En ce 1er novembre 2024, une date qui marque le 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de Libération nationale et qui rappelle les sacrifices consentis par le peuple algérien pour recouvrer son indépendance et sa souveraineté nationale, des rappels historiques s’imposent.
Non pas seulement pour évoquer en cette journée spéciale les événements phares de cette Révolution et rendre hommage à ceux qui se sont sacrifiés pour en finir avec la colonisation, mais aussi pour mettre l’accent sur les origines de ce soulèvement. Des origines liées essentiellement à la situation socioéconomique des Algériens au cours de la période qui a précédé novembre 1954. Le système colonial a toujours infléchi l’économie algérienne en faveur de ses intérêts.
Ce qui a créée pendant de longues années bien avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale de grandes différenciations entre les colons et les Algériens. Soumis au régime du sous-prolétariat, ces derniers ne profitaient guère des richesses de leur pays. Privation, chômage, paupérisation, malnutrition, exploitation, ségrégation et spoliation des biens meublaient, en effet, le quotidien des Algériens sous le régime colonial. Un contexte qui a mené à la révolte des Algériens pour en finir avec toutes ces injustices.
A la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, les conditions de vie des Algériens étaient en effet des plus détériorées. Au fil des ans, le fossé ne faisait que se creuser entre les autochtones et les Français installés en Algérie.
Avec la spoliation des richesses du pays à la faveur d’un régime misant sur une économie principalement orientée vers la production de biens destinés à la France, pas de place aux Algériens pour profiter des biens que recelait leur pays. La primauté était plutôt accordée aux intérêts économiques de la France et des Européens d’Algérie via la force et le travail des Algériens, comme l’ont rapporté les historiens dans leurs ouvrages et écrits sur cette sombre phase de l’histoire de l’Algérie.
«Si le discours apologétique ordinaire glorifie les œuvres de la colonisation, il oublie que routes, travaux publics, ports, extraction minière, agriculture, etc. n›ont pu exister que grâce à la force de travail des Algériens, parfois mobilisés gratuitement sous forme de corvée à laquelle un code de l’indigénat les a soumis.
Ainsi a pu apparaître cette économie qui, contrairement à ce qu’affirment certains révisionnistes d’aujourd’hui, a été, en réalité, incapable ne serait-ce que de nourrir la population et qui a abouti au bout de 130 ans à faire de l’Algérie, encore colonisée, un pays importateur non seulement de produits industriels, mais simplement de vivres», résume à ce sujet Ahmed Henni, ancien professeur aux universités d’Oran et d’Alger, auteur du livre : Economie de l’Algérie coloniale 1830 – 1954 édité en novembre 2017. Un livre qui couvre le champ économique de l’Algérie entre 1830 et 1954.
«L’objectif premier des armées d’invasion fut d’abord de conquérir des territoires. Ce trait majeur va déterminer décisivement la nature de la colonisation : elle naît terrienne et le demeurera. Au bout de 130 ans d’occupation française, l’économie coloniale demeure essentiellement agricole et exportatrice de produits agricoles. La minorité infime qui prospère ne réinvestit pas ses profits localement dans l’industrie, mais accumule des fortunes qui ont fait la légende de ces quelque 6400 très grands propriétaires colons à la date de 1954», écrit l’auteur. Et ce, au grand détriment des Algériens qui ne faisaient que s’appauvrir et enchaîner les pertes de ce qu’ils possédaient de plus chers, précisément les terres agricoles fertiles pour produire blé dur, vin, agrumes, primeurs et autres matières premières destinés à faire fonctionner l’économie française, privant en parallèle les vrais propriétaires.
En 1954, plus de 80% des terres fertiles appartenaient aux Français
En effet, le fait le plus marquant que les historiens ont toujours mis en exergue est la politique agraire poursuivie depuis les débuts de la colonisation, en concentrant entre les mains des colons les meilleures terres. Les spoliations et les dispositions draconiennes du code forestier notamment ont fini par déposséder les Algériens dans leurs ouvrages de leurs biens agricoles. Les chiffres rapportés par plusieurs sources sont effarants à ce sujet : En 1954, plus de 80% des terres appartenaient aux Français dans la Mitidja, dans les plaines d’Oran, de Annaba et de Skikda notamment. Les propriétés européennes étaient situées dans des secteurs irrigués et sur des terres fertiles et dédiées à des cultures riches (348 400 ha de vigne, agrumes, primeurs), alors que les terres appartenant aux Algériens étaient constituées par moitié de parcours et de sols surtout favorables à la culture des céréales et à l’arboriculture (figuier, olivier, amandier). Par ailleurs, si les colons bénéficiaient d’une assistance technique et d’une aide financière, ce n’était pas totalement le cas pour les Algériens.
Les effets étaient des plus désastreux sur les populations et sur les économies locales. D’année en année, le fossé se creusait entre l’agriculture des Algériens et celle des colons. Ainsi, la part du produit national revenant aux Européens augmentait régulièrement en valeur absolue et en valeur relative, celle afférente aux Algériens diminuait compte tenu notamment de l’accroissement de la population. Aussi, la croissance démographique a-t-elle fini par créer un déséquilibre entre la population, la surface cultivable et les ressources. Les 438 483 petits agriculteurs algériens ne pouvaient plus vivre sur des lopins dont la superficie moyenne était inférieure à dix hectares pour semer blé, orge, légumes et arbres fruitiers avec des charges importantes qui ne leur permettaient pas de vivre des revenus de leurs terres. Les autres étaient locataires ou khammès sur le domaine des grands possédants. Une autre catégorie était formée de domestiques de fermes, bergers ou bien journaliers agricoles chez le colon. Au total, pour l’ensemble des Algériens vivant de l’agriculture, le revenu annuel moyen par tête était évalué à 22 000 anciens francs contre 780 000 francs pour l’agriculteur européen.
En 1954, les Européens produisaient 55% du revenu brut total et les Algériens, qui étaient pourtant huit fois plus nombreux, avaient une part 45%. Les recettes réelles, produit de la consommation, étaient chez les premiers deux fois supérieures à celles des seconds, l’autoconsommation absorbant 40% de la production de l’agriculteur algérien contre 3 à 4% de celle du colon destinée à l’exportation.
Par Samira Imadalou