Reporté à deux reprises, le procès de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, s’est ouvert hier au pôle pénal économique et financier près le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, par l’audition des principaux accusés poursuivis pour corruption.
Lors de la 1re journée du procès lié à la réalisation du complexe GNL3 impliquant l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, l’ex- PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane a révélé que c’est «Chakib Khelil qui décidait de tout au niveau de la compagnie, à travers des instructions verbales et écrites». Déclaration qui rejoint celle de son vice-président, Abdelhafid Feghoul, qui affirmait lui aussi que toutes les sociétés étaient choisies par le ministre.
Après deux renvois, le procès de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, en fuite aux USA, de l’ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, et ses deux vice-présidents, Abbas Boumediene et Abdelhafid Feghouli, s’est ouvert hier devant le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger.
Ils ont comparu avec les représentants de Saipem Contracting Algérie, filiale du géant pétrolier italien Eni, ainsi que de nombreux transitaires et douaniers, dans le cadre de l’affaire du marché de réalisation (par Saipem), du complexe gazier GNL3 d’Arzew, à l’ouest du pays, pour un montant de 275 milliards de dinars, soit 2,5 milliards de dollars.
Un dossier qui avait fait l’objet, en 2018, d’un accord à l’amiable entre la société italienne et Sonatrach pour assainir tous les contentieux entre les deux compagnies. Incarcéré à Oran pour une autre affaire, Mohamed Meziane a été le premier à être entendu, par visioconférence.
D’emblée, il nie les faits de «violation de la réglementation des marchés publics», «dilapidation de deniers publics» et d’«abus de fonction» et affirme : «Ce projet a été monté par Chakib Khelil en 2002, alors qu’il était président de l’Assemblée générale de Sonatrach et directeur général par intérim. C’est lui qui décidait au niveau de Sonatrach.»
Il explique : «Ce projet a fait l’objet d’une consultation restreinte à laquelle Petrofac (émiratie) était en première position, suivie de Saipem».
Le juge : «Etiez-vous au courant de la lettre que Feghouli, vice-président de l’activité amont, a adressée à Chakib Khelil, un courrier dans lequel il a fait état du recours introduit par Petrofac contre son élimination ?» Meziane : «J’ai eu la réponse du ministre, avec la copie de la lettre.» A la question de savoir pourquoi le vice-président s’adresse directement au ministre et non pas au PDG, Meziane déclare : «Toutes les instructions et les décisions venaient du ministre.»
Le magistrat : «Vous étiez le PDG, pourquoi acceptiez-vous que le ministre s’ingère dans vos prérogatives ?» Meziane : «Il était un ministre de souveraineté, président de l’assemblée générale de Sonatrach. C’est lui qui a choisi tous les cadres dirigeants de la compagnie, à l’exception d’un seul, que j’ai moi-même désigné.»
Le président lui demande pourquoi Petrofac, qui était première, a été éliminée pour être remplacée par Saipem, qui était deuxième. «Je ne suis pas intervenu. Petrofac n’avait pas présenté de garanties techniques. Elle a eu dix jours pour lever la réserve, mais elle ne l’a pas fait. Dans ces conditions, c’est la deuxième offre qui est prise, à condition qu’elle soit très proche de la 1re, et c’est Saipem qui a été retenue.»
Le juge : «Saviez-vous que Saipem avait acheté une société appartenant Arafat Khelil, l’épouse du ministre ? Elle a sous-traité et a gagné beaucoup d’argent.» La défense conteste, et le magistrat précise : «C’est ce qui est contenu dans l’enquête» et se tourne vers le prévenu : «Qui a chargé Feghouli de ce projet ? Vous ou le ministre ?» Meziane se montre catégorique : «C’est le ministre. C’est normal. Le GNL dépend de l’activité amont.»
«Habba Okbi a appelé…»
Le président revient sur la réponse du ministre : «Qu’a-t-il écrit ?» Meziane : «Il a demandé plus d’approfondissement sur tous les volets avant de donner le marché à Saipem. Mais le jour même, Petrofac était éliminé.» Le juge : «Qu’aviez-vous fait en tant que PDG ?» Meziane garde le silence.
Il nie toute surfacturation et reste quelques instants sans voix devant la question relative au choix des prix forfaitaires, avant de lancer : «Le ministre intervenait partout. Je n’avais qu’à exécuter. Comment pouvais-je réagir ?» Il évoque le projet Andalus, réalisé par un groupement algéo-espagnol et explique que ce dernier ne pouvait lui être confié, puisqu’il (le groupement) a été dissous.
Interrogé sur la rencontre avec le président de Petrofac, Meziane déclare : «Feghouli m’avait dit que la Présidence nous a recommandé de le recevoir. J’ai trouvé qu’il fallait que je sois présent avec les vice-présidents Hani et Feghouli. Ils sont venus à bord de véhicules de la Présidence. Il voulait être reçu pour évoquer son élimination du projet.» Pour Meziane, c’est Habba El Okbi, secrétaire général de la Présidence, qui a appelé pour la réception de la délégation.
