Nous avons besoin d’un texte qui s'attaque à la question de l'héritage, de la pollution existante, qui échouera sur nos côtes même après qu'on ferme le fameux robinet de plastiques.»
Ainsi vient de s'exprimer Inger Andersen, directrice du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), au sujet du futur traité international sur le plastique. En effet, la production annuelle de plastique a plus que doublé en vingt ans pour atteindre 460 millions de tonnes, et pourrait tripler d'ici à 2060 si rien n'est fait. «Une partie de ce plastique est rejetée dans l'océan, où il se dégrade en microplastiques», souligne Suppakarn Jandang dans un communiqué de l'université de Kyushu au Japon. Professeur au sein de l'Institut de recherche en mécanique appliquée, il est le premier auteur d'une étude publiée dans la revue Science of the Total Environement.
Extraire les microplastiques dans des échantillons de coraux
Lui et ses collègues de l'université de Chulalongkorn en Thaïlande ont voulu explorer le devenir des particules issues de la fragmentation des déchets en milieu marin, et contribuer ainsi à résoudre le mystère du «plastique manquant» dans les océans. Leur hypothèse : une partie des «microplastiques» s'accumulerait en fait dans l'organisme du corail, cet animal bâtisseur de récifs. «Le corail possède trois parties anatomiques principales : le mucus de surface (extérieur du corps), le tissu (partie interne) et le squelette, c'est-à-dire les dépôts durs de carbonate de calcium que l'animal produit», explique le Pr Jandang. «Notre première étape a consisté à développer un moyen d'extraire et d'identifier les microplastiques de nos échantillons de coraux.»
Sur les récifs côtiers de l'île de Si Chang, dans le golfe de Thaïlande, les chercheurs ont collecté et étudié quelque 27 échantillons de coraux de quatre espèces différentes. À l'issue d'une série de lavages chimiques destinés à «briser» chaque couche anatomique du corail avant d'en filtrer le contenu, ils ont dénombré au total 174 particules de microplastiques.
La plupart de ces particules avaient une taille comprise entre 101 et 200 μm, proche de la largeur d'un cheveu humain, détaille l'étude. Leur répartition était la suivante : 38% au niveau du mucus de surface, 25 % dans les tissus coralliens, et 37% dans le squelette des coraux. Le nylon, le polyacétylène et le polyéthylène téréphtalate (PET) étaient les trois types de matériaux les plus répandus.
Un puits de plastique pour des centaines d'années ?
D'après ces résultats inquiétants, le corail pourrait représenter un «puits» de plastique dans l'océan, à l'image des arbres absorbant du CO2 atmosphérique et séquestrant une partie du carbone au niveau du bois et des racines.
D'autres études seront cependant nécessaires pour vérifier l'importance de cette séquestration corallienne au niveau mondial, par rapport à d'autres lieux d'accumulation possibles.
«Etant donné que les squelettes des coraux restent intacts après leur mort, ces microplastiques déposés peuvent potentiellement être conservés pendant des centaines d'années, un peu comme les moustiques piégés dans l'ambre», compare Suppakarn Jandang. «Nous ignorons les effets des microplastiques sur la santé des coraux et de l'ensemble de la communauté récifale. Il reste encore beaucoup à faire pour évaluer avec précision l'impact des microplastiques sur l'écosystème», ajoute le professeur Atsuhiko Isobe, qui a dirigé ces travaux (communiqué). Des travaux antérieurs avaient par ailleurs pointé l'existence d'une «plasticroûte», une fusion de plastique et de corail qui relâche de dangereux contaminants dans l'océan.