La tension est montée d’un cran entre la France et les putschistes nigériens, après l’annonce par le président Macron du maintien de son ambassadeur à Niamey, malgré l’expiration du délai donné au diplomate pour quitter le Niger. Des milliers de Nigériens ont alors passé la nuit autour de l’ambassade française à Niamey – privée d’eau, d’électricité et de gaz – réclamant le «départ de la France» de leur pays.
Une situation très tendue, notamment après l’annonce durant la journée, par Macron du «maintien de l’ambassadeur malgré les pressions des putschistes». Déclaration qui a fait craindre le pire, notamment un dérapage qui justifiera cette intervention militaire (contre le Niger), prônée par la Cédeao (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest), «pour rétablir l’ordre constitutionnel». Hier, le président français Macron est encore revenu sur le sujet en lançant des messages assez lourds.
D’abord en appelant les Etats de la région à «avoir une politique responsable», puis en mettant en garde les membres de la Cédeao : «Si on abandonne le président Bazoum, tous les Présidents de la région seront conscients du destin qui leur sera réservé» avant de rappeler les régimes militaires qui se sont rebellés contre la présence française dans leurs pays : «Si nous n’avions pas intervenu militairement et à leur demande au Mali, Burkina Faso et au Niger, ils n’existeraient pas aujourd’hui avec les frontières bien connues.» Pour les plus avertis, les déclarations de Macron vont encore durcir les positions du quatuor rebelle, rallier les populations à leurs actions et permettre aux puissances comme la Chine, la Russie et les USA, de renforcer leurs positions dans la région.
Les Etats-Unis, par exemple, ne font pas de bruit, mais sont présents au Niger, avec plus d’un millier de soldats et deux bases militaires bien équipées y compris de drones, une à Niamey et l’autre à Agadez. Ils sont également dans l’exploitation des ressources aurifères. Il faut dire que depuis quelques décennies, l’influence de la France dans ses anciennes colonies africaines a pris un sérieux coup.
D’abord par la contestation de plus en plus forte contre cette politique qui consiste à créer une zone monétaire de 14 pays africains, utilisant le CFA, présenté comme dernière monnaie coloniale et qui sont dans l’obligation de remettre 50% de leurs réserves financières au Trésors public français. Puis par le passif de décennies de colonisation, marquées par des crimes contre l’humanité mais aussi par cette politique de la Francafrique, développée après les indépendances, pour préserver la mainmise sur les richesses des anciennes colonies en soutenant des dictateurs corrompus ou des hommes de paille, au détriment du développement et du bien-être des populations.
Recul de la France et avancée de la Chine, de la Russie et des USA
A l’ère des réseaux sociaux, les affaires de corruption impliquant les dirigeants de nombreux pays africains et des sociétés françaises ainsi que les déclarations réductrices et dégradantes pour ne pas dire racistes de certains politiques français ont noirci encore plus l’image de la France.
Ce qui a permis à d’autres puissances, ne traînant pas de contentieux historique dans la région, à mettre les pieds dans le pré carré français en Afrique. L’entrée massive des entreprises chinoises a permis à Pekin de devenir le 1er partenaire de l’Afrique, suivie des USA et depuis peu, de la Russie, qui a construit des relations puissantes avec la République centrafricaine (RCA), le Burkina Faso, la Guinée, le Mali mais aussi le Niger particulièrement dans le domaine militaire et sécuritaire.
Dans ce domaine, faut-il le rappeler, la France a été sévèrement critiquée en raison de ses opérations militaires de «lutte contre le terrorisme» au Mali, avec Serval puis Barkhan et au Burkina Faso, avec Sabre.
Ces opérations ont non seulement eu de lourds bilans en termes de pertes en vies humaines mais en plus n’ont pas réussi à stopper la prolifération des groupes terroristes dans la région. Bien au contraire. Après dix ans, ces groupes ont essaimé partout de l’océan Atlantique jusqu’à la Corne d’Afrique, avec des appellations différentes, et sont devenus plus puissants en armement grâce à l’argent de la contrebande, de la traite des humains, du trafic de drogue et du paiement des rançons en contrepartie de la libération d’otages retenus.
Des activités criminelles qu’ils organisent et contrôlent désormais. L’intervention militaire française en Libye, avec l’aide de l’Otan, a également eu des conséquences désastreuses sur la situation sécuritaire et humanitaire de tous les pays du Sahel, après avoir fait basculer les villes libyennes vers le désordre et le chaos. Aujourd’hui, la France est perçue par l’élite africaine non pas comme un partenaire, mais comme un pays néo-colonisateur. Les putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’ont pas eu de mal à convaincre leurs populations de la « justesse» de leurs coups d’Etat. Ils ont basé leurs discours sur le passif historique dans ses anciennes colonies mais aussi ce comportement de paternalisme pour ne pas dire néocolonialiste de la France.
Ils ont ordonné aux milliers de soldats français chargés de lutter contre les groupes terroristes de quitter le pays et fait appel à l’expertise de la Russie et des mercenaires du groupe Wagner. Pour la population, le message est vite passé. Les lignes ont bougé mais la France ne semble pas prendre conscience de ces changements profonds qui mettent à rude épreuve son influence de plusieurs siècles sur ses anciennes colonies.
Les derniers bastions de la politique de la Francafrique, comme le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Togo ou encore le Sénégal, vacillent sous la pression populaire et risquent d’être emportés par ce que le président Macron a qualifié hier «d’épidémie de putschs dans le Sahel». Non pas parce que les Russes et les Chinois façonnent les opinions sur la France, mais parce que les élites de ces pays, ce sont elles qui le disent, entament un réveil.