseaux sociaux et les encyclopédies numériques. Parmi ces climato-sceptiques, on retrouve des physiciens dont certains s’inquiètent de voir les gouvernants se diriger vers une économie plus protectrice de l’environnement et réductrice de postes d’emplois. 

Des hommes d’Etat, tels que Donald Trump et Jair Bolsonaro, ancien dirigeant du Brésil, s’alignent sur les thèses des climato-sceptiques. Le premier a écarté les USA de l’accord de Paris. Le second a accéléré la déforestation de l’Amazonie, sanctuaire de la biodiversité. Richard Heede dans son étude conclut que les deux tiers des émissions mondiales de GES sont causées par seulement 90 multinationales ! Ces sociétés, dans le but de maintenir leurs profits, se sont impliquées dans le financement de fondations philanthropiques et de cercles de réflexion prêchant en leur faveur.
 

Conclusion

Aux scénarios climatiques du GIEC s’ajoutent aujourd’hui d’autres indicateurs d’alerte sur le climat, l’environnement et la biodiversité, il s’agit, entre autres :

  •  Des scénarios de l’Agence internationale de l’énergie, reconnue pour sa veille sur les marchés du pétrole, du gaz naturel, du charbon et, plus récemment, des énergies renouvelables
     
  • Des Objectifs de développement durable fixés en 2015 par l’ONU dans le cadre de l’Agenda 2030
     
  • Du jour de dépassement de la Terre, calculé chaque année par la Global Footprint Network. Ce jour a glissé du 29 décembre, pour 2023, au 2 août pour 2023 ainsi que le 25 juillet, pour 2024.

 

 

Par Mouloud Touat.  , hydro-climatologue, African Geosystem Company, Alger 
et Hocine Hammoum , professeur en génie civil  à l’Université de Tizi Ouzou

 

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