La révision des prix s’imposait depuis près d’une dizaine d’années, quand, dans certaines villes, apparaissaient des bacs à ordures blancs, portant la mention «pain rassis», à côté de ceux destinés aux déchets plastiques et autres.
Cette scandaleuse opération de «tri» était tolérée, sinon parrainée par les services de l’environnement en collaboration avec un mouvement associatif en perte dangereuse de repères. Le pain n’est jeté dans aucune civilisation ou société dans le monde. Il est consommé, ou alors il n’est pas acheté. La crise du pain, qui se pose spécialement à Tizi Ouzou, a ceci de particulier qu’il n’y a pas de divergence ou d’opposition entre les producteurs et les consommateurs. Le prix de la baguette à 10 DA, en plus d’être intenable pour les boulangers, ne constitue qu’une prime au gaspillage, à grande échelle. Il est, du reste, largement dépassé dans les faits, puisque la majorité des citoyens opte pour un pain deux fois plus cher, sinon plus. Le produit le plus vendu et le mieux servi à longueur de journée dans les boulangeries est celui proposé à 20 ou 25 DA, sous d’autres appellations mais de même consistance. Discutable dans la forme, l’action des boulangers en grève a le mérite de vouloir dépasser cette énorme hypocrisie qui veut faire croire que le pain est toujours fortement subventionné et maintenu au prix fixé il y a un quart de siècle. Il était déjà payé cher, ou à son juste prix, depuis fort longtemps.
A présent, il n’est plus disponible, du moins à Tizi Ouzou, et cela depuis une dizaine de jours. Le faux populisme qui consiste à rappeler imperturbablement que les prix ne sont aucunement revus à la hausse n’a pour seule conséquence que d’enfoncer la population dans cette incroyable pénurie de pain à un moment où les tensions perdurent sur de nombreux produits de première nécessité. La seule réaction de l’administration a été, hier, d’autoriser les commerçants, toujours de Tizi Ouzou, à s’approvisionner dans les boulangeries de Bouira ou de Boumerdès, sans risquer d’être interpellés aux barrages de contrôle. A l’arrivée, le prix est majoré, puisqu’il faut compter le transport et le pain sera nécessairement «amélioré» par les gaz d’échappement et l’insalubrité des camionnettes.
Dans ce secteur comme dans beaucoup d’autres, les pouvoirs publics doivent dépasser cette posture faite d’attentisme et d’inertie qui ouvre la voie au pourrissement en lieu et place d’un règlement des conflits dans une démarche résolue et adaptée. C’est la pénurie et la rupture des produits qui sont source d’inquiétude et poussent à son paroxysme la détresse sociale. Le renchérissement observé sur les marchés depuis plusieurs semaines est passablement intégré par le commun des citoyens qui réalise progressivement que l’ère de la subvention et de l’assistanat est en train de connaître son épilogue et que le retour à l’effort et au travail se dessine à l’horizon immédiat comme une exigence vitale et inéluctable. Echaudée par de longs épisodes de contestation sociale, l’administration peut se sentir désarmée pour mener de front les discussions nécessaires pour dénouer les situations de crise comme celle induite par la grève des boulangers. Si le mouvement associatif investi dans la défense des consommateurs était suffisamment structuré et présent, il aurait pu constituer un partenaire déterminant dans les réunions consacrées à la résolution des conflits.