Les assassinats de femmes en augmentation : Coupables d’avoir été tuées

08/03/2022 mis à jour: 00:13
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Un long parcours d’obstacles a empêché ces femmes de se faire entendre et de dénoncer les violences dont elles étaient victimes / Photo : D. R.

Les victimes d’actes sanglants et immondes deviennent ainsi les coupables de leur propre mort.

Lorsque Keltoum a été égorgée devant deux de ses enfants par son ex-mari, l’on a écrit sur les réseaux sociaux que cela était lié à des vidéos postées sur TikTok. Quand Chaïma a été violée puis brûlée vive, certains se sont demandés ce qu’elle portait ce jour-là et pourquoi avait elle accepté de suivre son bourreau. Et à chaque coup de couteau dirigé contre une femme, d’aucuns s’interrogent sur qu’elles ont fait pour susciter l’ire de leur agresseur.

Les victimes d’actes sanglants et immondes deviennent ainsi les coupables de leur propre mort. Les interrogations, très répandues sur les réseaux sociaux, portent en creux la croyance selon laquelle ces femmes n’ont eu que «ce qu’elles méritaient», car elles auraient «transgressé les limites», qu’elles ont se sont aventurées en dehors du cercle familial ou qu’elles ont eu l’outrecuidance de se vouloir indépendantes.

Les criminels et auteurs des actes barbares s’en sortent finalement à bon compte, car ils auraient défendu leur «honneur». Et c’est lorsque les crimes les plus abjects sont excusés que l’on se rend compte de l’ampleur du mal qui a gangrené la société algérienne.

Parcours d’obstacles

Souvent, un long parcours d’obstacles a empêché ces femmes de se faire entendre et de dénoncer les violences dont elles étaient victimes. Personne ne prêtera l’oreille à leurs douleurs. Une femme subissant les affres d’un mari violent s’entendra conseiller de «patienter» jusqu’à un changement de comportement de son époux.

Elle s’interdira de voir un médecin légiste pour constater les coups donnés (et apporter une preuve des faits dans un tribunal), car on lui dira certainement que c’est là une question qui doit se régler dans le cadre discret de la famille.

Elle se heurtera également à des policiers qui la dissuaderont de signaler les cas de violence au nom de la préservation de la cellule familiale. Le fait est qu’il faut aujourd’hui, pour venir à bout des violences, entamer une révolution des mentalités sans laquelle la mise en place d’un arsenal juridique ne servira à rien. «La responsabilité de l’Etat est de prévenir, d’éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes, de les en prémunir et de poursuivre les auteurs afin qu’ils répondent de leurs actes (…).

L’Etat a le devoir de faire évoluer les mentalités et les comportements en s’attaquant aux stéréotypes sexo-spécifiques et comportements sociaux culturels pour prévenir et éliminer la violence à l’égard des femmes qui conduisent à la discrimination et qui façonnent les rôles stéréotypés des hommes et des femmes», pointe ainsi l’avocate Nadia Ait Zaï et présidente du Ciddef dans un récent plaidoyer contre la violence à l’égard des femmes.

«Il faut, note-t-elle encore, s’attaquer aux causes profondes de la violence faite aux femmes qui sont la distribution inégale du pouvoir au sein de la famille, le manque de compétences en communication et la résolution des conflits sans le recours à la violence (…) la croyance que les femmes et les enfants sont les propriétés qu’un homme peut contrôler et le manque d’action de la communauté, des témoins, des amis et des voisins pour prévenir ou arrêter la violence», soulignant que «la loi organisant la famille est le fondement des inégalités, de la discrimination et par voie de conséquence des violences au sein de la famille».

Car si des réflexions aussi ahurissantes ont pu avoir lieu autour de ce qui doit être considéré comme des crimes, c’est que des facteurs ont favorisé les inégalités ainsi que la banalisation des violences à l’égard des femmes. Bien sûr, des lois existent criminalisant les violences contre les femmes, mais elles pèchent parfois à cause de leur inapplicabilité, leur insuffisance ou – là encore – leur absurdité. L’article 279 du code pénal algérien stipule ainsi que le «meurtre, les blessures et les coups sont excusables, s’ils sont commis par l’un des époux sur son conjoint ainsi que sur le complice à l’instant où il les surprend en flagrant délit d’adultère» et il y a réduction de la peine.

Il y a aussi la «clause du pardon» en cas de violence conjugale, incitant la femme victime de violences conjugales à pardonner à son mari. Plusieurs femmes se voient contraintes de le faire en raison des pressions familiales et/ou économiques (sans emploi et sans logement, elles sont contraintes de rester sous le joug d’un mari violent). D’autres lois créent un climat favorable au féminicide : l’article 326 permet en cas d’enlèvement et, par conséquent étendu au viol et agression sexuelle, le mariage du coupable avec la victime, particulièrement, lorsque c’est une mineure et que les parents sont d’accord.

La femme se retrouve ainsi de facto en position de faiblesse, malgré les tentatives de dénonciation et de recensement des actes féminicides (à l’instar du portail féminicides-dz lancé par Narimene Mouaci Bahi et Wiam Awres). Ce site narrant les souffrances de ces femmes, dont la vie a été ôtée par des maris, des pères, des frères, des fils ou des inconnus, montre un visage hideux de la société algérienne d’aujourd’hui. Car si, il y a quelques années, il était question de femmes qui mourraient sous les coups, elles sont désormais brûlées, égorgées, jetées par le balcon… Les bourreaux faisant reculer toujours plus loin les limites de la violence contre les femmes.

Les associations féminines n’ont de cesse, ces dernières années, d’interpeller les pouvoirs publics, proposant des solutions afin de venir en aide aux victimes des violences. Le collectif Femmes algériennes pour un changement pour l’égalité (Face) réclame notamment la réquisition d’auberges/ hôtels pour abriter les femmes et les enfants en danger, la construction de centres d’hébergement, partout, dans le pays ainsi que l’accès aux femmes victimes de violences quel que soit leur statut matrimonial avec ou sans enfants.

Elles insistent pour la mise en vigueur de centres d’appels téléphoniques accessibles gratuitement 24 heures sur 24, à partir du téléphone fixe et portable et réclament l’interpellation des agresseurs et la protection immédiates des victimes avec ou sans certificat de médecine légale ainsi que l’éloignement de l’agresseur en attendant l’enquête et les modalités de jugement rapide et exemplaire.

A cela s’ajoutent des revendications liées à la mise en place d’un budget alloué à l’aide aux victimes de violences et à leurs enfants, le développement des programmes de formation de prise en charge des femmes victimes de violence des professionnels de la santé, la justice et la police ainsi que la mise en œuvre d’une campagne massive d’éducation à l’égalité, dans les programmes et établissements scolaires, dans les placardages de rue, dans les médias et les télévisions.

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