Le juge appelle Abbas Boumedienne, ancien directeur des affaires juridiques de l’activité Amont au niveau d’Arzew, poursuivi pour les mêmes griefs que Meziane. Il déclare n’avoir aucun lien avec l’affaire. Il dit n’avoir été qu’un membre de la commission de l’ouverture des plis, mais ajoute que lorsqu’il a été à la commission technique, «Feghouli nous avait dit qu’il fallait demander à Petrofac les garanties techniques qu’elle n’a pas présentées».
Lui succédant à la barre, Abdelhafid Feghouli, également poursuivi pour les mêmes griefs, se livre à des explications très techniques du choix de la procédure pour le complexe gazier GNL d’Arzew et surtout de la différence entre ce dernier et celui de Skikda, qui aurait, selon lui engendré de lourdes pertes à Sonatrach : plus de 17,797 milliards de dinars. Selon lui, c’est un projet intégré qui impliquait toutes les activités Amont, Aval, commercialisation et canalisation.
La consultation restreinte a été décidée, dit-il, par Chakib Khelil, de même que les sociétés, que ce soit Petrofac ou l’américaine KBR qui était dans le projet de Skikda. Le juge : «Et vous, que faisiez-vous alors ?» Feghouli confirme que dans le projet Andalus, réalisé par le groupement Repsol (80%) et Sonatrach (20%), «tout était décidé par la société espagnole, qui avait sous-traité avec l’américaine KBR.
Elle a élaboré le cahier des charges et toutes les études techniques. GNL3 devait être confié à KBR, mais il n’y a pas eu d’entente sur le prix». Revenant sur le marché, il affirme que Petrofac, «non seulement n’avait pas les garanties techniques, mais la production qu’elle assurait était de 4 millions de tonnes, alors qu’il fallait un minimum de 4,2 millions de tonnes, elle n’avait pas les capacités techniques pour une telle usine». Feghouli dément avoir écrit directement au ministre, à propos du recours de Petrofac.
«C’est Meziane qui m’a demandé de le faire. Il ne faisait rien sans se référer à lui. Pour le paiement d’une facture de 300 millions de dollars qui bloquait tout le projet, il a refusé de signer, alors qu’il était ordonnateur et le seul habilité à le faire. Il m’a tout simplement refusé de signer en me demandant d’écrire au ministre (…)», lance-t-il en colère.
Il persiste à faire l’éloge du marché obtenu par Saipem, en disant qu’il a permis à Sonatrach de faire des gains de 200 millions de dollars. Il rejette toute sorte de «surfacturation», en disant que la formule du prix forfaitaire «permet de ne transférer que le montant global de l’usine clé en main construite, alors que pour Skikda la formule utilisée était celle du prix avec une partie variable et une autre fixe, induisant des hausses souvent très importantes». Evoquant Petrofac, il affirme qu’elle «aurait dû être éliminée bien avant.
Elle faisait l’objet de plusieurs réserves. La commission technique n’a rien signé avec Petrofac. Elle a fait un PV qui dit qu’elle n’est pas éligible à faire une offre de 4,3 millions de tonnes, sauf si elle ramène les garanties».
Acculé par le juge, Feghouli déclare : «Il y avait une organisation faite par le président de l’Assemblée générale de Sonatrach, qui était Chakib Khelil. Nous ne pouvions pas travailler en dehors de ce cadre. On ramène un contrat paraphé, je passe, sinon rien.» Sur le retard de réception du projet, Feghouli lance : «Comment voulez-vous qu’elle se fasse sans qu’elle soit approvisionnée en gaz ? Comment cela a pu arriver ? Je ne sais pas.
Khelil avait l’esprit américain. Lorsqu’il rencontre quelque chose sur son chemin qui va dans son intérêt, il la prend et c’est tout.» Il cède sa place à Elene Zuccheli, agent administrative de Saipem, accusée de passation de contrat en violation de la loi et surfacturation.
Elle nie les faits et explique qu’elle n’avait pas le pouvoir de signature et son travail consistait uniquement à prendre les factures de Saipem Milan, et de les remettre à Sonatrach. Représentant de Saipem Contracting Algérie, Malia Aldo, dont la société est poursuivie pour surfacturation et passation de marché en violation avec la réglementation, rejette les griefs. Selon lui, la société a obtenu le marché après l’élimination de Pertrofac.
«Elle était la seconde sur la liste et la loi lui permet d’obtenir le marché en cas d’élimination du premier soumissionnaire à la condition que nous nous alignons sur les prix. Ce que nous avons fait», souligne le prévenu. Sur la question de surfacturation, il dément toute hausse des prix. «Le marché consiste en la réalisation clé en main d’un complexe gazier, pour un montant global, le seul qui est transférable.
La décomposition des unités et pièces à importer donne des prix qui ne concernent que notre société.» Interrogé sur la société Lindt, appartenant à Mme Khelil, le prévenu répond : «C’est une société de construction qui avait beaucoup de travailleurs et qui avait des contrats avec de nombreuses entreprises. Nous l’avons achetée pour sa rentabilité, pas pour ses propriétaires.» Les auditions se sont poursuivies avec les transitaires et les douaniers. Aujourd’hui, l’audience reprendra avec la partie civile, le réquisitoire et les plaidoiries.