Que fait le blé à la Bourse de Chicago ? Coter les céréales sur un marché financier se fait depuis plus d’un siècle, et les marchés des matières premières sont devenus essentiels pour les producteurs et toute l’industrie agroalimentaire. Le Chicago Board of Trade (CBOT), la première Bourse américaine de commerce de céréales, a été créé en 1848 à Chicago, au bord du lac Michigan, lieu stratégique pour le commerce de cette époque. Dix-sept ans plus tard, les commerçants de cette Bourse ont créé le contrat à terme, un contrat financier qui permet de fixer à l’avance le prix auquel un producteur livrera sa marchandise à une échéance définie. Ce type de contrat permettait de limiter les fortes fluctuations de prix dues à la saisonnalité, tant pour les vendeurs que les acheteurs. Le contrat à terme est standardisé par type de céréale et par échéance, son prix est fixé en fonction de toutes les opérations réalisées sur le marché et appliqué à tous les contrats aux mêmes caractéristiques. Aujourd’hui, la plupart des matières premières sont échangées ainsi, du blé au pétrole, en passant par le nickel et le cacao, sur plusieurs Bourses dématérialisées, réparties dans différents pays. En Europe, c’est le marché parisien des contrats à terme, appelé Matif et géré par Euronext, qui fait référence actuellement. Des produits dérivés, dont le prix dépend de la valeur d’un autre actif appelé sous-jacent, sont venus compléter le contrat à terme et sont peu à peu devenus des produits d’investissement présents dans les portefeuilles des acteurs financiers. Les contrats à terme sont échangés à grande échelle par des producteurs, des négociants, des transformateurs alimentaires, des banques ou encore des fonds de pension. En 2008, les prix du blé ont explosé dans le sillage de la crise financière, ce qui a conduit à des «émeutes de la faim» dans une trentaine de pays pauvres. Le rôle des institutions financières et de la spéculation avait été mis en cause et a donné lieu à un renforcement de la réglementation des marchés agricoles. Le directeur du département des matières premières d’Euronext, Nicolas Kennedy, justifie la présence des acteurs financiers par une logique de «gestion du risque prix». «Via un contrat à terme, le risque (de fortes fluctuations des prix, ndlr) ne disparaît pas, il est transféré. C’est l’intérêt d’avoir des acteurs financiers, ils peuvent prendre ce risque.» Parmi les garde-fous pour éviter une spéculation excessive sur les marchés américain et français: l’obligation de déclarer quotidiennement aux régulateurs les échanges de contrats à terme effectués et le respect d’un niveau maximum de contrats détenus. Aux Etats-Unis, la vaste loi de lutte contre la spéculation boursière, mise en place après la crise financière de 2008, a de plus petit à petit été allégée pendant la présidence de Donald Trump. Le marché français se veut «miroir de l’économie réelle», affirme Nicholas Kennedy qui argumente que trois millions de tonnes de blé sont échangées chaque jour à Paris, ce qui représente six fois la production européenne de blé. «A Chicago, c’est plus de 150 fois la production qui sont échangés chaque jour», assure-t-il. Euronext impose de plus des limites du nombre de transactions durant les derniers jours de vie d’un contrat à terme, pour éviter les fortes variations juste avant la livraison. L’autorité française des marchés financiers (AMF) chapeaute le tout et «s’assure que l’offre et la demande se rencontrent dans de bonnes conditions» mais son rôle n’est pas «de juger si le prix est juste».